Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Clément G. Second

lundi 30 mars 2015, par Cécile Guivarch

Porté par le silence

(Extraits)

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L’indication de l’arbre est à relire
au fond de la cour, près du muret
sur lequel son ombre au vent calme brouillonne

Question d’inclinaison de tête ou de regard

Que de ce tremblement dont le dedans s’affine,
l’angle de lecture à peine modifié,
on puisse dire — Ici était un chant écrit
dont la couleur de pierre a presque bu les branches

Ou encore — Là se dessine à traits fins un sourire
plissé d’attente prête à saisir la main
qui viendrait l’entourer d’un visage

La teneur des leçons, tenue même ténue
– non exténuée par le goût neuf de la boire
dans la coupe des yeux ombrée d’une paume –
va s’affranchir des phrases
au plus ancien de soi, paradoxale enfance

On la sent déjà qui ne se tait ni ne parle

Sa compagnie patiente
sous l’écorce passée,
sinueuse
d’un jour,
diffuse assez de sa souplesse
immobile au-devant des cahots de la suite

Énoncer équivaut à taire tout le reste
si n’en tressaille pas ce que l’on dit

Encore à même le feutré,
avant de proférer à lèvres non jointes,

invoquer pour le premier mot de ligne,
celui d’emblée trembleur dans les suivants,

de lointains sages bleus
estompés et nobles,
un peu haletants déjà de l’air à courir,
à traverser d’un pas d’intonation dansé

Qu’elle accoure à ce désir expectant douloureux
la Tresse aux fibres plus textiles
qu’un pur tapis de lin volant qui s’horizonne

L’horizon est ici, la Tresse étant la langue
lécheuse de ses petits chétifs pour qu’ils l’accroissent

Il faudrait plus d’effacement dans la présence.

Sans perdre corps,
laisser l’ouverture le fondre
assez pour ne plus le voir trop s’interposer

Qu’envolé des beaux yeux, le regard
y revienne seulement
pour trouver sa lumière manquante

Que la main au besoin se repose
sur le creux réchappé d’un départ
encore palpitant dans le cœur à bas bruit

Ou que, dite et donnée,
la parole renonce à sceller
tant d’espace inerme sans recours

Oh, si cela ne vient que trop différé
après la bonne heure,
puisse au moins son grain de vérité s’il en est une,
absous ou non du retard, qu’importe,
s’agréger minuscule
au gué mince qui tremble en travers
de courants congestionnés
par trop d’occupation, de pesanteur, d’urgence

Car si la rage a pu longtemps aux tempes battre,
un jour, en s’asseyant, on a mieux vu un ciel banal
au bleu poignant et gros d’encombre,
remous, signaux, foisons, fracas, regrets, tentatives, reports

Se taire depuis est passé à écrire
ce pointillé de noir et blanc

Cette couture qui unit
sans ligoter le jeu flou des ampleurs

Intermittence
clignotant vers les autres

Le silence est un mot qui se dédit, s’ignore
pour que la langue à jamais l’oublie

Il se désapprend se défait s’efface,
voudrait du pointillé faire un continu

Mais alors les songeurs auraient un problème
avec l’aération du regard et de l’ouïe

Où seraient passées les muettes et pâles
longues plages déplissées sous un ciel de surplace ?

Ils aiment y fouler l’opulence du sable,
d’une dune à l’autre inventorier des vides,

écouter contempler d’un point convoquant l’étendue

la mer nominatrice énoncer le rivage

Que la Pauvreté reine affleure
là où tarit l’audible,
je ne crois pas mais cela se peut

– Affleure, afflue, qui le dirait ? –
– Où tarit l’audible :
un fleuve efflanqué qui sinue sans bribes –

Oh la Régnante sans un mot, qu’à son heure
elle afflue, déborde et se prodigue !

La chambre est close et vaine, et sur la berge
reste, oubliée, offerte,
de l’encre non parlée
pour d’autres vauriens
de maraudage

Je ne me vois ici ne voudrais pas me voir
ou de profil tourné vers cet autre moi-même
à quitter à son tour
pour son suivant et les autres
jusqu’à extinction de la liste

Aux battements d’un cœur
qui varie, non encore ou bientôt avarié
l’attention gauchement pirogue

À chaque main creusée dans l’eau maigre pour boire
le niveau monte un peu

Qui sait, bientôt jusqu’à la taille ?

Entraperçue peut-être par erreur,

Oh la jamais nécessiteuse
Pauvresse magnifique en majesté de crue
qui fait tout
déferler dans le vide
d’ici,

qui se déhanche à peine

– qui ruisselait de nudité entre mes mains,
Reine intenable et lisse

Opulente

de

Rien


Mini entretien avec Clara Regy

TERRE À CIEL
Petite Rencontre

Pouvez-vous dire que « pour vous » l’écriture est ou serait arrivée un jour particulier ?

