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Chevalier / Montre-moi tes seins ! Bruno Normand (Février 2023)

lundi 30 janvier 2023, par Cécile Guivarch

Les faits / Le vaisseau Dart de la Nasa a réussi à dévier un astéroïde de sa trajectoire dans un test historique de défense de la Terre, a annoncé le chef de l’agence spatiale mardi 11 octobre. Cette mission est la première à tester une telle technique. / La Croix (avec AFP), le 11/10/2022 à 20h59 / […] en projetant fin septembre un vaisseau contre sa surface lors d’une mission test inédite, qui doit permettre à l’humanité d’apprendre à se protéger d’une éventuelle menace future, a annoncé mardi 11 octobre la Nasa. Le vaisseau de la mission Dart avait délibérément percuté sa cible, l’astéroïde Dimorphos, qui est le satellite d’un astéroïde plus grand nommé Didymos. L’appareil de la Nasa est parvenu à le déplacer, en réduisant son orbite de 32 minutes, a indiqué le chef de l’agence spatiale, Bill Nelson, lors d’une conférence de press[…] / Avec cette mission, « la Nasa a prouvé que nous étions sérieux en tant que défenseurs de la planète », a-t-il affirmé. Dimorphos, situé à quelque 11 millions de kilomètres de la Terre au moment de l’impact, mesure environ 160 mètres de diamètre et ne représente aucun danger pour notre planète. Cette mission inédite de « défense planétaire », nommée Dart (fléchette, en anglais), […] permet à la Nasa de s’entraîner au cas où un astéroïde menacerait un jour de frapper la Terre / […]en partage Cela / à un degré de présence tout acte entre en chant, devient mantra, je crois
/
/          et lorsque le mantra est silence, lorsqu’il ne dit mot cela juste :       qu’il embrase tout ce qui est,      qu’il se montre corps ainsi éternel et blanc,   mouvement dans ce qui semble immobile, corps ainsi         aspergé de ciel dans tout ce qui est aspergé de ciel   lorsque chênes sont dans chemin et chemin est dans chênes   lorsque perdrix cachées se montrent, lorsque là   s’invite et s’invite /   lorsque d’invisibles cordes s’accordent silence et que celui-ci vibre dans un corps, une présence / qu’il éteint chaque sombre pensée / disons plutôt qu’elle s’évanouit   en haie de muriers le long d’une voie qui mène à un Vide là,   qu’elle s’évanouit en Lumière dans une rivière, alors tu vois /         voir dans ne plus voir / voir ainsi entendre dans      ne plus entendre / entendre ainsi c’est une longue conversation avec La Lumière / […]      /      quand même j’entends cela, le passage d’une corneille, le cri d’une corneille      je souris,      quand même ce cri dans         ce silence
/ […]      nous habitons un élan, un mouvement, est-il un appel.... c’est fort possible /      l’agir a sa place / le non-agir également      /      ces lignes venues :      oh c’est chair là, chair invisible c’est         chair de la Lumière dans la Lumière   là invisible suis   dans ça, avec pour Vide, un possible Corps avec déjà / un élan pour corps      pour ce corps là et pour ce corps à venir déjà / des signes forts,      aimantés, on le dirait bien / là c’est un jour de semaine, un après-midi d’octobre la Lumière est là, je marche en elle, je marche en air      en eau, /      il y a l’Océan, il y a l’ Atlantique

/ [...]      00h09, ce 25octobre / Mei Hotta performs Philipp Glass’ Orbit for cello solo      en où-en quoi / […]      les braver les épreuves de Nuit, un (je) veille ainsi /      avoir pour viatique / Cela, qu’en chaque corps il y a   un rivage d’où aimer / [...] et lorsqu’il y a une menace quelconque qui pèse sur le Vide un (je) brandit un / mantra aimant   ou bien, il sourit, il lui arrive souvent de sourire   et le tao en lui, apprécie / / […] il est un corps ainsi nulle part et par-      tout / […] le / comment de son vivant, par ses seules extrémités, il nous pointe l’éternité en lui et autour de lui,   en nous   le / comment / il nous lie au Vide... c’est ça il est lien / là […] face à un chemin un (je) prend café, pouls de l’air en lui / il a amené quelques livres, celui-là      / en quatrième de couverture : 28 mai 1830. Le président Jackson signe la loi de déportation des peuples amérindiens. Cinq tribus de l’Est, dont les Cherokees et les Creeks, prennent la route de l’exil, qui sera appelée La Piste des Larmes

L’aube américaine. Joy Harjo. Editions Globe, 2021. / 220 pages, 15 euros.

Deux siècles plus tard, Joy Harjo décide de revenir sur ces terres […] pour dire l’espérance sans taire la colère […] sans négliger l’amour intact de la Nature et de tous ses habitants. Pour maintenir la mémoire vive sans entraver le repos des morts. / […] réparer ce qui peut l’être […]
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L’auteure est membre de la nation muscogee (creek), Héloise Esquié est sa traductrice / l’ouvrage s’amorce avec quelques citations, celle-ci de June Jordan, poétesse caribéenne-américaine : « Dire la vérité, c’est devenir beau, commencer à s’aimer, à s’estimer. Et c’est un acte politique, au sens le plus profond »   / J’aime cette ligne, elle ne tremble pas. Dans ce monde qui s’autorise et chante le désenchantement, il n’y a peut-être plus que cela, pour le réenchanter, qu’à tirer à phrases réelles : l’Amour / dans le barillet du Geste / peut-être l’ultime chance, la tenter, / le tenter ce tir / cela vaut le coup d’essayer : dire le Beau. / Vivre dressé, aussi c’est un acte politique… Joy Harjo chante debout, parle des siens mais à travers eux, c’est à tous qu’elle tend ses lignes son aube résiliente.

/ Nous fûmes rassemblés avec les quelques possessions que nous pouvions transporter. Nous fûmes contraints d’abandonner maisons, presses d’imprimerie, magasins, troupeaux […] Sous nos yeux, des immigrants entrèrent chez nous avec des fusils, des bibles […] tandis que nous étions encerclés par des soldats […] / Puissions-nous retrouver le chemin de chez nous /
Ce sont donc plusieurs tribus qui furent concernées par cette loi, les Cherokees, les Chicachas, les Choctaws, les Séminoles etc. Et ils se mirent en marche. Durant ce périple, dans cet exil, c’est dans leurs corps et leurs âmes qu’elles durent le trouver ce chez eux, ce chez nous / Dans ce mouvement, on l’imagine bien / (s’) inventer un arbre tel que ses racines seraient si hautes et si subtiles que d’aucuns ne sauraient l’atteindre et l’abattre / cela a dû en traverser quelques crânes, quelques consciences. Avec Joy Harjo, L’aube américaine en est sans doute l’un de ses fruits. Aujourd’hui reconnue par la Bibliothèque du congrès, elle a été récemment nommée « Poète des Etats-Unis », elle aussi l’écrivant ce pays et c’est très bien.
Les anciennes lois mvskokes prohibaient / la religion chrétienne / Car celle-ci divisait le peuple. / Nous qui sommes parents de la Panthère, du Raton Laveur, de la Biche, et des autres / animaux et vents   fûmes bientôt divisés. / Mais la coutume mvskoke vise à créer des parentés/ / nous avons fait de jésus un parent, / lui avons donné un nom mvskoke.

