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Chansons et refrains d’absence, Miguel Hernandez

mardi 10 octobre 2017, par Cécile Guivarch

Vient de paraître aux éditions Le Temps des Cerises, Chansons et refrains d’absence, édition bilingue, traduction par Nicole Laurent-Catrice, 13€.
A la suite de ces extraits, Noëlle Ménard présente Miguel Hernandez pour Terre à ciel

« Miguel Hernandez est un poète peu connu du public français. Alors que les poèmes de nombreux de ses contemporains (Lorca, Alberti, Machado) ont été traduits en français, les lecteurs français ne connaissent pas ce poète berger d’Orihuela, bien qu’il soit une icône
en Espagne.

Seuls quelques recueils (L’enfant laboureur, éditions Seghers, 1960) et quelques poèmes, parus aux éditions Unes, avaient été traduits ces cinquante dernières années. Plus récemment ont été publiés El rayo que no cesa (traduit par Sophie et Carlos Pradal, éditions Brocéliande en 1989 et éditions Écrits des Forges, Québec), et La foudre n’a de cesse (traduit et mis en rimes par Nicole Laurent-Catrice, éditions Folle Avoine en 2002).

Les derniers poèmes de Miguel Hernández rassemblés dans ce recueil, Chansons et refrains d’absence, n’avaient jamais été traduits en français. La poésie simple écrite par cet homme ardent et généreux au destin tragique parle au cœur de chacun : les horreurs de la guerre, les privations, la mort d’un premier fils puis la naissance d’un second fils, l’éloignement de la femme aimée. »

Deux fleurs, avec tes deux ans,
tu as maintenant.
Deux alouettes qui comblent
toute ton aurore.
Enfant rayonnant :
avec toi s’en va mon sang
toujours de l’avant.

Ne reviens pas en arrière.
En avant, mon sang,
Dans le monde la lumière
tourne quand tu tournes.
Tout te fait bouger,
univers d’un corps
doré et léger.

Ton rire est un outil,
lumière qui crie
la victoire du froment
sur le chiendent.
Avec toi si tu ris
je vaincrai toujours le temps,
qui est mon ennemi.

Con dos años dos flores
cumples ahora.
Dos alondras llenando
toda tu aurora.
Niño radiante :
va mi sangre contigo
siempre adelante.

Sangre mía, adelante,
no retrocedas.
La luz rueda en el mundo
mientras tu ruedas.
Todo te mueve,
universo de un cuerpo
dorado y leve.

Herramienta es tu risa,
luz que proclama
la victoria del trigo
sobre la grama.
Ríe. Contigo
venceré siempre el tiempo
que es mi enemigo.

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Qasida de l’assoiffé

Je suis dans le désert
sable : désert de soif.
Oasis est ta bouche
où je ne peux pas boire.

Bouche : oasis ouverte
à tous les sables du désert.

Point humide au milieu
d’un monde incandescent,
ton corps, tien seulement,
et jamais à nous deux.

Ton corps : ô puits fermé
que soif et soleil ont consumé.

Qasida del sediento

Arena del desierto
soy : desierto de sed.
Oasis es tu boca
donde no he de beber.

Boca : oasis abierto
a todas las arenas del desierto.

Húmedo punto en medio
de un mundo abrasador,
el de tu cuerpo, el tuyo,
que nunca es de los dos.

Cuerpo : pozo cerrado
a quien la sed y el sol han calcinado.

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A la lune à venir
pour accoucher tu vas t’étendre
et de ton ventre vont jaillir
des lumières sur moi.

Aurore de ton ventre
toujours plus clair en lui
qui éclaire les puits
et fait nuit sur l’ivoire.

A la lune à venir
le monde à nouveau va se fendre.

A la luna venidera
te acostarás a parir
y tu vientre irradiará
claridades sobre mi.

Alborada de tu vientre
cada vez más claro en sí,
esclareciendo los pozos
anocheciendo el marfil.

A la luna venidera
el mundo se vuelve a brir.

___
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Tristes guerres
si l’amour n’en est l’enjeu.
Tristes. Tristes.

Tristes armes
si les mots ne sont de feu
Tristes. Tristes.

Tristes hommes
si d’amour ils ne meurent.
Tristes. Tristes.

Tristes guerras
si no es amor la empresa.
Tristes. Tristes.

Tristes armas
ni no son las palabras.
Tristes. Tristes.