Non . Elle est peu à peu entrée dans ma vie. Pas de révélation, de big bang déclencheur. D’aussi loin que je me souvienne il s’est agi d’une imprégnation. La poésie aurait longtemps couvé pour se manifester plus tard sous forme d’attrait conscient, puis de besoin vital dès l’adolescence. Pas de « datation » exacte mais des repères. En voici quelques-uns.
Enfant, les soirs me fascinaient. La matité progressive des sons, une sorte de densité ambiante me mettaient dans un état de ravissement sourd. Impact magique des paroles en deçà de leur signification (aujourd’hui je l’éprouve encore). Il me semble avec le recul que c’était une expérience perceptive en rapport avec l’ineffable.
Il y a eu aussi plus tard, enfant toujours, l’évocation par mon père de ses très jeunes années. Sa façon rythmée et savoureuse de dire situations et personnages tenait du conte. L’accent qui portait ses paroles me captivait. J’y basculais vite, oubliant le reste et même celui qui me parlait.
En quatrième de collège, j’ai eu un prof de français ouvert et tolérant. Il nous prenait comme nous étions, assez turbulents souvent. En reconnaissant notre droit à la parole il nous amenait à nous intéresser à la littérature. C’était un ouvreur de fenêtres et de portes. Quel bien il nous faisait ! Un jour à la maison j’ai feuilleté le manuel de français. Cela me plaisait. De page en page, je suis arrivé à un passage des Misérables. Celui des chandeliers. J’étais bouleversé et réalisai confusément que peut-être plus encore que la situation humainement si forte, le ton de Hugo et sa façon d’embrasser le réel en nous y faisant mieux accéder causait mon émotion extrême. Dès lors je me suis mis à aimer la Langue sous les espèces des styles des uns et des autres.
J’ai beaucoup lu… Romanciers, nouvellistes et, de plus en plus, les poètes. Les programmes scolaires me laissaient sur ma faim. Avec mes moyens du bord et à travers amitiés et rencontres, j’ai découvert passionnément l’histoire, la variété, les grandes figures de la littérature. La puissance verbale de la poésie a pris le dessus (je n’ai pratiqué la nouvelle que beaucoup plus tard, vers la cinquantaine ). Je n’avais presque plus qu’elle en tête et en bouche. Pour moi la poésie était la création par excellence. Un chant transformateur. Les circonstances de mon adolescence n’étaient pas faciles. Un sentiment de solitude m’habitait. Un immense besoin de communion avec l’essentiel aussi. J’en suis arrivé à écrire par désir et nécessité. À ma petite échelle, j’avais tant à dire… et à redire. À quinze ans, bribe à bribe, de textes décevants en amorces, je suis passé à l’acte. Je n’ai pas cessé depuis.
Vous savez, les explications se prennent assez souvent les mots dans le tapis de leur supposée clarté par défaut de nuance… Tout est si mêlé, alterné, parfois paradoxal dans une évolution. J’espère ne pas avoir figé la mienne (d’ailleurs elle se poursuit !) par les aperçus qui précèdent.

Cette « écriture » vous vient-elle en certains lieux avec certains rituels ?

Je m’avoue réticent à admettre que certains lieux, certains éléments rituellement combinés puissent être valablement assignables à la pratique poétique. La mienne en tout cas s’est frottée sans trop de manières à la donne de circonstances parfois propices, parfois banales et assez souvent inconfortables.
Par fidélité à mes origines modestes et en cohérence avec le chemin ordinaire que j’ai parcouru, je revendique d’être un hombre del común, comme disent les Espagnols : un homme du commun. Commun, un adjectif riche d’implicites (la modestie, le partage) et que j’aime. Une conviction en découle : il est de l’intérêt de la poésie bien comprise de ne pas tendre à sacraliser son exercice. Elle risquerait de perdre de sa profondeur de condition humaine partagée.
L’existence que j’ai longtemps menée a traversé son lot de péripéties et de contraintes. Des charges de famille précocement importantes, des responsabilités professionnelles chronophages, et pas mal de zigzags. De limites aussi donc, temporelles entre autres. Mais je n’en étais pas triste, aimant alors comme aujourd’hui beaucoup la vie, qui sait se passer de textes pour regorger de poésie. Les poèmes, auxquels j’ai toujours été assidu, pouvaient bien patienter. Je me disais assez souvent que j’écrivais pour après. Cela ne m’empêchait pas de faire connaître des textes à quelques proches. Ma pratique s’est tenacement adaptée à ce qu’au jour le jour je pouvais préserver pour elle : interstices de temps volé, veilles, levers très matinaux. Carnets, ah les carnets pour ne pas perdre des mots, des vers de passage. Tiroirs encombrés, en attente. La question du lieu, du moment, du rite n’avait aucun sens. Seule en avait celle de la disponibilité.

Quelle place occupe-t-elle dans votre quotidien ?