Fomenter un territoire tel que cette fois personne ne saurait le violer / Avec le temps, je crois Joy Harjo et les siens ont su également trouver une place pour l’homme blanc / et lui transmettre à leur tour, une part de ce qui leur a été transmis : une appartenance forte à une danse cosmique, à une Présence / Absence, celle de leurs ancêtres, leur murmurant un souffle d’éternité. / Parlant d’eux, Joy Harjo : / […] leurs douces présences au bord de notre esprit      / « Au bord de notre esprit » / j’entrevois bien cet Esprit, invisible en corps, territoire insaisissable, imprenable / oh il a dû falloir en avaler de l’homme blanc, de son discours et de ses codes avant de s’en affranchir sans crainte. En entendre des sermons n’entendant rien à la Nature en voie elle aussi. Dans sa culture à Joy, le Tout se chantait,

Autrefois il y avait […] / des chansons pour planter, cultiver, récolter / Pour manger, se saouler, s’endormir, / Pour l’aube, la naissance, […] et la guerre, / Pour la mort […] comme ce que chantait cette vieille femme qui s’appelait Sin-e-cha. Elle a quitté ce monde au cours du naufrage du Monmouth qui sombra dans le Mississipi. Au moment de périr, serrant l’adieu à sa vie, un petit paquet qui contenait toutes ses rares affaires, elle entonna : « Je n’ai plus de terre. Je suis chassée de mon pays, chassée au nord des eaux rouges, partons tous, mourrons tous ensemble et quelque part sur les berges nous serons là ».         / C’est avec aussi une chanson que se termine le long poème / Laver le corps de ma mère :
Je n’ai jamais pu laver le corps de ma mère / à sa mort / Je reviens prendre soin d’elle dans la mémoire. / C’est ma façon de faire la paix quand les choses / restent inachevées. / J’y retourne et j’ouvre la porte. / J’entre pour accomplir mon rituel. Faire ce qui / aurait dû l’être, / ce qu’il faut réparer, que mon esprit puisse / avancer. / Que les enfants et petits-enfants ne soient pas / pris dans un nœud / De regrets qu’ils ne comprennent pas.

Je trouve le poêlon en émail blanc dont / elle se servait pour faire le pain et les biscuits. / C’est avec ce poêlon qu’elle nous baignait, bébés. / J’allume le robinet et garde la main sous l’eau / jusqu’à ce qu’elle soit tiède, à la bonne / température pour laver les nouveau-nés. / Je trouve un gant de toilette propre dans un tas / de gants de toilette. / Elle n’avait rien dans son enfance. Elle s’est assurée d’avoir beaucoup de tout / quand elle a fait sa vie une fois devenue grande. / Ses placard étaient pleins de jolies robes, / tellement qu’elle n’avait pas le temps de les porter / toutes. / Elles furent achetées par la fillette qui portait / la même robe en toile de jute / tous les jours à l’école, celle qu’elle devait laver chaque soir / […]
Je prends le savon dans son lavabo, / le même savon qu’elle a utilisé hier matin / pour se laver la figure. / Quand elle s’est regardée dans la glace, savait-elle / que ce serait son dernier coucher de soleil ? / […] / En lavant le visage de ma mère, je lui dis / qu’elle est belle, qu’elle est courageuse, / que sa beauté et son courage / survivent en ses petits-enfants. […] / Je soulève chaque bras […] / Je suis tendre en passant sur cette cicatrice / de brûlure sur son bras. / De quand elle faisait la cuisine dans le restaurant / au patron cruel / qui insistait pour qu’elle mette la main dans la friteuse pour la nettoyer. / Elle protesta […]
Je nettoie son cou et soulève les couvertures / pour aller vers son cœur. / Je remercie son corps de nous avoir permis de traverser cette histoire rude, / la violence de mon père, et de son second mari. / […] L’histoire est toute là, dans son corps […] la préparer / à être mise en terre, ramenant toutes les histoires / à la terre […] / Je brosse les cheveux de ma mère et j’embrasse / son front / Je demande aux gardiens du voyage […] aux anges qu’elle aimait […] / de la ramener chez elle […] Puis je chante sa chanson préférée, doucement / […] juste quelques vers, / une des vieilles chansons de chagrin, bricolées, / où un moment de bonheur / est inséré – / Puis je la laisse aller,

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C’est simplement qu’elle nous raconte la vie comme elle est, Joy Harjo / qu’elle laisse traces à travers une simple cicatrice, de la soumission et de la domination d’un être sur un autre (d’un groupe sur un autre) / ou qu’elle évoque certains moments d’un quotidien difficile, / c’est en arrière-plan une identité enfouie, une appartenance à un Grand Tout qui se révèle et se relève ainsi énoncés. Pour un temps bafouées, ces tristesses / une richesse / c’est tout cela Joy Harjo, qu’elle porta sans pour autant encore pouvoir les brandir haut et fort comme là dans ce livre, dans le poème FUIR : C’est l’heure de la fermeture. / […] Dernier verre. Nous en avons soupé de l’Histoire, nous qui cherchons ici une vision / Dans le bar pour indiens et poètes, quelque part / A gauche de l’Enfer. / […] j’erre en ce triste monde / Que nous avons fait avec les mots de l’ennemi. / Et elle termine : / […] J’ai couru et couru dans les rues de 2 heures / du mat. / C’était ma façon de m’échapper. J’étais tout, / sauf de l’Histoire. / J’étais le vent.

