Fleurs sombres O fleurs de mangrove Sombres comme l’océan, rappel sombre de lui-même Dites, auprès de qui puis-je chercher de l’aide ? O fleurs rouge sang des collines Ouvertes comme deux paumes qui implorent la lumière Transportez-moi et placez-moi tout près de ceux qui lui sont chers O vigne vierge de Kovai [2] Rouge à maturité, rappel de ses lèvres pulpeuses Quand nous étions ensemble le plaisir fermait mes yeux O jasmin virevoltant Brillantes comme des sourires sont tes fleurs. Je me rends. Je suis sincère mais dis-moi à quoi sert ma vie ? O coucou noir Pourquoi appeler maintenant ? Dans quel but Si lui, du Vengadam [3] imposant me rejoint, alors commence à chanter O paons splendides Le bleu soyeux enchante comme le corps de Kannan [4] Mon Bien-aimé est allongé sur son lit de serpent O paons magnifiques Avec des éventails chatoyants déployés Je ne puis regarder votre danse O nuages de pluie Ressemblant à de l’argile liquide Faites fondre son cœur O grand océan Il est entré en toi, t’a baratté Mon Bien-aimé est entré en moi, m’a barattée, en plongeant il a volé mon essence |
Dark Flowers O mangrove flowers Dark as the ocean, dark reminder of himself Tell, from whom can I seek help ? O blood red hill flowers Open as two palms that beg for light Carry and place me near those dear to him O kovai creeper Red with ripeness, reminder of his luscious lips When we were together pleasure shuts my eyes O twirling jasmine Bright as smiles your blossoms. I surrender. I’m true but tell me what use is my life ? O black cuckoo Why call now ? To what purpose If he of lofty Vengadam will join me, begin your song O glorious peacocks Silken blue enchanters like Kannan’s body My beloved lies on his snake bed O beautiful peacocks With shimmering fans unfurled I cannot watch your dance O rain clouds Looking like clay while liquid within Melt his heart O great ocean He entered you, churned you My beloved entered me, churned me, plunging stole my essence |
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Ah mes bons amis J’ai appris que Vishnucittan de Villiputur |
Ah my good friends If learned Vishucittan of Villiputur |
(Traduction française : Roselyne Sibille)
Entretien avec les traducteurs
Terre à ciel : Qui était Andal ?
Une enfant trouvée, une flamme, la seule sainte féminine Alvar (voir réponse à la seconde question), une fille qui fit du divin un amant, une poète du sud de l’Inde au IX° siècle, vivant à Srvilliputtur, une tisseuses de guirlandes avec un perroquet sur la main rédigeant durant son adolescence l’ensemble de son œuvre avant une disparition apocryphe, fusionnant avec la Divinité, laissant derrière elle deux corpus de la poésie tamoule, le Tiruppavai et le Tirumoli Nacciyar, une présence continue comme sujets de films et de photographies de bord de route, l’épouse érotique et transcendante d’aucun homme mais du cosmos. Appelez-la Kotai ; appelez-la gopi dans l’Ayarpadi : appelez-la comme elle appelait Vishnu à elle, déchaînée d’envie, fervente, désireuse, totalement dans son corps mais imprégnée par l’esprit. Une femme. Une légende. Une déesse.
T à c : Qui étaient les saints Alvar ?
Alvar pourrait être traduit par « ceux qui plongent profondément », sont immergés en Dieu. Ce sont les saints-poètes tamouls qui vivaient et chantaient la bhakti, ou dévotion émotionnelle, au dieu hindou Vishnu et à son avatar Krishna. Ils étaient douze, Andal étant la seule femme, et leur présence date du V° au X° siècle dans le Sud de l’Inde. Certains étaient nés miraculeusement, certains possédaient des pouvoirs extraordinaires, et tous avec leurs chants extatiques célébraient leur amour pour Vishnu.
T à c : Quelle est la portée d’une poésie dévotionnelle dans un monde de plus en plus violent et divisé ?
La dévotion dans un âge d’indifférence générale, l’amour dans un temps frictionnel, des leçons sur comment vivre dans le corps mais pas depuis le corps, qui est dans un processus de décomposition, et du changement inscrit dans le temps. Paradoxalement, le mot vient de la racine bhaj en sanscrit, et comme dans le mot anglais cleave, signifiant à la fois lui-même et son opposé, la façon dont vous pouvez adhérer ensemble ou être séparés ; bhakta comme divisant, partageant et participant, aussi bien qu’adhérant à, hommage, adoration et par-dessus tout, amour, amour divin. Son message est limpide ; tous les humains prennent part à cette entreprise qui, en premier lieu, transcende nation ou idéologie ou un sens limité de soi-même.
T à c : Pourquoi avez-vous choisi votre méthode de traduction et comment est structuré votre livre ?
