Danièle FAUGERAS vit et travaille à Liouc, dans le Gard. Elle partage son activité d’écriture entre poésie, traduction et édition.
Son travail de traductrice, d’abord centré sur des textes de clinique psychiatrique-psychanalytique (une trentaine de volumes traduits à ce jour pour la collection “La Maison jaune” qu’elle codirige depuis 1998 aux éditions Érès, mais aussi pour les Éditions des Femmes, Naïve, etc.), est consacré exclusivement à la poésie depuis 2006, date de sa rencontre avec Pascale Janot, avec qui elle traduit régulièrement à quatre mains depuis l’italien (Patrizia Cavalli, Paolo Universo, Leonardo Sinisgalli, Francesco Scarabicchi). Seule, elle s’est engagée sur des chantiers de longue haleine, retraduisant à une seule voix l’œuvre poétique complète d’auteurs espagnols comme Antonio Porchia (PO&PSY in extenso 2013) et Federico García Lorca (PO&PSY in extenso 2016).
En 2008, elle a créé aux éditions Érès avec Pascale Janot la collection de poésie PO&PSY (www.poetpsy.wordpress.com), qui fait dialoguer des textes poétiques brefs de tous lieux et temps avec des œuvres graphiques et photographiques contemporaines.
Son propre travail d’écriture poétique, nourri de silences et de contacts quotidiens avec les éléments de la nature, lui a permis de découvrir que « monde externe et monde interne » ne font qu’un, un réel unique, inaccessible, certes, mais qui se laisse parfois approcher par un regard « détaché », consentant à son incompréhension.
Entre la publication d’un premier recueil, Ici n’est plus très loin, anthologie personnelle parue en 2001 aux éditions La Part de l’Œil à Bruxelles, et celle, en novembre 2014, de Paroles obliques, aux Éditions en ligne Recours au poème, elle a privilégié le dialogue avec des amis artistes et publié :
- Brèche, avec des monotypes de Jean-Marie Cartereau (plus 20 tirages de tête avec une œuvre originale de l’artiste) aux éditions Encre et lumière, Cannes et Clairan, 2006 ;
- État de lieux, avec des fusains de Philippe Agostini, Propos2Éditions, Manosque 2009 ;
- Lieu dit, avec des gouaches d’Alexandre Hollan, Propos2éditions, Manosque 2010 ;
- Murs, avec des dessins de Magali Latil, Propos2editions, Manosque 2010 ;
- Quelque chose n’est, suivi de 5 grands poèmes pour voir, sur des fusains d’Alexandre Hollan (plus 11 tirages de tête avec une œuvre originale de l’artiste), éditions Lieux dits, collection Deux rives, Strasbourg 2014 ;
- Éphéméride 03, avec des dessins de Martine Cazin, Propos2éditions, Manosque 2014 ;
- Triptyque, avec des dessins de Krochka, Artpromptu PO&PSY 2016 ;
- À chaque jour suffit sont poème – haïku, éditions Pippa, Paris 2018.
Inversement, dans Ce qui vient profus, paru chez Propos2éditions en 2018, elle propose ses propres photographies à la réflexion poétique de Claudine Bohi.
On trouve de ses poèmes dans les revues Prevue, L’Atelier, Vocatif, Voix d’encre, Littérales, Revue Alsacienne de Littérature, Recours au Poème, Terre à ciel... Certains ont été traduits en italien pour la revue Interpretare.
Extraits de Éphéméride 03, avec des dessins de Martine Cazin, Propos2éditions, Manosque 2014
Midi
comme un couvercle
palpite sur l’ébullition
du jour.Sous le tilleul un monde
s’endort
dételé de la rumeur lointaine.Une cigale
solitaire fracasse
l’invisible.
Rend un son à l’immobilité.(Assourdissant le chant silencieux de l’étreinte.)
