Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Anne-Laure Lussou

lundi 7 février 2022, par Cécile Guivarch

 L’eau de vie

Il
se mirait dedans,
elle
l’a éclaboussé
d’un coup
ses souvenirs
sont revenus.

Enfant, il
sur ce même banc côtier
collé à son grand-père
écoutait ses histoires
tous les jours de l’année.

Quand le ciel
fort, hurlait « tempête »
la mer en écho
giclait des colères
à leurs pieds
jusque sur leurs joues.

Lui, ses mains voulaient
essuyer les gouttes
mais l’ancien c’était un sage
disait "laisse,
les rigoles savent
le chemin".

Ainsi il avait appris
comment la mer, la pluie
les jours de gris
peuvent créer chez les hommes
calmes
des peaux de joie.

Trempé comme le banc
la mémoire rallumée
aujourd’hui
il s’offre
les rides gorgées d’eau,
vivantes.

Tandem général

Ebouriffés par
tant de castagne
est-ce que nous
nous nous
droit devant
sauver les meubles
ou bien
est-ce que nous
nous nous
pas de côté
vers la tangente
plus verte
intérieure

La terre est ridée

En chacun de nous
nous nous
capsules de soleil
       l’espace
       et la balance.

Sole mio

Mes pieds
glissent
océan
agapes
là-haut, ils
les bons hommes
érigent des montagnes
c’est l’heure
de sable
ça sent le parfait
jusque dans le ciel
il est temps de
poser mes falaises
au rythme
« Un, deux – moins vite,
vois comme ça chaloupe – »
des vagues.

Elles

Elle
ne pouvait pas
dire
raconter
l’effroi
de son enfance,
les épines
piquaient
dur.

Pic et pic
et colegram
sa fille
devenue mère
secoua le sac
d’épines
elles la piquaient
elle aussi.
Diras-tu, diras-tu ?

Pic et pic
et colegram
les mots ne
sortirent pas,
ils étaient déjà
enterrés.

Pic et pic
et colegram
ensemble
mère et fille
prirent le fil
tissèrent
à la force
de leurs ventres
et le tissu
vit naître
les traits
de roses.

Tam et tam
et ratatam
l’amour traverse
les nappes
de silence.

 

Entretien avec Clara Regy

Pouvez-vous nous dire ce qui vous a conduit à l’écriture ? La lecture de certains auteurs, certains textes a-t-elle été déterminante ? Et aussi, ce qui vous a donné l’envie de faire découvrir « vos propres textes » ? Ce qui est bien différent !
Ce qui m’a conduite à l’écriture, c’est le goût d’écrire et de lire, dès l’enfance, tout simplement. Je suis devenue journaliste et j’ai beaucoup écrit d’articles pendant 10 ans, en parallèle de quoi j’étais slameuse. Puis j’ai fait une pause, devenue maman. Je me suis formée à l’animation d’ateliers d’écriture, en allant visiter mon propre rapport à l’écrit par la même occasion. Et la poésie est revenue sur mon chemin, avec des découvertes importantes comme Albane Gellé, Mélanie Leblanc, Marc Rémond, poète de Lannion avec lequel j’ai la joie de correspondre au sujet de la poésie. Beaucoup de livres me nourrissent en permanence, dans différents styles ; parmi ceux qui m’ont marquée ces dernières années je peux citer Une vie bouleversée d’Etty Hillesum, Journal de la création de Nancy Huston, Lambeaux de Charles Juliet, Et la lumière fut de Jacques Lusseyran. Quant à l’envie de faire découvrir mes textes, j’en partage certains parce que j’en ai l’élan… Et puis, d’une certaine manière ils ne sont pas forcément « à moi ».

Le choix d’éléments végétaux, de souvenirs de l’enfance teintent à la fois vos écrits de nostalgie et de légèreté. Ecrire ne serait-ce pas chercher un point d’équilibre ? Ces deux thèmes sont-ils, par ailleurs, essentiels pour vous ?
Oui, écrire m’apporte un certain équilibre, une paix ou encore un alignement. En poésie j’aime de plus en plus « laisser place », que les mouvements des mots se fassent entre eux, mes idées et intentions étant à l’arrière-plan. Un tissage se fait, avec aussi le silence. C’est comme aller vers davantage de lâcher prise, dans l’écriture comme dans la vie, s’effacer, à un certain niveau. Quant aux thèmes que vous citez, je ne sais pas trop que dire pour l’enfance (je dirais… le vivant de la vie !). Et la nature, oui, est toujours là.

Avez-vous des rituels d’écriture, lieux, moments, objets indispensables ? Pourquoi cette question ? Pour enrichir l’idée que l’on peut se faire d’un auteur, certes, mais surtout pour vous connaître un peu plus…
Les rituels d’écriture, ce sont aussi ceux de la vie (yoga, méditation entre autres pour moi). J’écris le plus souvent à mon bureau (qui était à ma grand-mère), face aux arbres. Puis je vais les voir, marcher dans le bois. Parfois j’enregistre avec le dictaphone, j’annote dans le carnet. J’aime y mettre des couleurs. Parfois, en amont d’un temps d’écriture, je me mets à l’affût de mots, quelques jours avant, glanés dans les livres, dans les paroles d’autrui, un peu partout… Je me dis que c’est comme une liste qui commence à vivre, laisser des empreintes. Quand vient le temps de l’écriture, quelque chose existe déjà. Et en même temps c’est neuf. J’aime bien ces vers, du poète Gilles Baudry :
« A l’indicible source
puise des mots infusés de printemps
dédiés
à ce qu’il y a de plus frais
en chacun.

Garde la page inapaisée. »

Et pour terminer l’habituelle question (presqu’un rituel) définissez en 3 mots, ce qu’est la poésie pour vous…
Trois fois Vie

Anne-Laure Lussou vit en Bretagne, où elle a d’abord été journaliste agricole après des études d’ingénieur, et slameuse en parallèle. Les thématiques de la nature, du lien que nous tissons avec elle, et du « devenir soi », lui sont centrales. Elle aime faire des ponts entre les mondes.
https://al-lussou.com/


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