Présentation de Giratoires - Editions Plaine page - 2015
Sensibles à l’environnement que nous traversons tous les jours, nous sommes témoins de la mutation de nos carrefours dont les centres deviennent ronds-points. Giratoires se penche sur ce phénomène de société et pose la question de l’incidence sur nos comportements et nos perceptions. La voiture comme prolongement de notre être (Marinetti en a fait un mythe, celui de la vitesse) nous amène à tourner autour de ces non-lieux qui restent à investir...
Extraits
L’heure est aujourd’hui aux ronds-points, exit le carrefour, vive son glissement sémantique : le carrefour giratoire. Vive le choix et la perspective du retour sur soi. Tout s’inscrit à présent concentriquement, il suffit de tordre les lignes droites. Tout tourne, il n’y a plus d’avant ni d’après, ne reste que la boucle et le cycle des destinations. Nous sommes autorisés à ne plus savoir où nous allons, il est permis à présent de tourner en rond.
Un carrefour giratoire est un lieu
de convergence et de divergence
nous le traversons de façon centripète
puis centrifuge, dans le but d’atteindre la destination
en l’envisageant simplement, il devient
agent de liaison, source de toutes
les directions, objet du désir projeté
noria des assoiffés.
À l’entrée des villes
(mais ne serait-ce pas la sortie ?)
zones commerciales
ponctuées de ronds-points
(mais ne seraient-ce pas des giratoires ?)
traverser ces zones
(mais ne serait-ce pas enfiler des perles ?)
jusqu’à en oublier la ville…
Le panneau de direction du carrefour giratoire
à la fois toile et cadre, partant de là,
surface réfléchissante, ne connait que l’avers.
Œuvre produite en série, chaque entrée de rond-point
comprend un panneau directionnel différent
déplaçant ainsi le point de vue.
Le regardeur fait le rond-point,
il oriente son regard de façon à déterminer
de quelle manière il va le traverser.
Une fois dans le panneau, le regardeur
ayant tracé mentalement son trajet
pourra-t-il en sortir plus facilement ?
Note de lecture sur Giratoires par Eric Blanco, éditeur et ex-topographe
Dans la nuit du 29 au 30 mai 2015, Cédric Lerible est allé camper au sommet du rond-point qui sépare Brignoles de La Celle. Laissant quelques heures ses étudiants et sa maison d’édition, sa femme et ses enfants, l’auteur prit de la hauteur au croisement des routes départementales RD 43, RD 403 et RD 554.
Un carrefour giratoire est un lieu
de convergence et de divergence
nous le traversons de façon centripète
puis centrifuge, dans le but d’atteindre la destination
Vendue par une enseigne olympique, la tente au nom inca abritait sous sa belle (é)toile la performance de Cédric Lerible. La date de ce camping sauvage en zone industrielle coïncidait avec la parution de son livre Giratoires aux éditions Plaine page. Le poète met ici en pratique ses théories, aphorismes et calembours métaphysiques qui composent ce livre. Produire des mots qui font acte, c’est ce que les linguistes appellent un acte du langage, un énoncé performatif… Écrire, certes pour penser, puis agir pour récolter les fruits de ses réflexions. « C’est ça une théorie, il faut que ça serve, il faut que ça fonctionne. [Il faut] des gens pour s’en servir, à commencer par le théoricien lui-même qui cesse alors d’être un théoricien. » (Gilles Deleuze)
Le chemin le plus court
n’est plus la ligne droite
mais le contournement