Heureusement les mots, même à rebours posant sur le passé un apaisement, lui offrant de se revivre par le verbe, de se trans-muer en vents. / Le passé, de le regarder autre, de le regarder autrement / à silence haut, de le traduire. Heureusement la porte ouverte d’aujourd’hui, la porte ouverte du Temps, l’étroit passage du présent / des présents qui se présentent à elle, comme ils furent / heureusement cela arrive, le temps de le cueillir, le recueillir le Temps / ô paradoxe / pourtant insaisissable, le large passage d’un présent dès lors qu’il est nourri / d’une et mille seconde(s) le précédant et d’une et mille seconde(s) le suivant, […] Rivière scintillante ainsi, par Lui le Temps nourri, habité, Lui le Souffle en mouvement / la, les matières, le, les corps en mouvement / c’est là et c’est nulle part la, les mémoire(s) en corps / en marche pacifiée et éclairante. Soit c’est une tragédie, cet exil qu’elle nous conte Joy Harjo, mais pas seulement / après tout ce qu’elle a vécu, elle nous dit ça : Quand viendra l’heure de quitter ce lieu / du retour / Que dirai-je y avoir trouvé ? / De la brume, une forme peinait à s’arracher - / Elle avait bien des jambes, bien des bras, projetait /des idées de bien des couleurs. / Des biches près de nous sous le ciel écarté, brumeux / Sous nos yeux, humaient l’air en quête d’eau / Une lumière verte a pénétré leurs corps / De tous les feuillus qu’elles mangeaient - / […] Sans poésie. Que sommes-nous sans les vents / devenant mots ? / Devenant de vieux enfants nés d’enfants nés pour / nous amener par le chant à / L’amour / […] / J’ai lu des livres sur la transcendance, comment / la lumière / Entrait par la fenêtre d’un voyageur des environs / Et chaque cellule de la création ouvrait la bouche / Pour boire la grâce / Ne passez pas à côté de la touchante Joy Harjo, L’aube américaine fait suite à Crazy Brave paru en 2020 chez Globe / un témoignage fort, puisse t‘il apaiser quelques âmes au Ciel, quelques autres au sol et rendre aube amérindienne à ces communautés. / Auteure et pas seulement, chanteuse, flutiste et saxophoniste, elle est une sorte de Pati Smith mi cherokee-mi creek, en 2021, elle a également sorti un album jazzy I Pray for My Enemies / je prie pour mes ennemis.

3 novembre,         / […]suis là avec cils du bas, quelques herbes en berge de   / avec cils du haut quelques, non ! pas quelques… des milliers de rayons probablement cela ourle, hurle Lumière   / […] et entre un œil, une rivière, c’est un regard qui va un regard fait d’eau, d’air, de poissons, de chairs d’eux, de chairs d’eau   c’est lumineux / j’entre en quelque chose   par la Lumière j’entre en Lumière par le corps / […]   les cormorans plongent leurs ailes dans l’eau, dans l’air en chair de / Cela in Cosmos / en sons, en silence en Musique en corps de mantras / […] Est-ce grâce à ce lieu et à quelques autres également auxquels je rends visite régulièrement, une fidélité ainsi / là, me sens vaste, entravé d’aucune manière / […]
ce 5 novembre, Zénith de Nantes, c’est la nuit / là, il se dit : elle est partie il y a quelques semaines / une fidélité à quoi / […] un (je) se retrouve là, le chanteur Amir est à 4 ou 5 mètres juste devant lui / le bassiste les a invités, lui et sa lady […] Il suffit de vivre, c’est bon […] On est tous nés pour faire la fête / Comme si on l’avait jamais faite
La fête (Ay ay ay ay, hé) / On est tous nés pour faire la fête / Au pire, on la fait dans nos têtes
Comme si on l’avait jamais faite /
ben Merde ! il se dit cela le (je) devant le chanteur qui met le feu au boxon du Monde ! / peut-être à ce moment la joie il la voit à travers une larme, quelques larmes / augmenté d’un vide, il se sent ainsi / […] même il pense à une amie à ce moment lui envoie un sms / / / ce 6 décembre, / pour mantra : là, me sens vaste, entravé d’aucune manière / […] / pourtant certains, trouvent eux que nos libertés sont en en péril, je ne sais pas, il faut être vigilant…aussi ne négliger aucun signe, aucune voix qui pourraient nous prévenir d’une telle menace avant que cela arrive véritablement. Pour le moment nous avons cette chance / en Art, en Littérature, des choses se tentent, entre les disciplines des cloisons s’effacent, des performances s’écrivent, se publient. De plus en plus souvent, des éditeurs trouvent l’audace nécessaire pour ce faire. Une découverte :

SPEED. Gabriel Gauthier. Editions Vies Parallèles. 2020. / 85 pages, 16 euros. /

Là j’ai entre les mains, une couverture très seventies, les grosses lettres orange d’une maison d’édition / vies parallèles / d’un titre / SPEED / et de son auteur / Gabriel Gauthier / Sa présentation : « Alors qu’il est à Izmir, occupé à écrire Space, un travail ambitieux pour lequel il a reçu une bourse du CNL, Gabriel Gauthier rencontre une jeune femme nommée Olivia Speed, avec laquelle il se lie d’amitié. Très rapidement, il est frappé par la frénésie d’Olivia, cette tendance irrépressible qu’elle a de tout accélérer, sa vie, comme celles de ceux qui gravitent autour d’elle. Olivia est speed, vraiment speed. Olivia Speed est l’onomastique faite corps. Du coup, l’onomastique étant précisément l’un des aspects travaillés par Gabriel Gauthier dans Space, il est inévitable que soit repensée la forme même du projet initial. Il signe alors avec Olivia Speed un contrat qui lui permet d’utiliser son nom dans son œuvre. Olivia devient personnage. Peu après, ce personnage prenant de plus en plus d’ampleur dans Space, il décide d’en détacher un morceau, de lui adjoindre un spin-off. Speed est né. / Speed c’est cela : un corps bien réel sur lequel s’est greffée l’idée de vitesse, qui lui a donné son nom, avant de devenir personnage au sein d’une œuvre qui, par les mots, tente de créer ce même effet de vitesse. Si la vitesse est une idée, Speed est son instanciation dans le discours. »
comment se souvenir d’Olivia Speed de quoi va-t-elle / mourir de maladie ou d’accident va-t-elle disparaitre en / mer en forêt en montagne ce sera difficile de se rappeler le soleil s’incline la route / descend vers la plage la lumière s’est engloutie […] / Elle s’exerce à / dire je m’appelle Olivia Speed Olivia Speed salut / Hello je m’appelle Olivia Speed / Dès les premières pages nous sommes invités à la rejoindre, l’accompagner cette Olivia Speed. Tourner les pages revient à parcourir les corridors du récit d’un personnage réel et imagé / et décliné en fragments / lui donnant un corps qui serait du Temps / du Temps incarné / Olivia, la femme Olivia celle de chair, c’est d’abord du sang, du souffle et une rencontre / […] en une rencontre elle devient corps augmenté d’abord d’une ligne, puis de quelques autres / corps autre et même corps-lien, corps à qui on parle / celui-là écrit pour combien d’autres au fil d’une vie, qui eux ne seront jamais mentionnés, nulle part / Là une Olivia contée, à un moment contée pour des milliers, des millions et plus de présences qui elles ne seront jamais contées. C’est un rapprochement chanté, un rapprochement s’offrant une scène, une mise en scène / pour des milliers, des millions de rapprochements / et plus qui eux ne seront jamais contés. / / […] Olivia tremble tout est réellement silencieux le froid s’est installé Olivia tremble elle va crever le souffle lui manque […] cette femme n’existe pas[..] n’a aucun sentiment pour le pays dans lequel elle vit elle pense aux explosifs à des armoires des fours des réfrigérateurs des casseroles piégées […] / La femme Oliva Speed, celle d’encre, elle est fantôme non pas de qui, mais de quoi
Elle revit ses souvenirs elle constate que le / mal est fait elle entre dans la maison / elle pousse la porte l’explosion est géante elle / les a tous tués imposer des souffrances / […] tout le / monde lui conseille de déguerpir elle reste elle / part dans l’enfer […]