Nous avons adopté une approche kaléidoscopique pour obtenir différents angles, différentes versions ; cela nous a approchés de l’original, que nous n’atteindrons jamais pleinement, en termes d’énergie du son ou de tournure idiomatique. Priya et Ravi ont leur propre Andals qui les habitent entièrement ; et ainsi nous avons jugé qu’il était opportun d’inclure les deux versions, une visualisation plurielle des mêmes poèmes. Pour quelques traductions, nous avons collaboré et pour les autres, nous avons tous les deux traduit, ou plutôt translittéré, et inclus les deux versions de notre travail dans le livre. Cette approche unique nous permet de nous approcher plus près de l’original : en incluant l’expansion tripartite de Priya de l’œuvre dans le noyau intérieur, extérieur et central des vers de Andal et en incluant, de Ravi, la présentation fluide d’un homme donnant son interprétation du personnage d’une jeune fille, nous obtenons une conjecture plus symétrique. Cela nous permet d’atteindre les profondeurs de la divinité complexe dans la poésie de Andal.
Bien que nous ayons lu et édité l’œuvre tous les deux ensemble, c’est à cause de la polyvalence de la poésie tamoule en général, et de l’œuvre de Andal plus précisément, que nous avons choisi d’employer cette stratégie d’inclure des versions multiples des mêmes poèmes. Cette méthodologie, unique parmi les travaux de traduction, tente de trouver à la fois les fondations philosophique et littérale de son œuvre. Une telle multiplication des versions est risquée ; elle pourrait aussi avoir seulement un intérêt académique. Mais peut-être que les références caractéristiques qui sautent aux yeux à chaque niveau de recherche seront retenues et résonneront dans la suivante comme une trace chatoyante de couleur en train de se dissoudre.
T à c : Andal a créé deux corpus d’œuvres majeurs – comment les comparer ?
Le Tiruppavai est l’œuvre classique encore récitée pendant le mois froid de Markali, décembre-janvier, au moment où les jeunes femmes prient pour avoir un mari qui soit à la fois un amant et un compagnon, le meilleur des hommes ; et c’est particulièrement un chant d’une adoration congréganiste qui répète la supériorité de l’adoration collective avec des chercheurs bienveillants de même sensibilité.
Andal invite ses jeunes amies, décrites comme des gopi (bergères séduites par Krishna) à se joindre à elle dans l’engagement de son adoration, pour s’éveiller à la divinité tout autour de nous.
T à c : Pourquoi n’êtes-vous pas d’accord avec le fait qu’Andal soit appelée une poète « transgressive » ?
La poétique et la vie de Andal sont comme un champ de plasma en fluctuation. La définir comme « transgressive » lui refuse ses contradictions résonnantes, de plus le terme est dérivé d’un contexte étranger. « Transgressive » appliqué au comportement des femmes est en général associé à une période de la théorie féministe occidentale dont les paradigmes ne sont pas pertinents par rapport à la vie de Andal puisqu’elle ne cherchait pas à briser les règles ou à se montrer insoumise ; qui plus est un tel positionnement pourrait, dans un cadre plus général, être utilisé pour cataloguer et la rejeter comme une artiste/poète « folle » au lieu de célébrer son extase sacrée. Au contraire, la bhakti hindoue –la tradition d’être possédé par Dieu, reconnaît des expressions aussi ardentes et viscérales, et même furieuses, que celles de Andal comme étant naturelles pour les mystiques, et non pas anormales. Elle se conformait aux mœurs sociétales quand elle les voyait, comme cela est manifeste dans le Tiruppavai ; Andal ne le faisait pas quand elle cessait de voir les limites entre elle et la divinité, et se déclarait épouse de Vishnu dans le Nacciyar Tirumoli.
(Traduction française : Roselyne Sibille)
L’interview d’origine en anglais
Terre à ciel : Who was Andal ?
A foundling, a flame, the only female Alvar saint, a daughter who made of the divine a lover, a 9th century South Indian poet, living in Srvilliputtur, a garland-wearer with a parrot on her hand, composing all of her work as a teenager before an apocryphal disappearance, merging into Godhead, leaving behind two major bodies of Tamil poetry, the Tiruppavai and the Nacciyar Tirumoli, an ongoing presence as a subject of films and roadside photographs, an erotic, transcendent bride of no man but the cosmic. Call her Kotai ; call her a gopi in Ayarpadi ; call her the way she calls Vishnu to her, unbridled with longing, devout, desirous, full in her body but infused with spirit. A woman. An icon. A goddess.
T à c : Who were the Alvar saints ?
Alvar might be translated as those who dove deeply, are immersed in God, and they are the Tamil poet-saints who lived and sang of bhakti, or devotion, to the Hindu god Vishnu and his avatar Krishna. There are 12 of them, Andal being the only female, and they date from 5th to 10th century in South India. Some were born miraculously, some possessed extraordinary powers, and all rhapsodize their love of Vishnu.
T à c : What is the import of bhakti poetry in an increasingly violent and divided world ?
Devotion in an age of apathy, love in an antagonistic time, lessons on how to live in the body but not of the body, which is in decay and changing in time. Ironically the word derives from the Sanskrit root bhaj, and is like the English word cleave, meaning both itself and its opposite, the way you can cleave together or cleave apart ; bhakta as dividing, sharing and participating, as well as attaching to, homage, worship and above all, love, divine love. Its message is clear ; all humans partake in this enterprise and to foreground is to transcend nation or ideology or a narrow sense of self.