Tristes hombres
si no mueren de amores.
Tristes. Tristes.


Miguel Hernandez est né le 30 octobre 1910, à Orihuela (« La palmera levantina ») non loin de Murcie dans une famille de sept enfants, dont le père analphabète élevait des chèvres. Le jeune Miguel fut scolarisé dans la classe pour enfants pauvres du collège de jésuites local (Santo Domingo) où un professeur Don Luis Almarcha remarqua sa vive intelligence. Son père avait accepté la scolarisation sous réserve que son fils ne renonçât pas à soigner les chèvres qui vivaient à leur porte. Pauvre et rustre, l’éleveur de chèvres détestait toute forme d’études, et battait ses enfants. En raison de la crise économique et malgré ses bons résultats, il retira son fils du collège au bout de trois ou quatre ans et décréta qu’il deviendrait berger. Le jeune Miguel avait découvert la poésie qu’il aimait à la folie, et malgré son père, il continua à lire en cachette grâce aux livres prêtés par Don Luis Almarcha, et un autre ami Ramón Sijé, qui animait un cercle littéraire (Compañero del alma « Compagnon de mon âme »). Le jeune berger s’immergea totalement dans le Siècle d’or espagnol (Cervantès, Calderon, Lope de Vega). Il s’imprégna de cette poésie à la fois lumineuse et hermétique, en particulier celle de Luis de Gongora [1]. et de Saint Jean de la Croix [2]. Dès l’adolescence il commença à griffonner en cachette des poèmes tout en gardant ses chèvres.
Miguel Hernandez était complètement autodidacte. En 1929, il osa publier ses premiers poèmes dans les journaux locaux d’Orihuela et d’Alicante au grand dam de son père qui ne décolérait pas. Afin de briser sa solitude, le jeune homme devenu majeur, décida de se rendre à Madrid en 1931 pour y trouver du travail. Ce voyage longtemps rêvé, fut un échec cuisant, il n’y rencontra personne, et rentra avec sa tristesse à Orihuela. Il se résigna à prendre un emploi de gratte-papier chez un notaire. Seul rayon de soleil dans son existence : Don Luis Almarcha, devenu vicaire général d’Orihuela, finança son premier recueil Perito en lunas –« Expert en lunes » en 1933 (450 pesetas pour 300 exemplaires).
Sans se décourager, Miguel reprit le chemin de Madrid en 1934, et réussit enfin à approcher tous ceux qui comptaient en littérature : Federico Garcia Lorca, Vicente Aleixandre, Rafael Alberti, José Bergamin, et le chilien Pablo Neruda qui écrivait :

« J’ai publié ses vers dans ma revue « Caballo verde » l’éclat et le brio de sa poésie m’enthousiasmaient.
Miguel était si paysan qu’il transportait un souffle de terre autour de lui.
Il avait un visage de motte de terre ou de patate que l’on arrache d’entre les racines et qui conserve sa fraîcheur souterraine. »

La guerre civile éclata en 1936, Miguel Hernandez devenu communiste, s’engagea dans un régiment républicain comme commissaire à la culture. Il écrivait de plus en plus, comme s’il savait inconsciemment que son temps était compté.
En 1937, il finit par se marier avec Josefina Manresa, dont il eut un enfant qui mourut à l’âge de dix mois. Cette mort lui inspira des poèmes publiés dans un recueil intitulé Cancionero y romancero de ausencia. « Recueils de l’absence ». Miguel écrivit également des pièces de théâtre dont Pastor de la muerte « Berger de la mort ».

L’année 1939 vit la victoire de Franco et la naissance de son second fils Manuel Miguel. Comme beaucoup de républicains, il tenta de s’enfuir au Portugal mais fut capturé à la frontière et commença la tournée des prisons (une dizaine) de Huelva à Madrid en passant par Palencia et d’autres centres de détention. Les franquistes avaient fusillé Federico Garcia Lorca le 18 août 1936 dans le ravin de Viznar près de Grenade, un sort identique attendait le berger-poète. Il fut condamné à mort. À la suite de pressions exercées sur le dictateur par Don Luis Almarcha, devenu évêque de Léon, (et peut-être que deux poètes assassinés cela faisait beaucoup) sa peine fut commuée en trente années de prison.

