Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Ada Mondès - sélection de textes espagnol/français

mardi 2 avril 2019, par Roselyne Sibille

Un columpio

Bajo el columpio
dos surcos paralelos
dibujados a patadas
como mordiscos
en una fruta verde

la tierra labrada exhala el juego – el vuelo apenas
péndulo entre cielo y tierra
la canción de la madera abre sobre mil mundos
con el chirrido de las sogas
se alza la brisa en altamar

los viajes de la infancia
sin fronteras ni lenguaje
una tabla en el desierto
fuente de los imaginarios inocentes

Une balançoire

Sous la balançoire
deux sillons parallèles
tracés à coups de pieds
comme coups de dents
dans un fruit vert

la terre labourée exhale le jeu – l’envol à peine
pendule entre ciel et terre
la chanson du bois ouvre sur tant de mondes
dans le grincement des cordes
se lève la brise du large

les voyages de l’enfance
sans frontières ni langage
une planche dans le désert
source des imaginaires innocents

Amazonia

Todas las hojas
caídas son bocas
cerradas de la selva
guardan el silencio vivo
del tallo a las nervaduras
sonrisas selladas
donde la vida va
cosiendo enigmas

Amazonie

Toutes les feuilles
tombées sont bouches
fermées de la forêt
gardiennes du silence vivant
de la tige aux nervures
sourires scellées
où la vie traverse
couturière d’énigmes

Errancias

Donde los Hombres olvidan ir
las montañas están acribilladas de flores y ojos de cerraduras
órbitas huecas de gigantes
boca del hada petrificada en la sal
niños de arcilla
galerías para el alma

Si camino allí
mi llave imaginaria abre todas las puertas
los santuarios en la roca

La poesía siempre tiene su hogar en el vientre de las montañas
donde todas las piedras tienen un rostro

Errances

Là où les Hommes oublient d’aller
les montagnes sont criblées de fleurs et de trous de serrures
orbites creuses des géants
bouche de la fée pétrifiée dans le sel
des enfants d’argile
des galeries pour l’âme

Si je marche là-bas
ma clé imaginaire ouvre toutes les portes
les sanctuaires dans la roche

La poésie toujours a sa demeure dans le ventre des montagnes
là où toutes les pierres ont un visage

Alabanza de la pequeña loca

Cuando mi pequeña loca vino a mí
su pelo telaraña
sonrisa de gato
boquita de ciega
que buscaba luz
en las grietas del mundo
a lamer las piedras de mi rostro
con su lengua ardiente
animal furioso que consolaba toda la impotencia
las antiguas penas de la tierra

princesa niña de sueños rojos
un fantasma de mujer
el largo de sus piernas
desnudas en el balcón
yo que permanecía vestido
muy sentado en la cama
cuando las calles desiertas
escena de film
el cableado como un pecho pesado
la cifra 40 engullida por el asfalto
los semáforos sin testigos siguen su juego intermitente
el pavimento sin memoria acoge unos perros
el sostén reptil en el curso de la cama

todo lo hice mil veces al lado de mi pequeña loca
desnudé sus hombros
encontré el revés de la belleza
besé el tatuaje en sus tobillos
besé cada fibra de su piel
la bañé con el aceite y el agua oscura de nuestros cuerpos ennochecidos
llenos de olores sin nombre de palabras sin idioma
su voz brillante callaba
me decía todo lo que mis sentidos querían decir
cuántas luces en sus ojos
mil soles negros flotando en el fondo de cada pupila
planetas enloquecidos y determinados
buscando su nada

su espalda de castaño inmenso
su vientre lleno de espinas
miedos y violencias
que otros habrán arrojado ahí
en el ojo del mundo
aquí
su sexo abierto
a mi fiebre
como fruta de muerte
la granada dulce-amarga
cada semilla se derrite sobre mi aguda lengua
para agrandar mi sed

mi niña reina
al pronunciar su nombre
la sonrisa me desobedece
su abrazo para apagar mi fuego
atormentada líquida salvaje
cuando la noche cae de rodillas
mirarla sin ojos
bailar sobre las muletas de la aurora

todo lo hice mil veces
al lado de mi pequeña loca
no la besé
su boca
quedó cerrada para mí
con una sabiduría de estrella
un bosque mudo
mi Antares de labios clausurados
huérfanos fríos

el incendio que me libera
el ahogo que me crea
ella es la herida de donde vengo
la única que extrañamente
me impide morir

