Bord de l’autre | « un cadavre exquis »
Le livre, l’éditeur
La voix du poème rassemble des personnes qui écrivent et aiment partager la poésie. Sa collection Feuilles ou ses recueils anthologiques suscitent des rencontres et des ? ?créations ? ?entre poètes et plasticiens... à chaque parution, le cercle s’élargit, la rencontre des textes ? ?et des personnes ?, des poèmes et des images, ouvre de nouveaux espaces pour les auteurs et les lecteurs, des amitiés, des expériences artistiques et humaines.
Ce projet – qui a constitué une exposition et un livre – s’est déroulé de juin 2015 à janvier 2016 : un peintre envoie une œuvre à un poète, qui écrit un poème à partir de son ressenti de l’œuvre puis envoie son texte à un autre peintre, qui n’a pas vu la première peinture…
Ainsi chacun participe en ne connaissant que l’étape d’avant, et la révélation de l’ensemble a eu lieu en mars 2016 à l’occasion du Printemps des poètes, par les expositions à Octon, puis Pézenas (Hérault).
Le livre est constitué d’une pochette qui contient deux dépliants dix volets reprenant chacun 5 œuvres picturales et 5 poèmes. L’un des dépliants est initié par une image de Juan Carlos Mestre, l’autre par un poème de Armand Dupuy. Un troisième dépliant présente les participants au projet | Avant-propos de Armand Dupuy | prix 15 euros, sur commande à lavoixdupoeme@yahoo.fr
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Les dix plasticiens :
Juan Carlos Mestre, Claude Abad, Marie-Claire Avesque, Claude Eyraud,
Gilbert Houbre, Emmanuelle Jamme, Bérénice Mollet, Robert Lobet,
Michèle Philippe-Arellano, Alma Roccella.
Les dix poètes :
Armand Dupuy, Jean-Luc Aribaud, Jean-Marc Barrier,
Quine Chevalier, Françoise Escholier, Régine Foloppe, Dani Frayssinet,
Pierre Frigola, Noée Maire, Hélène Mouraret.
Direction artistique : Jean-Marc Barrier et Jean-Marie de Crozals
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La quatrième de couverture :
Dix poètes et dix plasticiens sont emmenés dans Bord de l’autre par Juan Carlos Mestre et Armand Dupuy, tous deux peintres et poètes. Chaque auteur a reçu un jour un poème ou une image, sans connaître les étapes précédentes, et l’a saisi comme un stimulus pour écrire ou peindre.
A leur suite, par rebonds singuliers alternant poèmes et peintures, s’est dessinée durant toute une année cette « expédition » visuelle et poétique, où chacun est décalé par l’autre.
De bord en bord, d’écart en résonance, un chemin se révèle ici, pour les auteurs comme pour vous, lecteurs. Et si une musique en émane, c’est celle d’une correspondance, aventure aussi individuelle que collective, où l’inattendu, le fortuit a sa place.
Il faut aller au Bord de l’autre... Passer le pli, c’est découvrir le paysage de l’être, les pentes de la surprise – et voyager dans le bonheur même d’une conversation.
Un commentaire :
Le charme de ce projet fut d’être décalé de ses usages par l’œuvre ou le poème reçu, mais également par l’interprétation qui était faite ensuite de notre intervention, l’image ou le poème qui suivait. Ces points de vue différents, la stimulation que cela instille, l’ouverture que cela donne à chaque participant et l’œuvre collective qui en résulte font de cette ‘correspondance glissée’ une expérience joyeuse. Et voir naître aussi un chemin singulier pour chaque dépliant : l’un a vu l’image colorée évoluer vers le noir-et-blanc, l’autre les textes enfler et des échappées obliques peupler les images...