C’est le récit d’une Olivia qui court qui veut se perdre / […] Devenir un personnage, exister sous cette forme, c’est en partie un corps de papier peut-être parce que la douleur d’exister est tellement forte / […] peut-être cela, le récit d’une angoisse diffuse, existentielle… / Diluer la réalité dans beaucoup de lignes qui / elles seraient plus ou moins imagées - imaginées / sublimées - subliminales / S’accorder le tournis / […] à cette heure-là Olivia / dort chez elle elle rêve qu’elle perd ses / yeux […] / […] elle voit tout ce qu’elle a / sous le signe de la perte. […] / Ne voit pas la pluie et roule vers / le Nord pâturage de l’ouest ce thriller qui / se passe en Floride est l’histoire d’une angoisse / elle est à fond elle regarde par la / vitre il y a un type qui lui / ressemble c’est invraisemblable elle se calme / elle est en voyage / […] elle remonte dans / sa vie cherche […]elle cherche une fenêtre / elle écrit à Tom[…] elle a vingt-huit ans […] fuit les autres / si tu as le courage finis mon livre
nous sommes à la page 21, le livre en comporte 86 / […]c’est une page femelle : J’y raconterai l’histoire d’un garçon que j’ai rencontré / au cours d’un voyage quelques années en arrière / il faudra que je trouve le nom du personnage / j’écrirai le plus vite et le mieux possible / j’écrirai en fonction de ce que je vivrai / je miserai tout sur cette œuvre à venir / il me faudra juste un peu de temps
nous sommes à la page 22 /c’est une page mâle : pour me souvenir je voulais créer un personnage qui lui ressemble comme personne ne lui ressemblait / j’avais rencontré Olivia Speed au cours d’un voyage / à Izmir je n’avais pas encore vingt-cinq ans / je n’avais jamais écrit une seule phrase spontanément / et me retrouvais seul pour la première fois / au milieu d’un pays où tout se prononçait / je pouvais enfin dire des choses mal dites /
et en dytique la page 23, cela continue : je lui disais Olive n’importe qui doit réveiller / le roman quelqu’un doit rester pour se rappeler / le tremblement des vagues avec l’ambassade de Grèce / j’écrivais alors Space et elle s’appelait Olivia Speed / j’adorais les romans de Kingsley et Martin Amis / je voulais raconter la vie de mes amis / et je voulais écrire des livres sur nous / car je pensais que nous étions des héros
J’adore ces trois derniers vers / un cacatoès invisible sur mon épaule me les répète en écho / SPEED, c’est pour le dire vite : un livre sur les vies dans une seule vie / sur les vies qui vont et qui à un moment deviennent un Point. / Gabriel Gauthier écrit des choses / il invente des choses, les évente / il leur donne la présence d’une femme […] / et c’est beau / il y a des instants, de l’éternité qui illumine cette femme, et c’est beau :
[…] elle traverse des massifs aux teintes roses / elle n’avait jamais vu un ciel sans avion / elle cueille des myrtilles dans des buissons acides / elle est maigre alors elle mange l’espace / contient tous les lieux elle lit […]

Un homme s’accorde, s’autorise le vertige, le droit au vertige plutôt, le droit d’être un corps-livre. Oh, il n’est pas le premier, d’autres l’ont eue avant lui cette idée de passer pont sur le fil d’une lame, d’entrer dans livre-corps / d’autres après lui le suivront ou tenteront de le faire / des romans avec pour fond, pour forme la Vie, leur propre vie. / Il y en aura encore et encore des coups de béliers dans des crânes, les étroitesses jusqu’à ce qu’un Ciel les instruise tous. Est-il nécessaire de tout comprendre toujours / pour ma part, j’apprécie laisser dans un livre, des passages incompris, pour une prochaine lecture ou pas, des passages en repos / et qui peut-être à un moment me révèleront leur secret
Là je vous laisse au seuil de Olivia Speed / […] à votre tour d’y aller, vous y trouverez des tumultes / à travers le bruit du monde, peut-être un auteur qui cherche à le comprendre le Temps / l’Espace en lui, par lui : l’autre.

/ […] sommes un 13 novembre, milieu du jour / Pointe du Halguen, une marée basse / nous sommes quelques-uns, cela se compte sur les doigts d’une main, je trouve huîtres / […] me sens à ma juste place […] aussi petite pensée vers un vieil ami, un jour dans un courrier, il m’a demandé d’être ses jambes, il ne marche plus guère / lui ai promis /      […]puis trajet du retour, pense à vous et à vous, vous êtes quelques-unes, à n’en faire qu’une /

[…] maintenant 18h31 lecture des mails, y répondre / celui-là, de l’amie Martine Lani-Bayle, elle aussi a travaillé sur les ancêtres / (les secrets de famille. Editions Odile Jacob.2007), cette fois elle me fait part de la sortie de son dernier livre paru chez le même éditeur / La Force de la faiblesse / ouvrage préfacé par Boris Cyrulnik / sa présentation : Le terme « résilience » est maintenant passé dans le langage courant, au point de susciter des espoirs menant à des mécompréhensions, voire à des contresens, autant qu’à des tentatives de récupération volontariste. Inviter à la résilience la personne qui a subi un choc vital, certes, c’est important, mais est-ce si simple, cela suffit-il ? / Pour revenir aux fondements de la résilience, cet ouvrage part à la recherche des significations originelles du terme dans d’autres disciplines comme la physique, les sciences du vivant, végétal et animal… / Cette exploration ouverte a permis de relever des diversités, autant que des constantes, qui ne seront pas sans nous surprendre sur la nature de ce processus complexe, qui reste potentiellement vivace, tout en nous échappant toujours / Ah lala / le fantôme d’un traumatisme qui à un moment peut rencontrer l’écoute nécessaire et se transformer en souffle aimant, on le souhaite à tous, hélas ce n’est pas toujours le cas et parfois il traine sa douleur longtemps dans un corps qui apprend à survivre avec. De cela il en a souvent été question dans nos escapades improvisées, n’est-ce-pas chère Martine.
/ « Le rapport à la transmission à l’enfant est important pour Martine Lani-Bayle. Avec notamment une thèse : Etude de la transmission intergénérationnelle familiale et de sa représentation. Elle a travaillé sur l’histoire du rapport au savoir et l’intergénérationnel. La connaissance d’Edgar Morin et la rencontre de Adélaïde Ronxin a fait émerger la BD : Dis, raconte, comment ça marche ? / Une BD sur le questionnement, la pensée complexe d’Edgar Morin expliquée aux enfants » / Universitaire dotée d’une belle ouverture d’esprit, nul doute que ces recherches ne pouvaient trouver meilleures mains.