Sans son Alice aux yeux clairs, Cédric Lerible passe de l’autre côté du giratoire, c’est-à-dire exactement au centre, selon le théorème de Lewis Carroll : traverser le miroir, c’est s’approcher en s’éloignant, et vice-versa (oui, Lewis Carroll pratique aussi le syllogisme). Du côté de Lerible, la tente igloo rappelle que le pôle matérialise le centre d’un axe, celui des autos rotations. Entêté comme le Capitaine Hatteras, endurant comme Scott, Amudsen, Cook ou Peary, moins tragique et beaucoup plus ironique, Lerible passe d’un jour à l’autre, de la poétique à la poïétique polaire. Autos et motos, camping-car et semi-remorques bercent sa ronde de nuit hachée d’embrayages. Accélérateurs de particules ou de véhicules, la circulation fait leur force…
Les mots sont des directions qui tombent sous le sens
Les mots vont de soi parfois en dépit du bon sens
Les réflexions ricochent sur Giratoires, « comme un miroir au bord du rond-point » aurait écrit Stendhal. Autour de ces non-lieux la route fait la roue (telle un paon), bouclée sur elle-même dans son auto proclamation. Mieux qu’une métaphore, le sens giratoire fonctionne comme une métonymie cachée de la civilisation automobile. Chaque passage de rond-point sollicite un organe mécanique, intime mais essentiel à l’équilibre même du véhicule à moteur : le différentiel. Ce système horloger permet aux roues motrices de tourner à des vitesses différentes, évitant ainsi de faire chavirer le véhicule à chaque virage. Le cœur du différentiel s’appelle d’ailleurs le planétaire, qui compense l’écart de vitesses entre les roues motrices, dans une giration presque fractale : engrenage planétaire, rond-point, planète Terre, système solaire, etc.
Rond-point de non-retour
rebrousser chemin n’est pas remonter le temps
on ne roule jamais deux fois sur la même route
Le vertige du vortex chez Lerible valse entre toupie ludique et gyroscope scientifique. Ça tourne donc ça tient debout. Toute rotation trace l’horizon autour d’un axe vertical qui relie le sol au ciel, selon la transcendance du derviche tourneur. La force de Coriolis incurve le Gulf Stream et vide nos baignoires dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Plus haut, Superman orbite à contre–sens pour remonter le temps…
Inutile de tourner autour du mot, la camperformance de Cédric Lerible suit la tangente de Giratoires, un manuel topoétique, encyclopédique à 370°, qui fait plusieurs fois le tour de la question en poursuivant le cycle de Jarry : « Tu es une roue dont la substance seule subsiste, le diamètre du cercle créant un plan par sa rotation autour de son point médian. […] À chaque quart de tes révolutions, tu fais une croix avec toi-même » (César Antéchrist). Décodeur subliminal, Cédric Lerible perçoit dans chaque panneau de rond-point une croix celtique et pataphysique.
La vie n’a pas de sens
seulement des lignes de fuites
qui mènent à de nouveaux giratoires
Notice bio-bibliographique de Cédric Lerible
Cédric Lerible, poète-performeur né en 1977.
Joue sans filet, apprend à servir et à renvoyer le mot après son rebond, d’où cette nécessité du langage et de son engagement. L’espace d’un échange, les mots assemblés en lectures prennent parfois l’apparence d’un geste ou d’un acte poétique qui trouvent sens auprès d’un public curieux et attentionné. Pratique également la « Camperformance » en passant une nuit complète sous une tente dans le rond-point de son choix.
Recueils
Giratoires (éd. Plaine page 2015) ; Huit variations (éd. Le frau 2012, rééd. Plaine page 2015) ; L’Ombre du nuage (l’Espaventau 2011) ; Lunaison (Ed. val poésie, Carré 17, 2008) ; Petits poèmes en creux (l’Espaventau 2007), Sur des ruines (l’Espavantau 2006) ; Coudon (Ed. val poésie, Carré 17, 2005).
Publications collectives
« Une vie humaine » (Héraclite 2015) ; revue Ouste (Dernier Télégramme 2015) ; revue Teste ; revue Art-matin ; Lierre feuille périodique de l’Atelier du Lierre ; « Var et poésie : Marcel Spada » ; « Petite anthologie de la jeune poésie française » ; revue Les Archers ; revue Filigranes ; revue Autre sud.
