Présentation
Anne-Lise Blanchard vit à Lyon, « une ville entre deux fleuves, aux couleurs italiennes, que je ne me lasse pas de parcourir », dit-elle. De cette mer violette au bord de laquelle elle est née dans la ville blanche d’Alger en 1956 elle dit qu’elle est le lieu de l’origine (qui s’efface) et le fil conducteur de son œuvre. La montagne, lieu de la permanence et de l’ancrage, tient également une place importante dans ses écrits et sa vie. Elle aime en « franchir les cols, porter loin le regard, plein vent, plein espace, pleine lumière ». Elle a exercé trente-six métiers, et, de chorégraphe à thérapeute, accompagné tous les âges de la vie, accordant ou réparant les corps. L’écriture a surgi en 1997, quand elle a quitté les salles de répétition : quelques vingt-cinq livres, pour la plupart de poésie, dont plusieurs recueils de haïkus, des publications en anthologie et dans de nombreuses revues, dont Arpa, Lieux d’Être, Diérèse, Propos2campagne, Bacchanales, Décharge, La Passe, N4728 ; et collaboré aux revues Verso, Lieux d’Être, Diérèse, Interventions à Haute Voix et Coup de soleil. Pour des raisons de santé, elle s’est retirée et a suspendu ses activités depuis 2012, tout en restant attentive aux voix émergentes, auxquelles elle n’a cessé d’apporter son soutien (ayant animé de 2003 à 2010 les fameux « Mardis d’Isabelle », des soirées littéraires et musicales où elle faisait découvrir des auteurs, compositeurs et interprètes de talent). La poète qui dit que le rire et les chapeaux lui vont bien voit son travail et sa voix mis à l’honneur en ce début d’année 2014 dans le n°3 de l’excellente revue littéraire DiptYque (une quinzaine de pages de textes, la plupart des inédits), revue animée par Florence Noël, que nous avions eu le plaisir d’accueillir dans le passé dans Terre à ciel (rubrique « Affinités poétiques »). Enfin, n’oublions pas de mentionner le dossier que la non moins excellente revue Diérèse avait consacré à Anne-Lise Blanchard en 2009 (n°45, été 2009).
(Photo © Sally Bataillard)
Extraits de Copeaux des saisons
A l’ombre du figuier
Je recense mes paysages
tableau pour une vie
De petits bras d’enfants
enlacent silence et ciel
si clair est le jour
Dahlias blancs
vous éclaricissez l’hiver
tendu à mes lèvres
Comme oiseaux transis
les bateaux sous la tempête
serrés flanc à flanc
La chair de la figue
son duvet lissé du doigt
cède sous nos dents
Extraits de Éclats
Nous guettons un ciel de Magritte
quand le jour est encore bleu pas tout-à-fait noir
Le ciel verse un gris épais
Quelle saison
broder aujourd’hui
Noyés
les oiseaux
petits courages
rentrés au terrier
Vignes devenues rizières
A contresens du rail
l’un derrière l’autre
ils allaient libres
rassemblés dans leur beauté blonde
offrande du jour
ce couple de chevaux
Au petit jour
le jardin déplie ses jambes
en une mélodie
mouillée qui donne
légèreté
de pouliche
Extrait de Apatride vérité : « La vérité nue, froissée »
Entre nous, ces quelques mots, très chère,
pas d’imaginaire
pas d’image à naître
ces quelques mots de terre et de poussière
terre foulée chant refoulé
poussière d’âmesEntre nous, juste ces quelques mots
de vies à terre
de vie à taire d’une genèse
écharpée qui gêne à fustiger
genèse à l’échouageEntre nous, très chère, ces quelques mots
de chair aux crocs des
bouchers de chair dé-
pecée éclatée aux points cardinaux
d’une terre accouchée avant
de s’affaisserJuste quelques mots de chair, dits à demi
parce que la vie
les cimetières sans la vigne
feuillages sans cisailles
césure des champs
Caressés, des mots de chair et de terre
pas sèches les plaies
passez dessus s’il vous plaît
de chair et de terre
que lacère la gourme de clercs
sans échineChacun isolé avance chancelant
dans le gisement des choses tues
longue marche sous une neige
sans tristesse
sans bannièreEntre nous encore, disons-le tout bas
ces choses tuent
à peine ébauchées sous le joug de
branches sèches
brasiers délétèresEn toute confidence, bon voisinage
sans vous froisser
sans qu’un froid s’installe
ces quelques mots de marcheurs
de sel de sang
marcheurs cassés qui s’esseulent
Entre nous dis-je, dans leur geste
de sel sauvage
de plage en flammes
ciel rouge en poche
ne peuvent consentir aux morts sans linceulEffroi, la vérité nue nouée
nous reprocherait la mort
pas habitués à voir
qu’ils l’étreignent la vérité
