Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Anne-Lise Blanchard

dimanche 23 février 2014, par Sabine Huynh

Présentation

Anne-Lise Blanchard vit à Lyon, « une ville entre deux fleuves, aux couleurs italiennes, que je ne me lasse pas de parcourir », dit-elle. De cette mer violette au bord de laquelle elle est née dans la ville blanche d’Alger en 1956 elle dit qu’elle est le lieu de l’origine (qui s’efface) et le fil conducteur de son œuvre. La montagne, lieu de la permanence et de l’ancrage, tient également une place importante dans ses écrits et sa vie. Elle aime en « franchir les cols, porter loin le regard, plein vent, plein espace, pleine lumière ». Elle a exercé trente-six métiers, et, de chorégraphe à thérapeute, accompagné tous les âges de la vie, accordant ou réparant les corps. L’écriture a surgi en 1997, quand elle a quitté les salles de répétition : quelques vingt-cinq livres, pour la plupart de poésie, dont plusieurs recueils de haïkus, des publications en anthologie et dans de nombreuses revues, dont Arpa, Lieux d’Être, Diérèse, Propos2campagne, Bacchanales, Décharge, La Passe, N4728 ; et collaboré aux revues Verso, Lieux d’Être, Diérèse, Interventions à Haute Voix et Coup de soleil. Pour des raisons de santé, elle s’est retirée et a suspendu ses activités depuis 2012, tout en restant attentive aux voix émergentes, auxquelles elle n’a cessé d’apporter son soutien (ayant animé de 2003 à 2010 les fameux « Mardis d’Isabelle », des soirées littéraires et musicales où elle faisait découvrir des auteurs, compositeurs et interprètes de talent). La poète qui dit que le rire et les chapeaux lui vont bien voit son travail et sa voix mis à l’honneur en ce début d’année 2014 dans le n°3 de l’excellente revue littéraire DiptYque (une quinzaine de pages de textes, la plupart des inédits), revue animée par Florence Noël, que nous avions eu le plaisir d’accueillir dans le passé dans Terre à ciel (rubrique « Affinités poétiques »). Enfin, n’oublions pas de mentionner le dossier que la non moins excellente revue Diérèse avait consacré à Anne-Lise Blanchard en 2009 (n°45, été 2009).
(Photo © Sally Bataillard)

Extraits de Copeaux des saisons

A l’ombre du figuier

Je recense mes paysages

tableau pour une vie

De petits bras d’enfants

enlacent silence et ciel

si clair est le jour

Dahlias blancs

vous éclaricissez l’hiver

tendu à mes lèvres

Comme oiseaux transis

les bateaux sous la tempête

serrés flanc à flanc

La chair de la figue

son duvet lissé du doigt

cède sous nos dents



Extraits de Éclats

Nous guettons un ciel de Magritte

quand le jour est encore bleu pas tout-à-fait noir

Le ciel verse un gris épais

Quelle saison

broder aujourd’hui

Noyés

les oiseaux

petits courages

rentrés au terrier

Vignes devenues rizières

A contresens du rail

l’un derrière l’autre

ils allaient libres

rassemblés dans leur beauté blonde

offrande du jour

ce couple de chevaux

Au petit jour

le jardin déplie ses jambes

en une mélodie

mouillée qui donne

légèreté

de pouliche



Extrait de Apatride vérité : « La vérité nue, froissée »

Entre nous, ces quelques mots, très chère,
pas d’imaginaire
pas d’image à naître
ces quelques mots de terre et de poussière
terre foulée chant refoulé
poussière d’âmes

Entre nous, juste ces quelques mots
de vies à terre
de vie à taire d’une genèse
écharpée qui gêne à fustiger
genèse à l’échouage

Entre nous, très chère, ces quelques mots
de chair aux crocs des
bouchers de chair dé-
pecée éclatée aux points cardinaux
d’une terre accouchée avant
de s’affaisser

Juste quelques mots de chair, dits à demi
parce que la vie
les cimetières sans la vigne
feuillages sans cisailles
césure des champs

Caressés, des mots de chair et de terre
pas sèches les plaies
passez dessus s’il vous plaît
de chair et de terre
que lacère la gourme de clercs
sans échine

Chacun isolé avance chancelant
dans le gisement des choses tues
longue marche sous une neige
sans tristesse
sans bannière

Entre nous encore, disons-le tout bas
ces choses tuent
à peine ébauchées sous le joug de
branches sèches
brasiers délétères

En toute confidence, bon voisinage
sans vous froisser
sans qu’un froid s’installe
ces quelques mots de marcheurs
de sel de sang
marcheurs cassés qui s’esseulent

Entre nous dis-je, dans leur geste
de sel sauvage
de plage en flammes
ciel rouge en poche
ne peuvent consentir aux morts sans linceul