/Aussi son essai, La Piste des Larmes de l’une, la démarche poétique d’un autre, je les reçois comme une seule quête / je crois, nous sommes un seul Corps et pour ma part je vous remercie corps, présences comme vous êtes, de le chanter

/ rien n’est dit de tout cela, il n’y a qu’à l’entendre le silence du Monde / et en lui les valises de cailloux qui l’alourdissent / c’est en lui, tout cela, et les Mille corps, les Mille Joy et Olivia, les Mille Martine et leurs contours psychos-sensuels.

Où es-tu jeune homme. Matthieu Freyheit. La Crypte, collection / Le pays qui grandit / 2021. / 67 pages, 12 euros.

Parfois le Temps il se laisse voir, on le surprend il est une tranche de courge ou un arbre seul en plein milieu d’un labour / ou bien encore il est une tranche de vie dans un livre mince / là entre les doigts un livre marron, ça lui va bien cette couleur de robe de moine, pas le nom de l’auteur, juste un titre / (sous deux autres plus effacés / le garçon renoncé et un temps pareil* ) : Où es-tu jeune homme . En quatrième de couverture, ce titre est repris presque et augmenté, cela donne : Mais où es-tu jeune homme / et que font dans tes pattes les pattes d’un chamois ? / Et pour appuyer cette ligne, en exergue l’auteur cite Norge : « Je me retire dans ma bête » / Ne me demandez-pas là qui de l’œuf ou de la poule a / sans doute ces deux hommes se sont trouvés… / et qu’ont-ils en commun qui fait que l’un d’eux (le plus jeune) ait trouvé seuil et refuge dans un vers de son ainé… / J’imagine ces deux-là, ils en auraient bien des silences à partager. / La part d’ombre d’un être, c’est aussi ce qui lui permet de gîter au plus fort des remous du Monde et de ceux en lui / aussi de lui éviter parfois le chavirement. C’est elle encore qui lui donne à se penser dans la part de Lumière qui l’habite également. Là en l’occurrence la part d’ombre de ce jeune homme, ce serait : une fois la frontière franchie d’un JE / ce qu’il y a de lui encore au-delà de son propre corps, de son mental.
En est-il si éloigné de cette nature, lui qui peut-être a tout fait pour s’en écarter. Cela, une nécessité de le chanter. Le recueil commence ainsi : C’est calme plat jeune homme / ce soir c’est calme plat / même si les grenouilles / même si les oiseaux et les petites choses s’agitent autour de toi / promettent de vibrer : une oreille à ton ventre : / comme ton dos au monde / de bois d’herbes et de roches / d’algues et de nénuphars.

Chemin faisant - corps faisant, s’interrogeant sur les lieux, les nommant même parfois juste pour les entendre : […] / Il y a bien des plantes qui viennent et vont en toi / des bêtes qui respirent et qui ne quittent pas le presque territoire / juste écrire pour pincer le silence en corps / le corps en silence, juste pour se rêver et se vivre plus grand, plus large qu’on ne l’est / et marche après marche , phrases après phrases / y prendre gout / Matthieu Freyheit se visite autre qu’il est, comme il sera / il le sait qu’on y retourne à cette nature en nous, à cet Espace sans cloison, / aussi ce sont marches méditatives qui s’écrivent, / les temps d’un retour qu’il regarde : / les moutons dans la plaine, les phoques de la baie eux aussi peut-être pourraient-ils lui communiquer, lui transmettre quelques chose, une clé / afin que tout cela devienne évident : le fait d’être-là / simplement là comme le sont les arbres. / […] tu veux tendre l’oreille / mais rien ne te répond / ne te dit le secret du langage des vaches du parler du cheval /ou de celui des biches / / C’est une façon de s’effacer qu’il nous propose, / avec ce jeune homme, Matthieu Freyheit de son vivant sème un peu de son souffle là et là / par ses déambulations sème son paradoxe, son oscillation entre / s’expérimenter plus en matière, en chair / et se vivre moins en chair, en matière / sème genre, la notion de genre, la noie / dans un livre, sème un peu de lui, un peu d’elle : […] Jeune homme tu voudrais être né Patricia / et t’enfoncer profond où attendent les pattes et soufflent les naseaux / et où lapent les langues / il demande autant qu’il ne demande rien, il est cette présence-là / riche d’un pluriel en lui / riche de le ressentir Cela en pluie de cela(s) dans un corps, dans un autre, dans un lieu, dans un autre, dans un événement, dans un autre / ivre de trop de mental peut-être / il voudrait le rendre ce trop reçu, ce trop perçu le tendre. A ses lecteurs, leur dire : Voyez comme je m’étends simplement comme seule la Nudité de la Nuit m’entend et m’enveloppe /
[…] dans ton sommeil tu te fais une peau alourdie par l’odeur / et tu sais que ta gloire tu sais que ta grandeur / se roulent dans la boue et se couvrent de poils et du chaud de la nuit. / La Nuit, comment par elle, un JE apprend à accepter dans l’étroit corps ce qu’il y a déjà de corps en chemin vers une présence autre / dans l’étroit corps comme s’apprend déjà en pleine matière un corps plus un corps / en attendant un corps moins un corps / découvre au tréfond d’un JE, un / je suis au monde / simplement ça / en pleine matière un corps apprend d’une marche, de lieux traversés, ce qui le traverse, lui… / C’est sans cloison, je le disais plus haut le Ciel en perce, l’Energie / l’Allante d’un coup inondant berges d’un quotidien jusqu’alors contenu… / ça ouvre grand le ciel / ça parle de la Meurthe qui descend du Hohneck / de hérons et de truites de conserves et de pain / ça te dit que bien sûr il te reste du temps / un (je) résonne : ça te dit tout ça, la Nuit, la Nudité en toi et encore / […] que dans ton sommeil tes yeux mangent le sable la rivière et le vent / ça dit qu’à ton réveil tu les recracheras pour t’en faire des pieds / t’en faire des mains et un corps tout entier qui se relèvera.

