Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Béatrice Pailler

jeudi 30 novembre 2023, par Cécile Guivarch

Rares sont les parcours de vie linéaires. Nous allons et choix et nécessités font que rien ne se passe comme imaginé. J’ai ainsi évolué des sciences de la vie à l’animation socioculturelle puis au métier de libraire pour un jour écrire de la poésie. Je pense toutefois que nos vies sont le fruit de notre enfance. Je suis née en 1966 dans une famille modeste. Mon père était artisan coiffeur et ma mère s’occupait de toutes les activités annexes allant de l’entretien du linge (peignoirs et serviettes) à la comptabilité. Une famille modeste où chaque franc comptait mais où les livres étaient présents. Pas un anniversaire, un Noël ou des vacances sans livre. Mon père embauché à quatorze ans comme apprenti coiffeur s’était forgé sa propre culture, celle de son choix : une culture passion orientée vers l’histoire et les milieux naturels. Maman qui avait été jusqu’au bac et fait un peu de droit et d’anglais préférait les romans. Petite, j’ai beaucoup fait l’enfant. J’ai joué avec le ciel, le vent, l’arbre. Je me suis roulée dans l’herbe et j’ai lu jusqu’à l’oubli du présent. Pour moi l’extérieur était magique celui du dehors comme celui du livre. Mon parcours vient de là, de mon enfance auprès de parents aimants ayant le goût des livres et le respect du savoir. L’année de mon brevet des collèges la lecture de Regain transforme mon horizon. Jean Giono ne me quittera plus. Mon goût pour une langue sensitive, charnelle, puissante, riche de l’imaginaire des mots était né.

J’ai tellement reçu de tous les écrivains et poètes que j’ai lus qu’un jour l’écriture est venue. J’étais prête à l’accueillir. Alors, j’ai endossé la patience de l’artisan et j’ai cent fois sur ma page posé mes mots, joué de leur sens, de leur tonalité pour que naisse la musique du poème. Cet amour d’une belle langue travaillée, sonore, allié au noyau indissociable que forme l’humanité, la nature et l’infini, se retrouvent dans tous mes recueils. Ainsi depuis 2012, je construis mon univers poétique.

En 2021 je rencontre Marie Alloy des éditions Le Silence qui roule. Début 2022 nous travaillons ensemble à la publication de L’autre versant. En juin de cette même année ce recueil dédié à mes parents intègre les éditions rejoignant entre autres ceux de Jean-François Mathé, Gérard Bocholier, Nicole Euvremer…..
En janvier 2023 L’autre versant reçoit le prix Louis Guillaume du poème en prose.

Extraits de L’autre versant éditions Le Silence qui roule 2022

Fenêtres de Février (extraits)

L’ailleurs sans témoin s’invente d’un mot. Autre, il est autre, unique sous la paupière de l’heure. Aux portes de longue attente, premier pas du rêve, le poème pour viatique. Traversée sans nom, loin des fontaines, loin du pain, aveugle. La promesse est devant.

Un nom de terre, bois et buissons en semailles, un nom intouché, l’origine de chacun. Dans l’œil tatoué du lieu s’inscrit l’intime. Témoin de l’ailleurs, le marcheur va cherchant le lieu. Dans un retour à hier, images sauves du réel, il rejoint sa promise.

Des regards qui sont à lire, comme on sait écouter. Silence du souvenir. A-t-on manqué ? Pain blanc, pain noir, chaleur du ventre. A-t-on manqué ? Drap blanc, drap noir, pâleurs des voix. Peu de paroles, peu de gestes, toujours la main absente revient en mémoire.

Le sommet inaccessible. L’autre versant quel est- il ? L’oiseau s’y posera suivi du regard qui l’accompagne. Devançant l’espace, le neutralisant, l’œil gravit l’obstacle. L’ailleurs qu’il façonne le libère du réel. Un rêve à la mesure de l’infini.

Extraits de D’Écorce de sable, tiré à part de la revue À L’INDEX 2022, avec des encres de Jean-Marc Barrier

Temps (extraits)

Temps libre sur pierre, l’eau s’écoule du bassin, ventre de la clepsydre. Verse un temps rond, un temps d’eau et de marne. Le temps stagne, la vie fructifie. Monte en graine le désir.

Refermé sur le soir : le temps, sa vigueur opiniâtre pareille au cri de la mésange. L’aigu d’un ongle s’enfonçant dans la paume. S’ouvre la corolle des doigts. Sur l’aile du cri, le temps florissant.

Le temps perdu a saveur de pain. Jamais sec tant la vie le nourrit. Alors la mésange viendra. Son temps n’est pas le nôtre, mais l’attente l’appelle. Elle viendra autour du pain et l’inquiète danse cessera.

Extraits de L’En-Joie (recueil inédit)

Vie de la bête
le feu simple de la joie.
Mais à l’homme
sa braise consumée.

Retrouver
avant de quitter
ce brasier de joie
qu’est le monde.

Hier lointain
vêtus de vent
nous étions
de terre et de ciel.

Partout régnaient
sèves et sangs.
Partout s’offraient
chairs et ramures.