L’avant-propos de Armand Dupuy :
« Nous ne cessons de déplacer le monde, de nous en faire des doublures qu’elles soient peintes, écrites, ou simplement rêvées, de les défaire, de les transformer, et nous nous faisons encore des doublures de nous-mêmes, puis des doublures de nous-mêmes faisant ces doublures du monde. Nous tâchons de saisir ce qui nous entoure, ce qui nous fait, de le comprendre, et de nous saisir au passage. Cette capacité à faire retour sur soi-même, à n’être pas seulement passager des événements, est l’une de nos plus hautes facultés, peut-être. Mais c’est une aspiration toujours frustrée, lacunaire, toujours trouée, parce que nous sommes empêchés, partiellement aveuglés, par les premières obscurités et les premières lumières de nos vies, par nos refus, par nos désirs. Et bien souvent, ce faire-monde reste une imagerie close, répétitive, lancinante. Nous n’écoutons, ne voyons, ne pensons, ne sentons, que ce qu’il nous est possible, sans jamais excéder nos étroites limites.
Chacun d’entre nous est venu au monde dans un état de dépendance totale, tributaire des soins, de la protection, du regard d’un autre. Il fut même un temps lointain durant lequel ce dernier s’est fait l’interprète de notre corps et de nos pensées – le psychanalyste Wilfried R. Bion supposait que l’autre nous prêtait alors ce qui s’apparentait à un « appareil à penser les pensées ? », un appareil à transformer ces pensées qui n’étaient pas encore des pensées, mais plutôt une informe bouillie, un ramassis de sensations confuses. Et cette dépendance, à n’en pas douter, n’en finit pas de nous accompagner, de nous traverser, de ronger parfois nos vies d’adultes majeurs, vaccinés et prétendus indépendants. Cela en tête, on entend mieux la formule mainte fois ressassée, « l’enfer c’est les autres », que Sartre notait dans Huis clos.
Mais l’autre, ici, n’est mis en cause que dans son excès. L’enfer, c’est son excès face à nous-mêmes. Son excès de présence ou son excès d’absence. Si nous sommes toujours soumis au risque de cet excès, sans l’autre, sans ce miroir pensif, pensant, nous ne serions toutefois pas en mesure d’être pleinement nous-mêmes, ou nous n’en resterions – si c’était possible – qu’une version pauvre et desséchée. Nous sommes des êtres toujours identiques, mais sans cesse transformés par la façon dont nous sommes perçus par l’autre, par ce qu’il nous renvoie, par ses gestes, par ses silences, ses paroles, l’expression de son visage. Sans cesse transformés, sans cesse transformant ce qui nous traverse, également, ne serait-ce qu’en respirant, qu’en digérant... Fernando Pessoa écrivait à peu près ceci, il y a tout juste cent ans, dans une lettre à un éditeur anglais : « J’étais un païen deux paragraphes au-dessus. Je n’en suis plus un dès lors que je l’écris. Et à la fin de cette lettre, j’espère déjà être autre chose. »
Ce sont ces mouvements de transformations, de déplacements progressifs, parfois imperceptibles en nous-mêmes, que met en avant le projet Bord de l’autre, initié par les amis de La voix du poème, en proposant à plusieurs poètes et peintres, de se faire interprètes les uns des autres. Il ne s’agit pas là de fidélité, mais d’une dérive. L’interprétation n’est jamais question de fidélité, d’ailleurs, parce que nous recevons le monde en nos propres limites, brèches, manques, aveuglements.
L’interprétation, sans doute, repose toujours sur un malentendu. Mais ce malentendu peut devenir un levier fécond. Il devient le moteur d’une écoute possible. Et sous les yeux de chacun, se déplient les écarts de sens, alternativement dans l’image et dans les mots, trouvailles et déperditions, nous rappelant que, ce qui se joue de nous, qui se refuse parfois, se disjoint jusqu’à l’étrange, est l’un des fondements même de notre humanité. Et, d’une certaine façon, Bord de l’autre est cœur de soi. »
Page établie grâce à la complicité de Roselyne Sibille.
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