Matthieu Freyheit nous livre limon de ses nuits, de ce qui s’effrite, tombe des jours et charrie un corps / il est vrai qu’aucun Océan à sa portée ne lui apporte ressacs, aussi c’est d’un : L’invisible était tout / qu’il prend pouls d’une étendue, d’un continuum de muguet au printemps, de bolets à l’automne / […]voici l’énergie folle / il nous livre l’éveil des sens, même il rencontre sanglier et boue et s’ébroue / et se rencontre nu et soir, il l’écrit : ton ventre ton sexe / et ça te fera jouir. / Et encore cela le fera marcher autre, autrement : […]le long de la Moselle sauvage / tu verras des abeilles tu verras des grenouilles / qui ne te disent rien mais qui parlent de là /
C’est une sorte, une forme de transe, ce texte trans-quelque chose / cela n’a pas la violence d’une transformation subite… non, c’est un processus lent, cela ne concerne pas que les muscles, les tendons, la chair / cela concerne aussi une présence, celle au monde par un corps. Demain ou après-demain Matthieu Freyheit il le sait, cela concernera une absence, celle sans plus de corps, sans plus les pas /
aussi La Lorraine à Deuxville […] les boucles du Sânon au-dessus du Crévic / celles de la Vezouze au pays de Croismare / et celles des Amis / après Marainviller / s’en faire une musique déjà, un silence ami / aussi du / Chez Mamie on commente / les pages du journal / on pioche des cerises / on parle de rapines / […] du / c’est que ta poésie / c’est Guichard et Bachelet / ça t’écrase le Nord et un peu de misère / ça fait des souvenirs dans la télévision / ça ressemble à ton père et ça ressemble au sien / […]      / cela une mémoire seule, un seul ciel d’eux, les siens, les lieux / il prend le Tout, il s’en arrange et l’écrit, c’est presque une trans-mission / prendre nos vélos / […]pour foncer encore / sur le canal de l’Aa / et depuis Saint-Omer atteindre Gravelines : / de là cela te fera des histoires banales / des qui valsent et qui valsent et n’ont pour poésie rien que du Lenorman / […] et tu avances encore / un TU s’entend / […] tu reprends ton silence / ton air de paysage […] / Te voilà désormais à la deuxième personne
Matthieu Freyheit le raconte l’enracinement à un territoire, / puis l’enracinement comme il va, comme il se perd / cela / comment il se transforme lentement là entre un pas et un autre […] Tu as pris un soir près de Laneuveville / la place des abeilles / celle des papillons / tu as léché tes bras caressé tes genoux et ravalé ta langue / […]Tu as mis un soir au sortir de Blamont / ta couche près d’un arbre / […] à un moment du chemin son jeune homme l’écrit le / pardon biches renards sangliers et lapins / le pardon à quoi
/ entre un rien et un autre /      comment ça s’effrite un territoire dans le courant d’une vie, / puis comment une solitude transforme un JE entre un pas et un autre / entre un rien et un autre, comment ça s’installe une perte de lieu, la notion même d’un lieu comment ça s’installe une distance, un / où le désir jeune homme puis un / cœur tombé […]des pas qui se suivent / mais ne t’avance pas[…]Tu te sens seul jeune homme / et ça n’a pas de mots / Silence en ciel […] Lorsqu’il est amené à vivre ailleurs, à se vivre corps en Ailleurs, à se découvrir en terre de solitude / et faisant de cet ailleurs un corps à nouveau : Alors tu abandonnes / tu laisses jusqu’au Nord / se détache de toi / […]tout lavé de la route / lorsque c’est solitude, l’Astre en ciel / qui désormais une à une tourne les pages / éclaire chair […]soufflant un : il est passé jeune homme / Le Silence pour ailleurs, à un moment le Silence pour lieu, pour territoire, pour corps / pour écriture, ce corps tourné vers / et quand tu veux aimer il oppose du vide / alors tu traines plus et tu restes en ton centre désespérément seul / La messe serait dite s’il n’y avait pas dans cette dernière page et où la vie jeune homme / s’il n’y avait pas ce retour à ce / Jeune homme tu voudrais / des pierres et des mousses[…] sur ta route des hêtres et des chênes et des épicéas / qui respirent ensemble et tirent des racines et forment des forêts / et offrent des abris aux geais et aux belettes[…] des oreilles qui dressent des museaux qui remuent / et des gorges qui jappent qui aboient […] et tu sais, et tu sais : ils vivent tous, ils vivent. / Une solitude, une mélancolie certes dans ces pages, une consolation aussi, par la seule grâce de pouvoir l’énoncer, celle d’être au monde tel qu’il est. Si le cœur vous en dit, l’entendre lyre : une mélancolie racontée. Matthieu Freyheit est ainsi, tantôt il est pudique, tantôt il ne l’est pas, c’est une écriture qui tour à tour se retient ou se lâche / parfois la pudeur laisse tomber effets et c’est heureux alors de partager lignes d’une nudité recouvrée. On n’entre pas facilement dans l’univers de cet auteur exigeant, dans ce voyage, pour ma part, il m’a fallu le lire plusieurs fois afin que / où es-tu jeune homme infuse son tempo et me secrète ces lignes. / * ses précédents recueils chez le même éditeur.