Éloge de la petite folle

Quand ma petite folle est venue à moi
ses cheveux toile d’araignée
sourire de chat
petite bouche d’aveugle
qui cherchait lumière
dans les fissures du monde
à lécher les pierres de mon visage
de sa langue brûlante
animal furieux qui consolait de toutes les impuissances
des vieux chagrins de la terre

petite princesse de rêves rouges
un fantasme de femme
la longueur de ses jambes
toutes nues sur le balcon
moi qui restais habillé
et très assis sur le lit
quand les rues désertes
décor de cinéma
les câbles électriques comme des poitrines lourdes
le chiffre 40 avalé par l’asphalte
les feux sans témoins continuent leurs jeux intermittents
le goudron sans mémoire accueille quelques chiens
le soutien-gorge reptile dans le cours du lit

j’ai tout fait mille fois aux côtés de ma petite folle
déshabillé ses épaules
trouvé l’envers de la beauté
embrassé le tatouage à ses chevilles
embrassé chaque fibre de sa peau
l’ai baignée d’huiles et de l’eau sombre de nos corps ennuités
remplis d’odeurs sans nom de mots sans langue
sa voix brillante se taisait
me disait tout ce que mes sens voulaient dire
combien de lumières dans ses yeux
mille soleils noirs flottant au fond de chaque pupille
des planètes désaxées et résolues
cherchant leur néant

son dos de châtaignier immense
son ventre plein d’épines
des peurs et des violences
que d’autres auront jetées là
dans l’œil du monde
ici
son sexe ouvert
à ma fièvre
comme fruit de mort
la grenade douce-amère
chaque graine fond sur ma langue aiguë
pour agrandir ma soif

ma petite fille reine
à prononcer son nom
le sourire m’échappe
son étreinte pour éteindre mon feu
tourmentée liquide sauvage
quand la nuit tombe à genoux
la regarder sans yeux
danser sur les béquilles de l’aube

j’ai tout fait mille fois aux côtés de ma petite folle
je ne l’ai pas embrassée
sa bouche
m’est restée fermée
avec une sagesse d’étoile
de forêt muette
mon Antarès aux lèvres closes
froides orphelines

l’incendie qui me délivre
la noyade qui me crée
elle
est la blessure d’où je viens
la seule qui étrangement
m’empêche de mourir

Afrín

para Hussein Habash

Nunca he ido a Afrín
Kurdistán parecía otro nombre sólido del mapa
que terminó buscando mi mirada extranjera
– encontré un par de zapatos
huérfanos entre rocas y ruinas
paredes tumbadas
llenaban la tierra de soledad

sin esos objetos
sólo hubiera visto
un paisaje desolado
pero aquí estaban
el invisible cuerpo – la casa inconsolable
su abandono llamaba en voz baja

hoy es otro domingo de guerra
mi llanto cruza fronteras
hacia mujeres y hombres
luchando por una tierra prometida
una mano alzada para detener los tanques
la muerte Medusa y su canción de disparos
mientras tengo el lujo del blues
llorar – dejar que me abrace el agua caliente
antes del olvido en el sueño

Poeta levántate
la palabra es tu única bandera
lo que se derrama es tu sangre
se siegan tus voces en los campos de la barbarie

me hablan de territorios
dicen geopolítica
dicen raza
dicen diferencia
la luna cumple sus mismos ciclos
encima de la mujer que ya no tiene un grito
el niño nunca adulto y el adolescente nunca viejo
no nacimos para esto
todos se olvidan de esto
y matan a sus hijos
que tanto se parecen
que nunca reconocen

si se pudiera medir el grado
de dignidad humana en el cuerpo
cuánto al nacer y cuánto nos queda si se pudiera
pesar nuestra carga de violencia
extraerla como muela enferma
almas cariadas almas laceradas
del Hombre por el Hombre

