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Brèves notes de Novembre, par Clara Regy

vendredi 19 octobre 2018, par Cécile Guivarch

Chaque instant qui vient est un cœur à prendre, Christophe Jubien, Gros textes, photo de couverture de Simon Martin (2018)

Ce beau texte de Christophe Jubien me renvoie à celui de Thierry Le Pennec : Nono, paru à La Part Commune en 2009. Deux recueils inspirés (et sans doute nécessaires), par la perte d’un aimé. Une mère pour le premier, et un frère pour le second.
Il y a dans ces deux écritures, très différentes par ailleurs, cette place que l’on laisse au souffle, dans notre lecture, cette place que l’on laisse à la pudeur. Pour « ouvrir » avec Nono, (toujours disponible) cet extrait : « une part de moi ne va pas bien/ celle appelée le frère », la fin du frère au cœur de la vie de la campagne, les saisons, le travail des mains : l’expression d’une tristesse simple, profonde dans un quotidien qui – en surface – ne change pas : continue...
Dans le premier poème de Christophe Jubien, Haute solitude : « En juin dernier / ma mère est morte / plus personne pour me tendre / un carré de chocolat / quand je suis triste ou fatigué / j’ai été obligé de me donner / à moi-même / ce poulain noir que je grignote / en observant par la fenêtre / un tout petit oiseau battu par les vents : pour lui aussi, il s’agit d’attendre, de prendre ce qui vient. »
Aucun artifice, cette présence qui console va manquer, va manquer vraiment : c’est dire « cela » tout simplement. Dans l’ensemble du texte, on voit le poète grandir, on peut s’en étonner, il fait le tour de ce qu’il sait faire, ou pas (ce qui peut faire sourire…), il oublie parfois son chagrin, le retrouve.
Et enfin : « L’oiseau a chanté / mon visage s’éclaire / et la vie continue… »
Ces derniers mots sont pleins d’espoir, oui « la vie continue » mais on sait aussi que de temps en temps, le chocolat poulain noir sera grignoté « en observant par la fenêtre … » d’autres petits oiseaux… muets.

Passe en caisse, Elsa Hieramente, Gros textes, couverture illustrée par l’auteur, postface de Laurence Vielle (2018)

Difficile de ne pas penser à : « La complainte du progrès » de Boris Vian (1956) en découvrant ce texte, en ce sens que l’auteur égrène dans un rythme effréné une suite d’images accordées, désaccordées… Si Boris Vian avec humour faisait la liste des ingrédients que le séducteur devait produire pour arriver à ses fins, ici Elsa Hieramente ne cherche-t-elle- pas aussi à séduire ses lecteurs en les entraînant dans une sarabande joyeuse ? « Un océan / atlantique privé / épouse le trafic / dense / je pose sur la table / un bateau / une vague / un lapin / un couteau / je joue / des cartes / coudes sur la table / mains propres… »
Mais en y regardant de plus près, on se demande : est-ce vraiment si joyeux ? Il a aussi le cimetière, le grand-père, les morts gentils, le carnage, le doute : « je ne sais pas qui me conduit / ce que je suis / ce qui me suit / je ne sais pas si je m’applique… » et surtout, une multitude de conditionnel(s) : « j’aimerais » … l
Passe en caisse  : le prix à payer pour … vivre ? Un texte à lire sur, dans et entre les lignes.

Au chevet de ma plume , Rocio Duran-Barba, Allpamanda (2018) Encres de l’auteur

Il ne faut pas passer à côté d’un ouvrage qui exprime tant de joie, tant d’amour pour la langue française ! C’est un chant et les mots forment une danse sur la page et nous invitent à la partager.
Si les encres de l’auteur-artiste représentent des marcheurs venant ou repartant on peut imaginer que ces mouvements opposés illustrent bien ce que fut cependant le difficile chemin des mots.
Aussi dit-elle : « Sur mes pages /Agitées / tu buvais / de mon encre / Et aussitôt disparaissant / Tu riais / À distance » – la langue française : une petite sorcière moqueuse alors ?
Mais Rocio Duran-Barba ne rend pas si facilement les armes. La lutte continue … « Jusqu’au jour / Où tu t’es réveillée / Sur mon cœur / Pour m’amener / Loin / Ailleurs / Dans tes lierres » – c’est l’amour qui est venu la surprendre et là, plus question de faire demi-tour !
« Te voilà / avec moi / jour et nuit / au chevet de ma plume / Revêtue / De tes amples caprices / M’apportant / Ton ivresse / Tu es à moi / Maintenant / Devenue / Ma langue française » !
Pourquoi ne pas penser à cela « Au clair de la lune… » – protection et tendresse…

les carnets du chorégraphe, Maryvonne Coat, éditions Isabelle sauvage (2018)

Un curieux texte, une mise en page aérée qui peut figurer les petits bras frêles des danseurs, leurs longues jambes, entrechats et autres gambades… et les notes prises ça et là dans une chronologie parfois audacieuse.
Les danseurs : « pointe ouverte décolle hanche 3-4-5 », « répéter répéter répéter scander et 3 et 4 et 5 », « et 3 et 4 et tchac » on aperçoit le travail des corps :
« j’ai violenté les muscles / les articulations je les veux sèches / reprendre le tracé des colonnes de Phil / modeler le domaine d’approche / fauve tapi flou »
Ainsi, ils se dessinent, ces corps, mais l’ensemble se montre alors plus ambitieux. Ces images se font doubler par la pensée du « chorégraphe » : « Maïté me manque ».
« est-ce que Maïté dormait encore quand / je nouais mes membres aux astres ».
L’adresse perpétuelle à Maïté nous fait douter, est-elle de chair et de muscles sur scène ?
Les mouvements de cette danse, son rythme, ses douleurs ne sont-ils pas le simulacre d’un amour perdu ? Les danseurs comme des marionnettes jouant leur vie qui est aussi un peu la nôtre…
Une écriture bien étrange, à découvrir…

Clara Regy


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