là, sommes un 23 novembre / […] c’est signe, in ce Tantra, dialogue entre Šiva et Pârvatî. / « Ch. I. — L’Œil (Netra) de Šiva. La première question de Pârvatî constitue, comme il se doit, une introduction générale au traité. La Déesse prie Šiva de lui dévoiler un mystère qu’il n’a jamais expliqué à personne et qui l’intrigue fort. Il s’agit de l’Œil (au singulier) du Seigneur. Comment se fait-il, demande-t-elle en substance, que de cet Œil, dont tout le monde voit qu’il est fait d’eau, il puisse jaillir le Feu qui a consumé Kâma et qui dévorera le monde au moment du pralaya ? La formulation de la question souligne l’opposition entre ces deux aspects apparemment contradictoires de l’Œil de Šiva : l’aspect aqueux, naturellement associé au nectar d’immortalité (amrla) et donc apaisant, nourrissant, réjouissant ; et l’aspect igné, dangereux, cruel, etc. Pour expliquer cette énigme, Šiva commence par exposer la véritable nature de son Œil, qui n’est autre que sa Puissance propre, sa Šakti. Dans un passage plein de poésie, il décrit cette Sakti, essence de tout ce qui est, présente au cœur de tous les êtres, […] / Pârvatî a une pensée pour le monde souffrant. Puisque Ton pouvoir est si grand, dit-elle à Šiva, indique-moi le remède par lequel les êtres de ce monde et du monde intermédiaire peuvent être délivrés des multiples maux qui les affligent. / […] Comme il l’a déjà fait et comme il le fera presque à propos de chaque question de Pârvatî, Šiva souligne d’abord la nouveauté de l’enseignement qu’il va dispenser : personne ne lui avait jamais posé cette question et il n’avait jamais eu l’occasion d’y répondre. Il va donc, cédant à la demande de la Déesse, révéler le Mantra* qui, par la place éminente qu’il occupe parmi les mantra, mérite d’être appelé l’Œil (Netra), ainsi que la triple méthode — mantra, yoga et jňána — par laquelle s’obtiennent la libération et le succès. Aucune tentative n’est faite ici pour expliquer le glissement de sens de Netra. Le terme désignait la Puissance de Šiva ; il s’applique maintenant à un mantra. / * Le mantra Netra sera dorénavant orthographié Mantra pour marquer sa transcendance par rapport aux autres mantra. » Brunner Hélène. Un Tantra du Nord : le Netra Tantra. In : Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient. Tome 61, 1974.
Cela me trouve / je le savais sans le savoir cet œil Océan, en nous / je vis, j’apprends quoi / Et Signe là, le reconnais en :

Habitant le qui-vive. Sabine Dewulf. L’herbe qui tremble. 2022. / 104 pages, 16euros. /

Exister ainsi, augmentée d’invisible et c’est avec beaucoup d’intérêt que je suivrai ce parcours, cette sensible présence. / N’en doutons-pas, Sabine Dewulf nous donne rendez-vous / le Pourquoi n’est pas sans Rose. En l’écrivant cela / seul cœur le sait / la Rose du cœur, elle y croit. Pas à pas, elle le devient cela / Conscience. C’est avec ces lignes que je terminais dans un précédent numéro de Terre à ciel la présentation de / Et je suis sur la terre / de cette même auteure.

Je dois avouer que pour son nouveau livre / Habitant le qui-vive / il m’a fallu y revenir plusieurs fois avant d’y déceler le bourgeon d’un pourquoi, / d’un comment… / Parfois dans un parcours une épreuve entache une belle attente et pire fait voler en éclat une confiance en la Vie. Comme quoi tout est en relation, chaque présence, chaque texte participant à l’écriture d’une Conscience une. Avec Habitant le qui-vive, Sabine Dewulf nous renseigne un peu sur l’évènement qui semble bien avoir fait vaciller son rôle et corps de femme : Jadis,[…]j’ai affronté les yeux d’une mère défaite, / lui ai livré le sac entier de ma déroute suivi d’un / Que le gouffre se comble / aucun nom ne le signe
Elle se questionne en aval d’une réponse qu’elle s’est offerte en amont pourtant sans probablement s’en rendre compte :
Je rêve de mon corps comme ventre de la terre. / L’air y respirerait, / les eaux enfanteraient douceur, / les mains s’endormiraient / comme feuilles, / les yeux seraient d’un jour curieux, persistante lumière. / Sur l’abîme la nuit déposerait sa peau. / C’est donc dans le creuset d’un corps blessé qu’effroi et questionnements / montent en degrés / qu’un dialogue en elle s’invente / s’in-ventre ainsi combustion / quelque chose en elle y croit, à une transformation possible, de ce chagrin dévastateur. Déjà un / Je veux naitre ! se manifeste. Avec Habitant le qui-vive, c’est, justement ce qui-vive qu’elle va tenter d’approcher au plus près, afin peut-être de le dompter, plutôt de l’apprivoiser, de lui tendre main, et mots. / Sans doute encore est-elle captive de ces heures où la clarté d’un jour ne lui arrivait pas : Où s’est perdu mon corps ?… Regarde : il n’est d’abime / que dans l’attente d’une cime. […] D’une rumination ta mémoire est enflée, tu pleus du gris sans larmes.

Sans doute il lui en faudra des pages encore afin de le retrouver ce monde qu’elle pressent pourtant en elle, partout l’espace bleu / comme déjà la comblant / Sans doute il lui en faudra des pages encore… Mais elle s’y rend, cela se sent. Cela arrivera / Laisse l’œil s’agrandir […] / annonce-telle. Il sera tel qu’il prendra toute la place d’un corps, il lui sera source et océan, il lui sera commencement et terme et surtout, cela je le lui souhaite / Corps, il lui sera sans commencement, ni terme infiniment là et là / dans une entité manifestée ou pas / infiniment aimé(e), aimant (e) ce qui sera corps alors étendu / présence étendue.

Ce recueil comporte trois parties / Centre du labyrinthe est la seconde. On lit qu’elle se cogne à ses propres projections, elle se dirige ainsi projetant là ou là, ondes d’elle / elle progresse ainsi, trouve chemin ainsi… / Ai pensé alors à / La Ligne de feu : pour info, elle désigne en construction navale une ligne fictive néanmoins indispensable, elle donne l’Axe d’un navire et permet sa matérialisation. Celle-ci s’effectuait de nuit en fond de cale, il s’agissait de placer un grand feu (ou une forte source lumineuse) à l’une des extrémités et à l’autre de poser de tin en tin, des cimblots (pièces percées) / chacun d’entre eux justement aligné permettant le passage de la Lumière… de la poupe à la proue. / Je crois que ce livre y ressemble, Sabine Dewulf avance de cette façon, se laisse guider par cette quête, son désir de Lumière. Pour le moment l’auteure le décrit ce parcours labyrinthique / Centre, bords / elle le parcourt, le nourrit de sa propre imagerie. L’amer en moi, / il reste le miroir glacé / aussi en elle la possibilité d’un miroir ami, d’un / vous êtes libre. Le Vide à ce moment ne saurait la combler, lui offrir sa lumière. Elle le sait aussi elle épuisera poème après poème ce trop-plein de pourquoi, de pourquoi, de pourquoi / Hurlante l’enfantine : on m’a volé mon corps / dans ce ventre de fer / contre moi je m’élance ! / Et chacun le sait aussi : à un moment et cela arrive / il n’y a plus de moi contre qui s’élancer. Cela arrive la limite où les fantômes meurent / où commence le corps / cela, les larmes qui gagnent du Je t’aime, t’aime et pleure du de t’aimer tant, si mal
Arrive à un moment, ce mantra là comme il est là / sans plus une seconde avant, sans plus une seconde après, ce moment où / le présent devient, ce moment où le présent est un présent