soy quien cree que el mundo
es materia para la belleza
y por un instante
mi fe envuelve el día
la flor es posible
el sol ceba las pieles
como frutas doradas
el mar es una voz apacible
el viento una caricia
sobre la tierra que me vio nacer

pero se abrió la tierra
se emparedan los hombres
y sus gritos son el ruido blanco del mundo
me duele la paloma del niño Picasso
me duele hasta el ser humano
que busca refugio en mi lengua

al pie de las ruinas
mira
donde yacía un par de zapatos
se levanta el poema

Afrin

à Hussein Habash

Je ne suis jamais allée à Afrin
le Kurdistan paraissait un autre nom solide du planisphère
dont mon regard étranger s’est mis en quête
– j’ai trouvé une paire de chaussures
orphelines entre roches et ruines
des murs démolis
emplissaient la terre de solitude

sans ces objets je n’aurais vu
qu’un paysage désolé
mais ils étaient ici
le corps invisible – la maison inconsolable
leur abandon appelait à voix basse

aujourd’hui est un autre dimanche de guerre
ma plainte traverse les frontières
vers des femmes et des hommes
en lutte pour une terre un jour promise
une main levée pour arrêter les tanks
la mort Méduse et sa chanson de balles sifflantes
tandis que j’ai le luxe du blues
pleurer – laisser l’eau chaude m’enlacer
avant l’oubli dans le sommeil

Poète debout
la parole est l’unique drapeau
c’est ton sang qui se verse
tes voix que l’on fauche dans les champs barbares

ils me parlent de territoires
ils disent géopolitique
ils disent race
ils disent différence
la lune exécute ses mêmes cycles au-dessus de la femme sans plus un cri
l’adolescent jamais adulte et l’enfant jamais vieux
nous ne sommes pas nés pour cela
tous comme frappés d’amnésie
tuent leurs fils
qui se ressemblent tant
que jamais ils ne les reconnaissent

si l’on pouvait mesurer le degré
de dignité humaine dans le corps
à la naissance et combien nous reste si l’on pouvait
calculer notre poids de violence
l’extraire comme une dent malade
âmes cariées âmes lacérées
de l’Homme par l’Homme

je suis de ceux qui croient
que le monde est matière à beauté
et pour un instant
ma foi enveloppe le jour
la fleur est possible
le soleil gorge les peaux
comme des fruits d’or
la mer est une voix sereine
le vent une caresse
sur la terre qui m’a vue naître

mais la terre s’est ouverte
les hommes s’emmurent
et leurs cris sont le bruit blanc du monde
j’ai mal à la colombe de l’enfant Picasso
mal jusque dans l’être humain qui cherche refuge dans ma langue

au pied des ruines
regarde
là où gisait une paire de chaussures
se lève le poème


BIO-BIBLIOGRAPHIE

Ada Mondès est poète bilingue et traductrice nomade. Depuis la publication de son recueil Les Témoins - Los Testigos (Ed.Villa-Cisneros 2017), elle a été l’invitée de nombreux festivals de poésie internationaux qui ont ponctué son itinérance.
Traductrice d’écrivains d’Amérique Latine pour Encres Vives, elle y a publié Cruzar/Croiser à l’issue d’une résidence à l’Alliance Française de Quito (Équateur). De la Nouvelle-Zélande à Cuba en passant par le Maroc ou la Russie, elle est publiée dans diverses revues et anthologies tant en espagnol qu’en français (Ærea [12], Santiago du Chili, Lámparas, Porto Rico, La Lettre sous le Bruit [25], Recours au poème [mai 2018], Levure littéraire [14], Teste [31]) elle anime également des ateliers (individuels, centres culturels, lycées, etc.).
Après la traduction en espagnol de Gérardmer, poème à trois voix, (français-allemand-espagnol), elle renouvelle l’expérience avec la réédition en bilingue d’Alma Mater de la même auteure (Albertine Benedetto) et chez le même éditeur (PVST ?).
En France, elle se produit régulièrement pour son récital bilingue et musical (V.O-V.T, version originale, version traduite) Comme un pont sur l’exil / Como puente sobre el exilio.

(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)


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