Cours, Antigone, cours, Casimir Prat
What Door – What Hour – Run – Run – My soul !
Illuminate the house !
Emily Dickinson« ah, oui, je comprends maintenant : vous venez pour la maison . . . c’est ma sœur qui l’a mise en vente, elle dit qu’elle est trop grande pour moi . . . ». Donc une maison est à vendre. Celle d’Antigone devenue vieille ? Plus qu’à du théâtre, auquel le nom d’Antigone fait penser, ce livre relève du procédé cinématographique : au fur et à mesure de la visite « flottante » des lieux (Casimir Prat est-il le visiteur ?) surgissent des souvenirs ; des voix « fantômes » se mêlent à une voix off.
Au début, la différence des caractères romains ou italiques, donne à penser que l’on va suivre aisément ces dialogues, mais bien vite les signes féminins/masculins passent d’une graphie à l’autre, brouillent les repères. On comprend alors que seule la tête du poète est le lieu du dialogue (de la visite). Le poète est la voix d’Antigone qui est la voix du poète. Dans ce livre, tout est la parole d’Antigone ; toute parole crée Antigone.« Et puis, pourquoi, à la fin, ne pas laisser tout ça comme ça ?
Pourquoi ne pas laisser toutes ces choses se débrouiller au milieu
de leur beau désordre … »C’est un choral, dit Philippe-Marie Bernadou, le préfacier. Les voix se mêlent, créent une harmonie, une impression de fugue, un ensemble ; peut-être plus chorus, dirais-je, où la parole « solo » passe d’instrumentiste en instrumentiste. On s’enivre, on se laisse enivrer par le poème, la richesse du poème, ce mélange de trivialités « J’ai fait du café, vous en voulez une tasse » et l’ampleur des images :
« et la plus petite miette de pain peut dialoguer avec le sentiment d’immortalité
et le pressentiment de la mort discute avec le reflet de l’oiseau sur la cerise . . . »,d’interrogations sur le pourquoi, le comment du poème, de réflexions (ironiques) sur le livre en train de se faire :
à présent tu vois, je n’ai plus peur des métaphores, je les habille comme des poupées,
les préoccupations formelles du poète :
chaque poème ressemble à une scène où viendrait de tomber
les petites plumes blanches du silence, toutes les lettres blanches
du silence …/…
et moi aussi je tourne sur moi-même et disparaisde souvenirs (perso) de l’auteur :
« Emmène-moi à travers la ville blanche, jusqu’au bout de la dernière Rambla …
Ah, comme je voudrais que tu marches avec moi dans tous ces souvenirs et partages avec moi … une ensaïmada achetée à la Pasteleria de la calle Boada … accompagnée d’une leche merengada, Oh, viens ! »J’aurais bien vu ce livre s’intituler : Méditations sur les Antigone enrichies d’exemples tirés des paroles de quelques autres Antigone célèbres : Ingeborg Bachman, Sylvia Plath, Virginia Woolf, Alexandra Pijarnik, et Emily Dickinson.
Parmi toutes ces paroles, nous sommes la figure de la lectrice, on passe entre deux miroirs de paroles qui se font face. Notre lecture traverse une sorte de composition en abyme.
« lorsque j’allume une cigarette
je suis seule avec moi-même, et la fumée –
seule en moi-même, tellement seule
que je me demande si je suis encore moi et non pas plutôt cette fumée
qui s’échappe voluptueusement de ma bouche
et s’élève langoureusement
au-dessus de l’idée-même que je suis en train de fumer . . . »A cause d’Antigone, d’Ismène, du miroir, de la maison à vendre, et de ce long poème choral, je conclurais bien par ces mots de Yannis Rítsos :
La poésie n’a jamais le dernier mot
Le premier, toujours.Ainsi, même à la fin, on est toujours au début de ce Cours, Antigone, cours
Cours, Antigone, cours, Casimir Prat, Ed Le Taillis Pré (17 €)
Christian Degoutte