27 juin 1985
Ardent
sans échauffer
– feu gagnant
du soleil.Avertit que l’excès
approche.Rejoindre l’ombre
sachant
la voie.28 juin 1985
*
Hiver
sans gelfait reliure d’un souci au catalogue
des branches.Les boutons rose-japon, le vent
les décapite
dans sa hâte à feuilleter.On redoute un printemps illisible.
12 février 1988
Extraits de Paroles obliques, Ed. en ligne Recours au poème, 2014
PARAPHRASE
Le chanteur invisible et véridique s’est tu -au cœur deltographique. N’a pas laissé d’oracle. Et le peuple des morts tient le haut du progrès dans la moelle des vivants.
De l’homme à l’homme égal à lui-même court un délire sans frein qui rapetisse le monde, le consigne dans la marge d’un formulaire étroit.
L’œil aussi s’est éteint. Désaimanté l’éclat qui poussait ses racines jusqu’à mordre sur le cœur.
La peau hors du frisson ne se reconnaît plus. Du fond de l’horizon l’autre sexe ne parle plus que par signes.
Et nous
privés de chant,plutôt que
nous risquer
d’un souffle im-
proférénous perpétuons d’œuvrer
à cette apocalypse
d’un sens
surentenduqui ne dit
et s’épuise
à ne dire
quenous-
mêmes.*
SANS SOUPIRS SANS SILENCES la chanson trop humaine.
Sans échos l’air du temps.
Sans ombres les lueurs fardées imitées des célestes -minuteries dont le spectre effarouche le pâle reflet des choses au secret de la nuit.
Sans fin l’échevèlement des signes, recouvreurs à perpétuité.
Sans fond, ce malheur de grands fonds qui s’ignore en abîme, s’abîme de s’ignorer.
Extraits de Quelque chose n’est, sur des dessins d’Alexandre Hollan, suivi de Cinq grands poèmes pour voir, éditions Lieux dits, coll. Deux rives, Strasbourg 2014
quelque
chose
n’est
ne se lie se lit pas
encore
ne se livre
pas
***
quelque
chose
objet
ou paysage arbre rocher visage
***
quelle que
chose
n’est pas
rien
***
(pour peu que
pourvu
qu’un regard
la
traverse
lui donne
corps
corps d’un monde au regard d’un autre monde
pré-
existant
***
qu’un mot la caresse
adresse
l’invitant à
rallier
au revers de la peau
au devers de la page
sa présence
alors
affluant
***
corps de monde
corps
de mots
dans les mots prenant corps
pour être
quelque
chose
entre deux mondes
existant
... /...
Recours (début)Comme
un briquet battu au centre
de l’épais
de l’obscur
du sans-voixsoleil-prenants
les mots
nés
de la terre(la terre comme
elle nous porte)blanchie
à l’air qui givre
sur le foyer des pierres
Souffle
enserrant à rompre
les ligaments
les os(le pâle échafaudage
tremblant et roide)
tandis que
sous le frontune marée...
(...)
Extraits de À chaque jour suffit son poème – haïku, éditions Pippa, Paris 2018
II- bourgeons de pluie
fenêtre ouverte -
à lui seul un chant d’oiseau
peut remplir la nuit*
de nuit les distances
que je ne vois pas les oiseaux
me les font entendre*
fenêtre close -
qu’elle est longue la nuit privée
du chant des oiseaux !*
comment ce matin
distinguer gouttes de feuilles
et bourgeons de pluie ?*
début de vacances –
nouveaux visages déconfits
sous les parapluies*
au fond de la combe
chaque coup de marteau déchaîne
plus de dix mille sons*
d’un coup de truelle
ce rustre a tranché le fil
de vie de la vigne vierge*
homme sans pause qui crois
porter le monde... ta détresse
sans pause également*
un poème par jour
un signe d’un ami suffisent
à nourrir ma vie*
sans souci de l’heure
où la langue fourchera
de ne pas à ne plus
Extraits de Ici n’est plus très loin, Ed. La part de l’œil, Bruxelles 2001
Éclats de vue (début)
De bleu
et de vert: lumières.
D’immatériels éclats.