nue froissée c’est du passé
passez ô nuagesEntre nous sans vous froisser
ces gens exsangues
ces gens d’autres rivages
leur chagrin implosant
infranchissable en cendresEntre nous la vérité nue
froissée la vérité nue vous dis-je
ne traîne rien que son frein
se cache dans les cercueils des-
cellés ossements que disperse
la blancheur du sable
Que vous la taisiez ou pas, la vérité
froissée éviscérée
non ne faites pas l’ange
s’installe indécente
au bout du silenceBouches qui soliloquent la nue froissée
vérité____________pages
lancinantes
chaînes d’encre sur la neige
enfle le sang des enfants
dépositaires de secrets de chêneEntre nous des mots de pierre
vous dis-je verrouillent
les chiffres froissés
prisonniers les noms
que soupirent les coquillagesEt des murs en vrille
sachez les hargnes de fer
se fracassent et tant de corps
d’écorchés d’errants
s’égarent
voyage solitaireIls se raccrochent lèvres
scellées à l’appât
l’apatride vérité
Extraits de Le jour se tait
Un contre-jour
glissa
entre ses omoplates
ses clavicules
firent
grise mineL’éclat
d’un instant
elle porta
l’opacité
du monde
quand le ciel
dans une immense mue
baisa
son visage
Je tire mes rideaux
sur la pierre précieuse
que fut cette journée
bruissante
de braises perdues
d’éclaircies
de rires d’enfantsJe laisse venir
l’apaisement
du silence
le sourire
qu’avec délicatesse
me restituent
mes anges gardiens
Nous froissons
un murmure
sans y prêter
plus d’ attention
encore un pas
doucementpour se laisser
soulever
jusqu’aux feuilless’approcher
de l’éternité
Le temps s’accroche aux volets____opacité
elle n’ose pas écarter
ce qu’elle a brodé
la femme fatiguée
femme de craiela femme cachée qui ne voit rien d’autre
que les morceaux dispersés
de sa fin poursuit
l’ascension des façades froides
en quête d’ailes en toutes langues
Derrière les rideaux verts
elle contemple
l’herbe grise
une traîne de voitures en basse vitesse
des éclats de boue
la sérénité d’apparat des charolaises.
Elle finit par
y trouver une grâce.
Extraits de Anonyme euphorbe
Il y aurait une vallée
à creuser
un relief à modeler
n’importe n’importe où
pourvu que l’entaille
de l’attente s’entretienne vive
des pans de nous-mêmes affaissés
nous inventons
sans mesure
une déchirure partagée
Pin érigé
face au vent
j’ai embrassé l’obscur
fouaillé le feuilleté stérile
des jours à venir
te nommant
t’ emportant dans le silence
d’une plaie nue
traversée par la nuit
D’immobilité nue et rude
dans la lumière
j’ai délaissé le voir-clair
privilège
grandi avec moi
t’implorant
comme un pan de terre
depuis un naufrage
quand les yeux voient beau
Extrait de Le bleu violent de la vie
Père, mère, vous êtes si jeunes encore,
de cette jeunesse qu’on n’a pas entièrement vécue.
Jamais je ne vous ai entendu pleurer une jeunesse qui fut.
Elle vous a été volée et vous taisez ce vol comme une honte.
Père, mère, je vous en supplie,
parlez-moi de ce que vous aviez entrevu ensemble de votre avenir.
Puisque je suis là, simplement là.
De loin en loin se dévoile l’ancienne blessure, tue sur cette terre nouvelle.
Alors c’est comme si un suint affleurait sous des bandages bien serrés.
Cette chose, vous la taisiez pour l’effacer.
Mais ce silence comme une tâche vous accusait alors que vous étiez innocents.
Extraits de Ascèse des corps
Obscure
claire pourtant
d’un soleil tourné
vers l’intérieur
avec
un souci de
chair
A toutes jambes
immobiledéjà
remplie de luiface à
son debout végétal
Comme
une obsessionl’ombre
mauve de ses
bleus
en bordure
des mots
Analphabète
de corps
langue mutiqueles yeux se taisent
sur
l’âme qui
boite
Extraits de Qui entend le jargon de l’oie
Voix ténue d’enfant
une forte odeur de café
vibration des riens
Cris et ricochets
foin qui débourre les poumons
dimanche d’été près de l’eau
Le rire de l’oiseau
à l’oblique des murs gris
surprend en nous l’enfance
Dans ta voix d’enfance
cueillir à tes lèvres sans rature
le rouge de la forêt
L’homme s’est avancé
sur ma joue a posé un baiser
la ville fleurit rouge
Eté bel été
les corps dans leur véraison
agacent le lin
Deux tresses qui volent
un jupon de mousseline
elle traverse l’été
Point rouge sur ma page
la coccinelle un instant encore
simple rappel au vivant
Extraits de Un silence de lait et de terre
Un plissé blanc
des socquettes roulées
petite page d’histoire
froissée
jetée là
sur le pont d’un bateau
anonyme
La lumière
a changé ce matin.