Depuis quelques années le gros de ces contraintes est derrière. Malgré l’incompressibilité des obligations quotidiennes et quelques loisirs qui me sont chers (lecture, balades, jardinage…), l’écriture – en partie récupératrice de poèmes antérieurs – peut se moduler en souplesse et en nombre d’heures au gré du désir d’écrire et de m’ouvrir à plus de partage poétique, d’où mes initiatives en vue de publications dans des revues depuis fin 2013. Toujours pas d’habitudes installées ni de dispositions rituelles.
Comme auparavant toutefois je ne suis pas insensible, par exemple, au charme facilitateur d’une terrasse de café bercée par l’animation de la place au soleil, d’une balade agacée de furtifs haïkus, d’un grain menu de papier sur lequel la bille du stylo glisse, des jeux de lumière et d’ombre de la lampe à la veillée, ou encore de la compagnie mélancolique de Coleman Hawkins ou Schubert… toujours en wanderer

Quelle serait votre bibliothèque idéale ?

Ma bibliothèque idéale de poésie répondrait à trois besoins.
Elle reflèterait des préférences qui me portent vers les poètes existentiels et plus particulièrement ceux de l’intime et de la confidence (Charles d’Orléans, Du Bellay, E. Dickinson, Supervielle, Jaccottet parmi d’autres ).

Elle s’ouvrirait à d’autres voix plus éloignées (comme celles de Ronsard, Hugo – deux grands pourtant –, Perse, Michaux, aussi Celan et Char pour certains de leurs textes où ma lecture cherche encore une entrée) , avec lesquelles j’ai du mal et qui me sont pourtant indispensables au nom du non-renfermement sur soi et des découvertes en attente.

Fréquentable par mes proches et amis, elle devrait abriter dans ses rayonnages (combien de mètres !?) des recueils qu’ils apprécieraient d’y retrouver parmi d’autres.

Mutatis mutandis, même chose concernant les genres narratifs.

Quels mots pourriez-vous associer à celui de « poésie » ?

Ces associables au mot poésie sont pour moi ceux de l’ordre de la beauté, de la profondeur et de l’amour.
Autant dire une foule dans laquelle il est bien ardu de choisir. En distinguer quelques-uns serait en taire tant d’autres !
Ce sont tous ceux que le poème assemble et fait chanter.
Je pense par exemple à l’énumération abondante des brésiliennes Águas de Março magnifiées par les voix de Elias Regina et Tom Jobim (version française avec Stacey Kent ou Georges Moustaki).
… Sans oublier le mot des mots, celui qui les traverse tous et qui tous les contient, et qui s’en va un peu plus loin quand on voudrait tant l’énoncer, pour revenir plus tard mais à sa guise.
Le mot liberté-présence ?

Clément G. Second

Écrit depuis 1959 : poèmes, nouvelles, notes sur la pratique de l’écrit principalement. Quelques communications artisanales à diffusion confidentielle.
Fréquente littérature, arts, philosophie et spiritualité.
A commencé à collaborer à des revues (Le Capital des Mots, La Cause Littéraire, N47…) depuis fin 2013 par besoin de plus d’ouverture. Partie prenante de L’Œil & l’Encre*, blog collectif photos-textes à l’initiative de la photographe Agnès Delrieu ( le montage de ce blog déjà visitable se poursuit).
Se sent proche de toute écriture qui « donne à lire et à deviner » (Sagesse chinoise ), dans laquelle « une seule chose compte, celle qui ne peut être expliquée » (Georges Braque), et qui relève du constat d’Albert Camus : « L’expression commence où la pensée finit ».

* http://agnesdelrieu.wix.com/loeiletlencre
a1944@hotmail.fr


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3 Messages

  • Clément G. Second Le 11 janvier 2017 à 12:16, par marine Dussarrat

    J’ai aimé ’Le silence est un mot qui se dédit...’ entre autres, et aussi je veux vous remercier pour votre commentaire sur Lichen qui m’a touchée
    Belle journée Clément
    Marine Dussarrat

    Répondre à ce message

    • Clément G. Second Le 15 mars 2017 à 20:58, par Clément G. Second

      Ho je suis bien en retard, voulez-vous m’excuser... Pour vous dire que mon remerciement croise le vôtre. Bien à vous en poésie !
      Clément

      Répondre à ce message

      • Clément G. Second Le 7 septembre 2017 à 11:47, par marine Dussarrat

        Je suis touchée par les messages que vous laissez sur Lichen, vraiment. Qu’importe si comme les miens d’ailleurs ils me parviennent plus tard !

        Sur Ecume j’ai vu qu’il y avait une faute sur le A de ce dernier paragraphe

        Tu es né du sable et du vent
        Du dénuement
        La marque de tes pas
        S’inscrit au mitan de la dune
        Rejoignant cette immortelle
        Qui demeure ancrée
        Malgré la tempête
        A la même place...

        Je vous souhaite une très bonne journée
        Marine

        Répondre à ce message

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