À force joie
l’émerveillement
brûlant nos corps
éveillait nos cœurs.

Nous buvions
à la source monde
nous étions lui
parcelles de son élan.

Mais aujourd’hui
vêtus d’obscur
hors le monde
nous allons.

Que tombe le voile
et nous serons
de nouveau
en joie.

Merveille est le monde
lumière son haleine
eau son chant
une chair de fièvre.

Jouir du vol
jouir de la course
c’est la joie
sueur sur peaux.

Ivresse solaire
ivresse du croître
c’est la joie
sève sur ciel.

Extraits de Terre des uns Terre de tous (recueil inédit)

Appartenance
Un mot à fleur de peau
Troublant l’âme
Autant que la chair.

Il nous dit la naissance
Les mères inquiètes
Les pères aux aguets
Le premier lait
Son goût de larmes.

Il révèle l’insoupçonné
D’une Terre féconde
De ces présences, à nos vies liées
Celles de l’arbre, de la bête
Jusqu’au silence de la roche.

Appartenance
Un mot tel un lieu
Un mot de filiation
Et d’attachement.

Il nous parle d’humanité
D’un tout inaliénable
D’une force indéfectible
Où chaque être s’enracine
Où vivre est une alliance.
Ventre ou glèbe
De sang, de sève
Naître ici ou ailleurs
Mais Naître au monde
Pour l’évidence d’Être.

Appartenance
Lieu du natal
Une Terre
Pour tous.

J’appartiens à une Terre
Où vivre de vert et de bleu
C’est vivre d’arbres et de ciel.
Où renouer avec le silence
C’est renouer avec le vivant
Des odeurs, des couleurs
Celui des voix furtives
Qui sont corps en mouvement
Vent dans les branches.

J’appartiens à une Terre
Où toutes présences
Raconte l’eau.
Une Terre d’épousailles
Où, dans l’intime des pluies
Se goûtent le monde
Et ses heures filant lumière
Au rouet du temps

Extrait de NOCES (recueil inédit)

CHANT II

Du ciel enceint
La lumière
Met bas l’été.

La membrane solaire
Contracte ses fluides.
Vagues accouchées
La chaleur est là.

Ta chaleur est là,
Féconde à ma peau.
La chaleur fond sur nos peaux.

Elle est là cherchant l’ombre
Sur le corps
Lacis des sources
Dans le corps
Puits des cavités.

La chaleur a soif
Elle cherche l’eau.

J’ai soif.
Je cherche ton eau
Moisson de ma soif.

Là, où la chaleur s’étend
L’eau pousse.
Eau des plis
Eau des sillons
Eau des pâtures d’été.

Animal
Ma langue pâture
Cueillant l’été
Des bruyères de tes landes.

Et la chaleur s’ancre
Aux margelles intimes.
Là où le corps s’embue
Elle s’amende baignée.

Nos haleines se nouent
Et je m’abouche à tes fontaines.
Nos peaux salivent
Je m’ouvre à tes sources.

À l’étal de l’été
L’eau s’est dissipée.

La pierre s’ombre.
Laie de souille
L’eau se lit
Saumâtre.

L’humide est au corps.

Ta peau est un champ humide
Vivier où je m’allonge
Portée
Soulevée
Elle boit mes reflets
Mes éclats
Mes troubles.

Aux chaleurs épousées
Germe le sel.
Sur les peaux
Enceintes d’été
Le corps est un fruit.

À nos corps-genèse l’infini.

Bibliographie

  • L’autre versant, 2022, prix Louis Guillaume 2023, aux Éditions Le Silence qui roule
  • D’Écorce de Sable, 2022, avec des encres de Jean-Marc Barrier ; tiré à part de la revue À L’INDEX collection Les Plaquettes
  • Louves, 2021, collection Fibre.s, livret dépliable avec un œuvre de Valérie Rouillier aux Éditions la tête à l’envers
  • SACRE, 2019, aux Éditions Racine & Icare.
  • Goûte L’Eau, 2018, avec des encres de Claude Jacquesson ; tiré à part de la revue À L’INDEX collection Les Plaquettes.
  • ALBEDO, 2018, aux Éditions Encres Vives.
  • Mouvements, Panta Rhei, 2017 Poésie en voyage aux Éditions La Porte.
  • Jadis un ailleurs, 2016, recueil réunissant : L’heure métisse et Motifs, collection Poètes des Cinq Continents, aux Éditions L’Harmattan.

Livres d’Artiste

Participations aux livres d’artiste de Maria Desmée pour son anthologie de poésie contemporaine à voir dans les collections du Musée Paul Valéry de Sète, ainsi qu’aux livres pauvres de Daniel Leuwers.

Participations aux revues

Souffles, Traversées, Décharge, À L’INDEX, ARPA, Haies Vives, Écrit(s) du Nord, Poésie première, Les hommes sans épaules, Terre à ciel, Recours au poème, Concerto pour marées et silence revue, Diérèse, la Pierre et le Sel, Le jeudi des mots, Verso, Phoenix, Francopolis, Lettres Capitales et Possibles


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