On ne sait quoi
nous fait désirer
une course
sur l’herbe encore couchée
et plutôt que les mots d’un désastre
des parfums de mer
Prendre la mesure
du plus petit coquillage face au ciel
ciel absolument
bleu cielcomme lui se retirer
d’une enveloppe trop juste
et laisser monter la marée
du silence
Parce qu’elle était là
îlot
innommé
dans la brûlure du matin
quand l’air sur la peau
a le coupant de la pierrej’ai croisé mes mains
de terre
de silence
comme on tresse des chants
aux montagnes aux rivièreset je l’ai inscrite
vibrante
sans rature
sur l’ardoise du temps
avec ses galets sa molasse sa nudité
la petite église de Saint-Didier.
Poussière de fin
d’après-midil’âme verte du jeune saule
tamise
les renoncements inscrits
sur les visages.
Extraits de Avant l’été
Temps d’avant l’été
quand ce harcèlement
dans son exubérancede sons mouchetés
vous rappelle à l’enfance
qui trépigne____________________on ne sait plus bien
____________________si le souvenir
____________________est un bonheur rond
____________________ou cerne de blessure
____Traces
________d’une éphémère traversée
________blanc sur blanc____Sa petite vie
____poème
____ou herbe sauvage
____n’a de sens que pour les printemps
____dépeuplés
____qui la précèdent
____Froissement de terre
____sous le soleil d’octobre
____son parcours frêle d’échassier
____pas encore jeune fille________Elle fait éclore l’espace
________toujours plus grand du silence
Bibliographie
- Ascèse des corps, avec 2 reproductions d’Isis Olivier (Encre et Lumière, 2012)
- Au près, suminagashi de Véronique Agostini (éditions Les Aresquiers, 2012)
- Copeaux des saisons, photographies de Josette Vial (Corps Puce, 2011)
- Éclats, Livret n° 24, collection &, sur des photographies d’éOle (Eclats d’Encre, 2010)
- Un jour après l’autre, préface de Jean Chatard, illustration d’Isabelle Clément, (Editions Henry, 2009)
- Anonyme euphorbe, préface d’Alain Wexler, acrylique de Vio (Carnets du Dessert de Lune, 2009)
- Un silence de lait et de terre, préface de Chantal Dupuy-Dunier (Editions de l’Atlantique, 2009)
- Le jour se tait, photographie de Josette Vial (Jacques André éditeur, 2008)
- Chanson gelée pour un lé de terre (La Porte, 2008)
- Sur les paupières du vent (poésie jeunesse), gouaches de Matt Mahlen (Donner A voir, 2008)
- Apatride vérité, ill. de Vincent Rougier (Rougier V. éditions, 2008)
- Taille en vert (La Porte, 2006)
- La Courbe douce de la grenade (récit), préface de Dominique Daguet (Cahiers Bleus / Librairie Bleue, 2006)
- Qui entend le jargon de l’oie, avec le concours du CNL, (Eclats d’encre, 2006)
- Envers, gravures de Bernadette Planchenault (bibliophilie) (Empreintes, 2006)
- Au point de naissance du vent, encre de Cécile Crest (Sang d’encre, 2006)
- Plein espace vite, illustration de Marie-Hélène Ramon (Jacques André éditeur, 2005)
- Avant l’été (pré # carré, 2005)
- Comptines pour petits dégourdis, aquarelles d’Agnès de Boyer (éditions du Cosmogone, 2005)
- Le Bleu violent de la vie, avant-propos de Jean-Claude Xuereb (Orage-Lagune-Express, 2004)
- La Beauté qui nous est donnée (Eclats d’encre, 2004)
- Sel, poème avec une gravure de Bernadette Planchenault (Empreintes, 2004)
- Traverser le jour blanc, préface de Jean-Pierre Lemaire (Sac à mots, 2004)
- Ce chant étroit, avant-propos de Monique Rosenberg (Interventions à Haute Voix, 2003)
- Chemins d’eau et entrelacs, préface de Madeleine Carcano (Librairie-Galerie Racine, 2002)
- Le Cru et le frêle, illustration de Gallino (Encres Vives, 2001)
- La Fluidité du héron, illustration de M-H. Ramon, présentation de Jacques Ferlay (Clapàs, 2001)
- Aux confins du vent (Clapàs, 2000)
- Croisés du silence, présentation de Marie-Ange Sébasti, illustration de Gallino (Encres Vives, 2000)
Site d’Anne-Lise Blanchard : Anne-Lise Blanchard poésie