Crédit photo : Antoine LnP
Mini-entretien de Cédric Lerible avec Roselyne Sibille
D’où vient l’écriture pour toi ?
D’une nécessité intérieure, d’un besoin physiologique, d’une intuition avec laquelle je dois en découdre, d’un appel extérieur. Ne dit-on pas que c’est le livre qui nous choisit ? J’imagine que c’est un peu pareil avec l’écriture. Une question d’ouverture, de mouvement tourné vers l’extérieur qui réclame une suite d’allers-retours. Une communication s’instaure avec l’entourage au sens large, de l’objet muet en passant par l’autre, le proche et le lointain, jusqu’au milieu qui nous contient.
Comment travailles-tu tes écrits ?
En réponse à l’appel du sujet, se remplissent un ou plusieurs cahiers de recherches. L’écrit se nourrit de nombreuses lectures qui viennent confirmer les intuitions, indiquer les directions à prendre. Cela passe par l’expérience, étoffée par des recherches quasi scientifiques, de façon à faire le tour de la question, pour en épuiser en quelque sorte le sujet.
Quelle part occupe la poésie pour toi au quotidien ?
La poésie est indissociable du quotidien. Pour paraphraser l’artiste Robert Filliou, je dirais que la poésie c’est ce qui rend la vie plus intéressante que la poésie… Elle ne peut en aucun cas se restreindre à l’écrit, d’où les gestes, actions ou performances que je pratique et développe depuis 2012. La poésie c’est un regard, un sourire, elle réside dans l’attention portée au monde, dans cette prise de conscience que la vie trépigne en nous, et la mort aussi.
Que t’apporte l’écriture ?
L’écriture est une matérialisation, une manière de rendre palpable une intuition, de toucher du doigt. Elle permet de jalonner un parcours, un itinéraire de vie, de laisser des traces. En même temps est-ce que l’on peut vraiment se fier aux mots ? L’écriture est un véhicule lancé sur une route en travaux, elle essaye de maintenir sa trajectoire, parfois il faut accepter de faire demi-tour ou alors être prêt à crever un pneu, à briser les suspensions… c’est là que ça peut devenir intéressant !
Quel auteur est fondateur pour toi ?
Sans hésiter Francis Ponge, je ne m’en lasse pas, je le relis et le redécouvre tout le temps. C’est une mine inépuisable, un puits sans fond qui relie la poésie la plus classique à la poésie la plus contemporaine. Ce n’est pas un hasard qu’un nouveau colloque a eu lieu tout récemment, 40 ans après le premier, au Centre Culturel International de Cerisy…
Quelle est ou quelle serait ta bibliothèque idéale ?
Je n’ai pas de bibliothèque idéale, mes centres d’intérêts sont trop fluctuants. Bien évidemment il faut connaître ses classiques. En presque autodidacte, il y en a tellement à lire, de même pour les auteurs contemporains, ça ne s’arrête jamais... Il me semble qu’un livre est une rencontre, il faut simplement trouver le bon livre au bon moment.
Combien de livres ouvrons-nous alors que nous ne sommes pas encore prêts à les lire ? Je viens récemment de découvrir Kafka avec délectation, alors que plusieurs années auparavant, je n’avais pas réussi à finir La Métamorphose, cela me mettait trop mal à l’aise !
Quels sont les trois mots que tu associerais le plus volontiers à celui de « poésie » ?
A cet instant précis et pour filer la métaphore, ce seraient : moteur – essence – choix.
Pour retrouver Cédric Lerible sur Internet
Site Plaine page pour l’ouvrage Giratoires
Vidéo d’un extrait de Huit Variations
Performance Imprime filmée au PLAC
Lien Facebook
Lien vers la page des éditions Plaine page sur le site de Terre à ciel
(Page élaborée avec la complicité de Roselyne Sibille)