*
Verte la mer
immobile
à midi.Chauffée au vert.
*
Plage poussière
de soleils
unanimes(égrenée
perd son compte
dans le découlement d’un identique l’autre
chaque fois différent).*
Entre ses marbres
infimes
s’ouvrent
des abîmes de temps.*
Ici
durée
n’est pas
affaire de temps.S’évalue au
tracé
(gradationdégradés
de lumière sur
le sol.*
Ou
encore cette
fracture
inéluctabledu bleu.
*
Entre
mer et cielseul
l’horizon
séparele bleu du bleu. (…/…)
*
de Refuge des souffles (gravir)
L’APPROCHE qui raréfie
le visible accroît le ciel
d’un vide tout-puissant d’im- perçus :
toutes les visions possibles...
Que nul pré-
disposé
ne s’avise de soutenir l’appel
du dernier pas
qui vacille
car il faut entre lui et la vision promise
tout l’abîme ascendant sidératif
du blanc pour être
à la hauteur :
de plain-pied avec l’événement.***
COL-RACCROC de ciel
dru déminéralisant.Aventés sous le col
sans que
l’abrupt des bords
n’instigue
ni ne menace
nous redoublons l’instant
d’un retournement
franc.Sachant
vaine
l’étreinte qui rendrait
le chemin.***
... SE FONDRE ENCORE
glisser couler ramper
renouant le vieux pacte
d’horizontalitépour enrayer
l’envolla chute
en contre-haut
dans le battement du bleu.(…/…)
Extraits de brèche, avec des monotypes de Jean-Marie-Cartereau, Ed. Encre et lumière, Cannes et Clairan 2006
griffue
grilleclair-obstacle
l’horizon
a cédébris
d’aplats
comme le gel expulsé
brise
l’air*
souffles
échelonnant en apnées
moribondesvallée de souffles attelés
vision
halète*
la terre en bloc
poudroie.
Le ciel,
dans ses humeurs-stérile
maladie blanche
d’échosà froid
(…/…)
Extraits de état de lieux, avec des fusains de Philippe Agostini, Propos2éditions, coll. Le mur dans le miroir, Manosque 2009
SEUIL
Mi-
cheminentre
l’exubérance radieuse chaleureuse
de l’externeet le tréfonds
secret- replis recoins du cœur
Lieu hors place
aire
du pasdes toujours premiers pas
que
passer
pour se mettre en
demeure
ou d’absence prendre
accès
(et réciproquement
par où
rafale
l’hivers’engage
fait irruption intrusion
(une percée
pour frayer
: voie d’approche d’inconnus familiers.
***
BASSIN
Tel que
(voilé encore désaltérant la brumeson secret :
un murmure
dans l’arideclapement
vers l’entre-baîllée soif.
Encore rien
de visible, à peine
supposition): un épanchement sourd et entravé
du vert.
Aussi ce calme
au dépourvu
- une pause
dans la fabrique
du temps.
Extraits de murs, avec des dessins de Magali Latil, Propos2éditions, coll. Le mur dans le miroir, Manosque 2010
pierres
s’articulant dictent
à mes mainsle mur
*
page d’écriture
dresséetablette montant
du sol
au ciel*
façade
(pour nous – êtres
de surface)se contentant
d’informeterre en arrière
ramassée
*
à toute épreuve
ancrée
par voie d’informe
la pierre(…/…)
pierres en mains
pierres en têtesans mot dire
pierres
en bouche*
pierres
: les dents du vent*
mur échec
au ventque le vent remâche
que le vent
contourne(une valeur
allusive)*
mur qui va
sans direde consentir faisant é
chec
au parler sec
du vent*
de pierre
en mur
les mots du ventramassés
s’élevant*
à main levée
à bouche cousue
se dressant(changement
de plan)*
silence dressé de la pierre
face au vent(…/…)
Extraits de lieu dit, avec des encres d’Alexandre Hollan, Propos2éditions, coll. Le mur dans le miroir, Manosque 2010