Mathilde Roux
(Photo © Emmanuel Delabranche)
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Cheminements dans le corps du texte
Images extraites de la série « Territoires » - cartes en calque, découpes, papiers imprimés, avril-août 2013.
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Ils ont écrit à partir des Territoires de Mathilde Roux :
Emmanuel Delabranche
Virginie Gautier
Nathanaël Gobenceaux
Pierre Ménard
Isabelle Pariente-Butterlin
Entretien (mené par Sabine Huynh)
Quels sont ces textes qu’on peut lire en transparence ? Et d’où proviennent ces cartes ? As-tu choisi ces documents spécialement pour ce projet, je veux dire, dans l’idée de les recouper ?
La série Territoires a été réalisée sur un seul et même document textuel : il s’agit d’une revue littéraire intitulée 3ème liasse, imprimée en 1977. J’ai déniché cet exemplaire par hasard chez un bouquiniste ; la moitié des pages n’étaient pas massicotées, cela m’a permis de les déplier et d’avoir sur une même surface des textes d’articles différents, avec des paginations décalées, ce qui m’a beaucoup plu. On ne le voit pas avec le recadrage des images mais la série propose des tableaux de 4 pages contigües, comme cela :
Pour cette série, j’ai moi-même réalisé les cartes à partir de cartes réelles, en grande majorité des cartes portuaires puisque je voulais une partie terre et une partie mer, pour matérialiser à la fois la notion de littoral et celle de zone habitable ou non habitable. J’ai ensuite travaillé à positionner les zones d’opacité et de transparence à certains endroits précis du texte. Les silhouettes continentales ainsi que les chemins tracés sont donc en partie réalistes et en partie imaginaires.
Avec la mise à l’avant de certains termes ou fragments, tu as composé d’autres textes, poétiques, énigmatiques, une espèce de fil d’Ariane déroulé dans un nouveau territoire textuel. Quel est ton fil d’Ariane à toi ?
Ah, l’indispensable fil d’Ariane… Je pense pour ma part qu’il y a plusieurs fils qui se combinent, consciemment ou inconsciemment, et qui en créent sans cesse de nouveaux. S’il faut absolument en déterminer un, alors je dirais peut-être l’exploration. Ou le tissage.
De façon générale, travailles-tu à partir d’un thème élu, ou bien te lances-tu, spontanément, intuitivement, sans direction précise ? Si tel est le cas, qu’est-ce qui te guide ?
Il me semble que toutes mes réalisations sont le fruit d’une rencontre (au sens large, y compris la rencontre avec un document, un matériau), d’un déclic, d’une idée qui vient à moi et je la suis sans savoir d’emblée où elle me mènera. Pour la série Territoires, par exemple, j’avais en tête depuis un moment de placer le texte « sous » les cartes plutôt que « dessus » comme je le faisais, qu’il soit comme un sous-sol, une fondation, un élément géologique. Puis j’ai trouvé cette revue, puis j’ai pensé aux calques, puis tout s’est combiné et plus je me penchais sur ces cartes-textes plus les fils apparaissaient d’eux-mêmes ! De l’intuition oui sans doute, investie et travaillée.
La place du collage dans ta vie ?
Importante à tous points de vue. L’interaction image-texte m’intéresse depuis toujours (de même que l’interaction son-image et l’interaction texte-son), et lorsque la technique (je n’aime pas trop ce mot mais je n’en trouve pas d’autre) du collage m’est apparue, en même temps que le fait d’exploiter des documents géographiques, j’ai senti que j’avais trouvé là un – pour ne pas dire mon – territoire d’expression. Travailler sur des matériaux existants est une source d’inspiration permanente, toujours renouvelée. Mais il faut prendre le temps de la recherche.
La place de l’écriture dans ta vie de collagiste ?
Jusqu’à présent, il a été plus compliqué pour moi d’écrire directement. Je constate que les contraintes me libèrent de tout un arsenal de doutes et je compose plus facilement avec l’existant qu’avec la page blanche. Sans faire trop de généralités, je crois néanmoins que tout travail de création est un travail d’écriture (ensemble composé de signes), la matérialisation d’une voix, d’un regard. Un travail de langage, de communication.
Depuis que je suis enfant, je nourris une grande fascination/passion pour les collages de Jacques Prévert (mon premier amour de poète). Je me demande si tu les connais, ce qu’ils t’inspirent.
Cela va peut-être te paraître curieux, Sabine, mais j’ai mis longtemps à apprécier Prévert, je ne sais pourquoi ses textes et ses collages me donnaient une sorte de cafard ; aujourd’hui je comprends sa liberté de ton et son minimalisme. Un certain nombre d’auteurs ont également pratiqué ou développé un art visuel, cela m’intéresse bien évidemment, et j’aimerais te citer Claude Simon, qui en est un exemple et qui dans ses Conférences notamment ne cesse d’associer la littérature aux autres arts, en particulier plastiques. Voici ce qu’il énonce à propos de l’acte d’écrire et qui s’applique il me semble à tout acte créatif : « Travailler à quoi ? Je dirais à fabriquer (à produire) des objets qui n’existent pas dans le monde dit réel, qui sont cependant en rapport avec celui-ci, mais qui, au sein de la langue se trouvent en même temps en rapports avec d’autres objets qui, dans le temps et l’espace mesurables peuvent s’en trouver infiniment éloignés. »
Mathilde Roux, auteur et plasticienne, vit à Paris. Elle se présente volontiers comme une « chercheuse d’articulations ». Elle fabrique des textes, des sons et des images diffusés sur son site, présentés en festival (collectif Général Instin), édités chez publie.net et en revue (d’ici là, Engawa, remue.net et Hors Sol) ; son travail de collage mêlant l’écrit et le document géographique a fait l’objet de diverses expositions.
Dernier ouvrage paru : Via & Vers, éditions publie.net, novembre 2014 (avec Nathanaël Gobenceaux et Rémi Froger).