Effroi, la vérité nue nouée
nous reprocherait la mort
pas habitués à voir
qu’ils l’étreignent la vérité
nue froissée c’est du passé
passez ô nuages

Entre nous sans vous froisser
ces gens exsangues
ces gens d’autres rivages
leur chagrin implosant
infranchissable en cendres

Entre nous la vérité nue
froissée la vérité nue vous dis-je
ne traîne rien que son frein
se cache dans les cercueils des-
cellés ossements que disperse
la blancheur du sable

Que vous la taisiez ou pas, la vérité
froissée éviscérée
non ne faites pas l’ange
s’installe indécente
au bout du silence

Bouches qui soliloquent la nue froissée
vérité____________pages
lancinantes
chaînes d’encre sur la neige
enfle le sang des enfants
dépositaires de secrets de chêne

Entre nous des mots de pierre
vous dis-je verrouillent
les chiffres froissés
prisonniers les noms
que soupirent les coquillages

Et des murs en vrille
sachez les hargnes de fer
se fracassent et tant de corps
d’écorchés d’errants
s’égarent
voyage solitaire

Ils se raccrochent lèvres
scellées à l’appât
l’apatride vérité



Extraits de Le jour se tait

Un contre-jour
glissa
entre ses omoplates
ses clavicules
firent
grise mine

L’éclat
d’un instant
elle porta
l’opacité
du monde
quand le ciel
dans une immense mue
baisa
son visage

Je tire mes rideaux
sur la pierre précieuse
que fut cette journée
bruissante
de braises perdues
d’éclaircies
de rires d’enfants

Je laisse venir
l’apaisement
du silence
le sourire
qu’avec délicatesse
me restituent
mes anges gardiens

Nous froissons
un murmure
sans y prêter
plus d’ attention
encore un pas
doucement

pour se laisser
soulever
jusqu’aux feuilles

s’approcher
de l’éternité

Le temps s’accroche aux volets____opacité
elle n’ose pas écarter
ce qu’elle a brodé
la femme fatiguée
femme de craie

la femme cachée qui ne voit rien d’autre
que les morceaux dispersés
de sa fin poursuit
l’ascension des façades froides
en quête d’ailes en toutes langues

Derrière les rideaux verts
elle contemple
l’herbe grise
une traîne de voitures en basse vitesse
des éclats de boue
la sérénité d’apparat des charolaises.
Elle finit par
y trouver une grâce.



Extraits de Anonyme euphorbe

Il y aurait une vallée

à creuser

un relief à modeler

n’importe n’importe où

pourvu que l’entaille

de l’attente s’entretienne vive

des pans de nous-mêmes affaissés

nous inventons

sans mesure

une déchirure partagée

Pin érigé

face au vent

j’ai embrassé l’obscur

fouaillé le feuilleté stérile

des jours à venir

te nommant

t’ emportant dans le silence

d’une plaie nue

traversée par la nuit

D’immobilité nue et rude

dans la lumière

j’ai délaissé le voir-clair

privilège

grandi avec moi

t’implorant

comme un pan de terre

depuis un naufrage

quand les yeux voient beau



Extrait de Le bleu violent de la vie

Père, mère, vous êtes si jeunes encore,
de cette jeunesse qu’on n’a pas entièrement vécue.
Jamais je ne vous ai entendu pleurer une jeunesse qui fut.
Elle vous a été volée et vous taisez ce vol comme une honte.
Père, mère, je vous en supplie,
parlez-moi de ce que vous aviez entrevu ensemble de votre avenir.
Puisque je suis là, simplement là.
De loin en loin se dévoile l’ancienne blessure, tue sur cette terre nouvelle.
Alors c’est comme si un suint affleurait sous des bandages bien serrés.
Cette chose, vous la taisiez pour l’effacer.
Mais ce silence comme une tâche vous accusait alors que vous étiez innocents.



Extraits de Ascèse des corps

Obscure
claire pourtant
d’un soleil tourné
vers l’intérieur
avec
un souci de
chair

A toutes jambes
immobile

déjà
remplie de lui

face à
son debout végétal

Comme
une obsession

l’ombre
mauve de ses
bleus
en bordure
des mots

Analphabète
de corps
langue mutique

les yeux se taisent
sur
l’âme qui
boite



Extraits de Qui entend le jargon de l’oie

Voix ténue d’enfant

une forte odeur de café

vibration des riens

Cris et ricochets

foin qui débourre les poumons

dimanche d’été près de l’eau

Le rire de l’oiseau

à l’oblique des murs gris

surprend en nous l’enfance

Dans ta voix d’enfance

cueillir à tes lèvres sans rature

le rouge de la forêt

L’homme s’est avancé

sur ma joue a posé un baiser

la ville fleurit rouge

Eté bel été

les corps dans leur véraison

agacent le lin

Deux tresses qui volent

un jupon de mousseline

elle traverse l’été

Point rouge sur ma page

la coccinelle un instant encore

simple rappel au vivant



Extraits de Un silence de lait et de terre

Un plissé blanc
des socquettes roulées
petite page d’histoire
froissée
jetée là
sur le pont d’un bateau
anonyme