/ Suis-je déjà la plaine est la troisième partie / c’est un parcours de reconstruction, en elle l’âme agit. Pour le moment elle tente de l’épuiser ce fantôme en elle, l’apaise-t-elle / déjà elle l’écrit, le rêve en attendant de le devenir ce Soi / Sur la pure intention j’avance / sur cette pure intention, elle avance. A un moment peut-être, le Vide sera son seul imaginaire. Alors une simple plaine lui apparaitra une simple plaine / Seront notés ces jours : m’est apparue la plaine […] soudaine inespérée, […] /

Probablement ce sont toujours lignes d’une peine encore vive / qu’elle envoie signaux. […] j’inspire. / ce qui veut rejaillir / […] / au vibrant m’initie. / […] et qu’elle conclut : ici ferai mémoire du vivant /

Je veux la croire, aussi je termine un peu comme j’ai commencé / N’en doutons pas Sabine Dewulf nous donne rendez-vous, le pourquoi n’est pas sans bourgeons, La Rose est en elle. A venir, à naitre donc ce texte qui viendra l’annoncer. /

Le porte-monde (plutôt des détails) de l’artiste brodeuse, Ise, accompagne(nt) ces poèmes. Une sorte d’attrape-rêve baroque, puisse-t-il jouer son rôle et faire sien, ceux de l’auteure.

Ce 27 novembre, 11h15 / […] M. me montre courte vidéo envoyée par […] / comment s’est-il introduit un petit rouge-gorge / sautillant dans la maison de ma mère de l’évier au sol là et là dans la cuisine aux endroits-mêmes où elle se tenait / nous y voyons chacun signe car elle nous parlait d’un / petit rouge-gorge venant parfois lui rendre visite /

ce 29 novembre, 18h26 / en boucle j’écoute cordes, Corelli, Concerto grosso in D, Op. 6, No. 1 - 2. Largo / ces lignes venues :
là après que Musique fut partagée / à ce moment contempler ressembla à s’avancer confiant dans plus encore de grâce si tenté que cela puisse exister / des mains s’accordèrent et c’est silence à ce moment qui devint juste à tel point que les chairs se mélangèrent en nudité pareille alors à l’air à l’eau à la femme dans l’homme à l’homme dans la femme aussi en eux ce fut en boucle musique en elle en lui / en une seule chair partagée ce fut à ce moment en deux corps / tout un territoire de longues marches un pont même un lavoir / qu’on entendit dans ce silence de bras d’épaules de seins de bustes de reins de ventres d’aines de cuisses de jambes de chevilles mêlés / entremêlés regards eux aussi s’accordèrent et bouches et salives et / ondes alors offrant à tout cela un Corps / ondes alors offrant dans le ciel des champs de céréales de blés durs / d’épeautre d’avoine d’orge / tout un territoire désormais semé d’un / Cela d’heures ainsi écoutées, entendues comme cordes sous archet

ce 30 novembre, à 9h41 et à 11h36, des mails encore / ai reçu photos et vents de l’existence de l’île d’Ons et des îles Ciés

ce 1er décembre, ai rendu signe, ai écrit : là la Lumière est là […] forte / à 15h06, ai confirmé : la Lumière bat son plein aussi j’ai lu : / [….] un chêne tout jaune sous mes yeux / ai vu le christ jaune, le ressuscité / n’ai pas dit à ce moment : suis empli d’un / j’aime d’un / je vous aime vous tous, au Monde, parfois l’écrivant ce monde / n’ai pas dit à ce moment : silence et Vide plein de quelque chose d’incandescent

ce 02 décembre, 23h24 / c’est Nuit-là c’est la Nuit il pleut / […] les yeux ouverts sur quoi
ce 05 décembre, à 8h29 : / à un moment du voyage c’est ainsi / le corps est juste cela : sang, souffle et quelque chose en lui, en voie / il envoie des signes, il en reçoit […] / 9h16 la Lumière est là, coup sur coup, deux traversées rapides, obliques… des moineaux / / […] maintenant (je) feuillète un livre carré,

TRANS / POESIE. Didier Cahen. Editions éres. Collection po&psy a parte. 2021. / 200 pages, 18 euros

Didier Cahen : « Pendant huit ans, avec une totale liberté offerte par Le Monde des livres […] j’ai proposé une chronique mensuelle […] / qui donnait place à l’expression poétique et à l’information éditoriale. La chronique se composait de deux parties : un poème de 9 vers écrit en recomposant 3 vers choisis dans 3 livres qui venaient de paraitre […] suivi de notices de présentation des livres retenus […] » / puis l’idée d’en faire un ensemble : TRANS/POESIE . Une initiative intéressante, outre la diversité des auteur(e)(s) / de Sôseki à Rainer Maria Rilke, de Degroote à Emaz, en passant par Serge Pey ou Inger Christensen et une foule d’autres / ce sont donc 243 livres recensés par ce biais là… / Des Syriens, des Américains, des Anglais, des Français, des Turcs, des Russes / le Japon, le Danemark, la Suisse, la Belgique, le Québec / […] lieux, époques, cultures représentés ainsi… De manière aléatoire et pour la route, quelques ambassadrices, quelques ambassadeurs, quelques poètes et leurs lignes :
Léonard Cohen / Mieux vaut tenir ma langue / mieux vaut apprendre ma place / lever mon verre, tenter de dire la grâce / Verlaine : Comme elle relevait son front d’entre ses mains / elle vit Jésus-Christ avec les traits humains / et les habits qu’il a dans les tableaux d’église / Saleb Diab : Je porte mon abîme et je marche / j’abolis les chemins qui s’éloignent… / Ainsi je vis en mon tréfonds. / / avec plus de légèreté, Joseph Guglielmi : Laisser pisser / le moi est / un panier sans fond / Dan Fante : Captain Trucmuch prend sous son siège / un bout de tuyau en métal / commence à l’agiter à plus de 110 bornes à l’heure / Allen Ginsberg : oh là-haut, des nuages dans le ciel / soudain leurs ombres dans la rue Mapleton / où Mrs Hurst arrose sa pelouse / Danielle Faugeras : Voix dans les broussailles… / La vieille voisine est morte / on dresse l’état des lieux / et ô même Nathalie Michel dont je suis fan : Trouver la joie où ? / Sur les rails ? Dans les livres ? / Sur tes lèvres. Dans tes bras ?
Touchante cette antho qui mêle des vivants et des morts, des voix… Elles nous disent des grandes ou des petites choses, peu importe ce qu’elles disent / l’essentiel, elles portent Souffle, un seul. Elles nous lient. /

Bruno Normand

Illustration : B.N / techniques mixtes. 2007.


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