T à c : Why did you choose your translation method and how is your book structured ?
We adopted a kaleidoscopic approach as to have different angles, different versions, brings us close to the original, which we can never arrive at fully, neither in terms of sonic energy or idiomatic expression. Priya and Ravi had their own Andals which inhabited them fully ; and so we saw fit to include both versions, including multiple envisioning of the same poems. On some translations, we collaborated and on others, we both translated, or better yet transliterated, and including both versions of our work in the book. This unique approach allows us to draw closer to the original and to include Priya’s tripartite expansion of the work into the inner, outer and central core of Andal’s verse, and Ravi’s fluid exposition of a man taking on the persona of a young girl in more symmetrical conjecture. This allows us to touch the depths of the complex divinity in Andal’s poetry.
Even though we both read and edited the work together, it is because of the polyvalence of Tamil poetry generally, and Andal’s work specifically, that we’ve chosen to employ this strategy of including multiple versions of the same poems. This methodology, unique among works of translation, attempts to get at both the philosophical and literal underpinnings of her work. Such multiple versioning is risky ; it could also become merely of academic interest. But perhaps the distinctive allusiveness that leaps out at each level of exploration will be retained and echo into the next like a shimmering streak of colour dissolving.
T à c : Andal produced two major bodies of work - how do they compare to one another ?
The Tiruppavai is the classic work still recited during the cold month of Markali, December-January, as young women pray for a husband who is both lover and companion, the best of men ; and it is very much a song of congregational worship that reiterates the superiority of communal worship with likeminded, good-hearted seekers.
Andal invites her young friends, portrayed as gopi girls (or shepherdesses seduced by Krishna) to join her in undertaking her worship, to awaken to the divinity all around us.
The Nacciyar Tirumoli shows us an older Andal, pubescent, at the moment of adolescent transformation into her own sexual body and the poems likewise show a more mature speaker as well as greater dexterity in the poetics and prosody she utilizes. This poem offers shifts in perspective and point of view, a diversity of metaphor, and many classical allusions to the life of Krishna. In this latter poem, Andal’s longing grows more fervent, even violent at times, and she incarnates both the completely devotional and the exceedingly carnal through fourteen rhapsodic songs.
T à c : Why do you disagree with Andal being termed a ”transgressive” woman poet ?
Andal’s life and poetics is like a plasma field in flux. Categorizing her as ‘trangressive’ denies her plangent contradictions, besides the term is derived from an alien context. ‘Transgressive’ when applied to women’s behaviour is largely associated with a phase of Western feminist theory whose paradigms are irrelevant to Andal’s life as she didn’t set out to break rules or seek to be seen as rebellious ; what’s more such positioning could, in a more general framework, be used to pigeonhole and dismiss her as a ‘mad‘ woman poet/artist instead of celebrating her sacred rapture. On the contrary, the Hindu bhakti – god possessed tradition recognises such passionate and visceral, even wrathful, utterances as Andal’s as natural to mystics, not aberrant. She obeyed societal mores when she saw them as is evident in the Tiruppavai ; Andal didn’t when she stopped seeing boundaries between herself and divinity, and declared herself the bride of Vishnu in the Nacciyar Tirumoli.
Bio-bibliographies des traducteurs
Priya Sarukkai Chabria est poète, écrivain et traductrice. Ses publications comprennent les recueils de poèmes « Not Springtime Yet : Poems » et « Dialogues and Other Poems », de la science-fiction « Generation 14 » et le roman « The »Other Garden« , un livre de poèmes avec le photographe anglais Christopher Taylor »Immersions : Bombay/Mumbai« . Vient de paraître : »Andal, The Autobiography of a Goddess« , les traductions de la poète-sainte tamoule du IX°s. »Recipient Senior Fellowship to Outstanding Artists in Literature from the Indian government« (à peu près : »Primée par le gouvernement indien par une place dans l’Amicale supérieure des artistes extraordinaires en qualité d’écrivain"), elle a co-dirigé deux colloques pour l’Académie indienne de Littérature.
Son œuvre est publiée dans de nombreuses revues internationales, sur des sites Internet et paraît dans un grand nombre d’anthologies.
Ravi Shankar, fondateur et rédacteur en chef du Drunken Boat [http://www.drunkenboat.com], a publié dix livres et recueils de poésie, dont Language for a New Century : Contemporary Poetry from the Middle East, Asia, and Beyond chez W.W.Norton and Cie, les traductions de la poète-sainte tamoule du IX° siècle Andal (The Autobiography of a Goddess). Deepening Groove a reçu le Prix National Poetry Review. Ses poèmes et essais sont paru dans The New York Times, The Paris Review , The Chronicle of Higher Education, et dans les anthologies de Knopf, Penguin, Scribner, Cambridge, Bloodaxe, University of Iowa Press, Transcript Verlag, et bien d’autres. Il a enseigné à la Columbia University et à la City University de Hong Kong et a partagé sa poésie à travers le monde.
(Page établie grâce à la complicité de Roselyne Sibille)
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