Miguel Hernandez fut transféré à la prison d’Alicante (Cerca del agua « Près de l’eau ») en 1940. Malnutri, rongé par la tuberculose il mourut le 28 mars 1942 d’une fièvre typhoïde. Il avait refusé jusqu’au bout de renoncer à ses convictions politiques et d’adhérer au nouveau régime, ce qui lui aurait permis d’abréger l’incarcération. Son père l’avait définitivement renié et ne le revit jamais. Miguel avait trente deux ans. Il repose au cimetière d’Alicante où depuis quelques années un concert est donné sur sa tombe le jour anniversaire de sa mort.

Dans un superbe castillan, entre les champs d’orangers et la nuit obscure, Miguel Hernandez nous fait entendre une voix sublime que la traduction française peine parfois à transcrire.

Tu étais comme le jeune figuier
du ravin.
Quand je passais
tu rêvais de montagnes.
Comme le jeune figuier,
resplendissant et sombre.
Tu es comme le figuier.
Comme le vieux figuier.
Je passe à présent dans le bonjour
Tu es comme le figuier
silencieux des feuilles sèches.
dans la lente lumière de la vie.

______*

De la contemplation
Naît la rose
De la contemplation l’oranger
Le laurier
Toi et moi de ce baiser…

______*

Je reste dans l’ombre, plein de lumière : Le jour existe-t-il ?
Est-ce là ma tombe ou le berceau de ma mère ?
Passez le fouet sur ma peau comme un grand froid
Vaisselle qui germe chaude, tendre et rouge

Recueil des absents . Trad. de Charles Juliet

Bouleversé par la mort de son premier enfant, il ne cessa malgré tout d’écrire pour son second fils et la femme aimée, Josefina. Poèmes aux accents mystiques dans Hijo de la luz et de la sombra « Fils de la lumière et de l’ombre », qui égale en intensité Saint Jean de la Croix.

Je parle et c’est mon cœur qui parle avec mon souffle
Si je ne disais tout, je pourrais étouffer.
De lavande et résine je parfume ta chambre
Épouse, tu es l’aube. Moi, le milieu du jour

Traduction de Sophie Cathala-Pradal

En juillet 2010, le petit-fils de Miguel Hernandez a demandé au Tribunal suprême espagnol, la réhabilitation de son grand-père condamné à mort. Au même moment, la ville d’Elche , qui a reçu les manuscrits du berger-poète confiés par sa veuve Josefina Manresa en 1980, entreprend la construction d’une Fondation Miguel Hernandez.
Orihuela sa ville natale, a restauré la maison (Casa museo Miguel Hernandez) et a mis en place avec l’Université de Santander une Fondation destinée à promouvoir les travaux universitaires, avec la création d’une revue, d’expositions itinérantes, de prix littéraires, d’une bibliothèque virtuelle, d’une– « route Miguel Hernandez », etc.
Miguel Hernandez est devenue par l’originalité de sa voix, une figure majeure de la littérature hispanique. Souhaitons que cette poésie sombre et lumineuse, qui transcende les déchirements intimes et les horreurs de la guerre, soit mieux connue en dehors du monde hispanique.

Noëlle Ménard

Chancelier

Académie littéraire de Bretagne

et des Pays de la Loire


Le catalogue de la Bibliothèque nationale est très pauvre en traductions :

  • L’Enfant laboureur [traduit de l’espagnol par Alice Ahrweiler.... Seghers, 1953.
  • [Présentation par Jacinto-Luis Guereña. Choix de textes [de M. Hernandez]. Bibliographie... Seghers 1964 Poètes d’aujourd’hui. 105
  • Hormis tes entrailles. Poèmes ; trad. de l’espagnol par Alejandro Rojas Urrego et Jean-Louis Giovannoni. Éd. Unes, 1989
  • Cet éclair qui ne cesse pas, dessins de Carlos Pradal ; trad. par Sophie et Carlos Pradal...
    Traduction de El Rayo que no cesa. Brocéliande, 1989
  • Fils de la lumière et de l’ombre ; trad. par Sophie Cathala-Pradal ; [ill. par Juan Jordá]. Sables, 1993
  • La foudre n’a de cesse ; trad. par Nicole Laurent-Catrice, Éd. Folle avoine. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2001
  • Recueils d’absences ; trad. par Jean-Marc Undriener ; éd. Centrifuges, 2016

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Un beau dossier sur Miguel Hernandez sur le site Esprits nomades


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Notes

[1Luis de Gongora (1561-1627)

[2Juan de la Cruz (1541-1591)



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