La lumière
a changé ce matin.
On ne sait quoi
nous fait désirer
une course
sur l’herbe encore couchée
et plutôt que les mots d’un désastre
des parfums de mer

Prendre la mesure
du plus petit coquillage face au ciel
ciel absolument
bleu ciel

comme lui se retirer
d’une enveloppe trop juste
et laisser monter la marée
du silence

Parce qu’elle était là
îlot
innommé
dans la brûlure du matin
quand l’air sur la peau
a le coupant de la pierre

j’ai croisé mes mains
de terre
de silence
comme on tresse des chants
aux montagnes aux rivières

et je l’ai inscrite
vibrante
sans rature
sur l’ardoise du temps
avec ses galets sa molasse sa nudité
la petite église de Saint-Didier.

Poussière de fin
d’après-midi

l’âme verte du jeune saule
tamise
les renoncements inscrits
sur les visages.



Extraits de Avant l’été

Temps d’avant l’été
quand ce harcèlement
dans son exubérance

de sons mouchetés
vous rappelle à l’enfance
qui trépigne

____________________on ne sait plus bien
____________________si le souvenir
____________________est un bonheur rond
____________________ou cerne de blessure

____Traces
________d’une éphémère traversée
________blanc sur blanc

____Sa petite vie
____poème
____ou herbe sauvage
____n’a de sens que pour les printemps
____dépeuplés
____qui la précèdent

____Froissement de terre
____sous le soleil d’octobre
____son parcours frêle d’échassier
____pas encore jeune fille

________Elle fait éclore l’espace
________toujours plus grand du silence



Bibliographie

  • Ascèse des corps, avec 2 reproductions d’Isis Olivier (Encre et Lumière, 2012)
  • Au près, suminagashi de Véronique Agostini (éditions Les Aresquiers, 2012)
  • Copeaux des saisons, photographies de Josette Vial (Corps Puce, 2011)
  • Éclats, Livret n° 24, collection &, sur des photographies d’éOle (Eclats d’Encre, 2010)
  • Un jour après l’autre, préface de Jean Chatard, illustration d’Isabelle Clément, (Editions Henry, 2009)
  • Anonyme euphorbe, préface d’Alain Wexler, acrylique de Vio (Carnets du Dessert de Lune, 2009)
  • Un silence de lait et de terre, préface de Chantal Dupuy-Dunier (Editions de l’Atlantique, 2009)
  • Le jour se tait, photographie de Josette Vial (Jacques André éditeur, 2008)
  • Chanson gelée pour un lé de terre (La Porte, 2008)
  • Sur les paupières du vent (poésie jeunesse), gouaches de Matt Mahlen (Donner A voir, 2008)
  • Apatride vérité, ill. de Vincent Rougier (Rougier V. éditions, 2008)
  • Taille en vert (La Porte, 2006)
  • La Courbe douce de la grenade (récit), préface de Dominique Daguet (Cahiers Bleus / Librairie Bleue, 2006)
  • Qui entend le jargon de l’oie, avec le concours du CNL, (Eclats d’encre, 2006)
  • Envers, gravures de Bernadette Planchenault (bibliophilie) (Empreintes, 2006)
  • Au point de naissance du vent, encre de Cécile Crest (Sang d’encre, 2006)
  • Plein espace vite, illustration de Marie-Hélène Ramon (Jacques André éditeur, 2005)
  • Avant l’été (pré # carré, 2005)
  • Comptines pour petits dégourdis, aquarelles d’Agnès de Boyer (éditions du Cosmogone, 2005)
  • Le Bleu violent de la vie, avant-propos de Jean-Claude Xuereb (Orage-Lagune-Express, 2004)
  • La Beauté qui nous est donnée (Eclats d’encre, 2004)
  • Sel, poème avec une gravure de Bernadette Planchenault (Empreintes, 2004)
  • Traverser le jour blanc, préface de Jean-Pierre Lemaire (Sac à mots, 2004)
  • Ce chant étroit, avant-propos de Monique Rosenberg (Interventions à Haute Voix, 2003)
  • Chemins d’eau et entrelacs, préface de Madeleine Carcano (Librairie-Galerie Racine, 2002)
  • Le Cru et le frêle, illustration de Gallino (Encres Vives, 2001)
  • La Fluidité du héron, illustration de M-H. Ramon, présentation de Jacques Ferlay (Clapàs, 2001)
  • Aux confins du vent (Clapàs, 2000)
  • Croisés du silence, présentation de Marie-Ange Sébasti, illustration de Gallino (Encres Vives, 2000)

Site d’Anne-Lise Blanchard : Anne-Lise Blanchard poésie




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