La poésie, les essais et les traductions de Dara Barnat ont paru notamment dans les revues The Cortland Review, diode, Poet Lore, Crab Orchard Review, The Collagist, Los Angeles Review of Books, Jacket2, et Bridges : A Jewish Feminist Journal. Sa première plaquette de poèmes, Headwind Migration, a été publiée en 2009. Le recueil bilingue anglais-français Taut, Invisible Threads / Des liens invisibles, tendus a été publié par Recours Au Poème Éditeurs en 2014 (dans une traduction française de Sabine Huynh). Ses poèmes ont aussi été traduits en hébreu (par Gili Haimovitch, publiés dans Shvo et Makaf). Le recueil In The Absence a été publié aux éditions Turning Point en 2016. Dara détient un doctorat de l’université de Tel Aviv, où elle enseigne actuellement, au département d’études anglaises et américaines, en tant que « Writing Director ».
Les cinq poèmes suivants ont été traduits de l’anglais (américain) par Sabine Huynh et sont extraits du recueil In The Absence (Turning Point, 2016).
The Best Piece of Blue Sky
If my brother could pick
_____a piece of sky,he’d give it to me on earth,
_____though he can’tseem to figure out
_____where the sky endsor begins, or whether the sky
_____has a beginningor an ending. What
_____do beginningsand endings matter when illness
_____occupied our housebefore we knew illness
_____could occupya house, confusing everyone,
_____like a cloudthat changes shapes and disappears
_____into otherclouds, but never from
_____the sky altogether ?Who cares about the shape
_____of this cloud,when the sky falls when
_____it falls ? He could pickfor me the best piece
_____of blue sky,_____still I’d have no answer.
Le meilleur morceau de ciel bleu
Si mon frère pouvait choisir
_____un morceau de ciel,il me le donnerait ici bas,
_____même s’il n’a pas l’aird’arriver à saisir où le ciel finit,
_____où le ciel commence, s’il a un débutou une fin. Qui s’intéressait
_____aux débutset aux fins quand la maladie
_____occupait notre maison,avant de savoir que la maladie
_____pouvait occuperune maison, perturbant tout le monde,
_____comme un nuagequi change de forme et se fond
_____à d’autresnuages, mais jamais
_____au ciel ?Qui s’intéresse à la forme
_____de ce nuage,quand le ciel tombe quand
_____il tombe ? Même s’il choisissaitpour moi le meilleur morceau
_____de ciel bleu,je n’aurais toujours pas de réponse.
What Happens Before Anything
So many things happen before
anything happens. Water climbstwo hundred degrees before it boils,
like my mother criedfor fifteen years before
she left my father, like Suzannekept drinking and taking drugs
before her heart gave out. WhenI learned of Suzanne’s heart
I was walking across campus,arms filled with books.
Then I felt the weightshe must have carried, piling up
like snowflakes, light at first.(« What Happens Before Anything » first appeared in The Cortland Review.)
Ce qui se passe avant tout
Tant de choses se passent avant
que quoi que ce soit ne se passe. L’eau monteà deux cents degrés avant de bouillir,
telle ma mère qui pleuraquinze ans avant de
quitter mon père, telle Suzannequi ne cessa de boire et de se droguer
avant que son cœur ne cède. Quandj’ai appris pour le cœur de Suzanne
je traversais le campus,les bras chargés de livres.
J’ai alors senti le poidsqu’elle avait dû porter, s’amassant
comme des flocons de neige, légers, au début.
What Holds
The dam I built against history
held as long as anyman-made thing,
long enough to believeit couldn’t be torn down.
But fracturesgrew wide enough
for history to pour in,a surge too fast to run from, filled
with debris.What choice was there, but to grab
what I could, hopeto be saved ?
Ce qui tient
Le barrage que j’ai bâti contre l’histoire
a tenu aussi longtemps que n’importe quellechose faite par les hommes,
assez longtemps pour croirequ’il ne pourrait être démoli.
Mais les brèchesse sont tellement élargies
que l’histoire s’y est infiltrée,s’y déversant trop vite pour qu’on lui échappe, pleine
de débris.Que pouvais-je faire, excepté attraper
ce que je pouvais, espérerêtre sauvée ?
Grief’s Language
_____To escape the deaths
strewn about life, I packed my things,moved to another country, learned
a new language, hidin cafés, where I wouldn’t be
recognized in a crowd.But grief slips
across borders, betweencountries and languages.
There grief was, tapping meon the shoulder, greeting me
in Hebrew, Shalom._____I could no longer
disguise myself or beg grief to stopfollowing me. I’ve started
speaking to grief in everylanguage possible. Sometimes
we end up laughing.(« Grief’s Language » first appeared in The Collagist.)
La langue du chagrin
_____Pour échapper aux morts
que la vie répand, j’ai fait mon sac,je suis partie pour un autre pays, j’ai appris
une nouvelle langue, je me suis cachéedans des cafés, des lieux bondés
où l’on ne me reconnaîtrait pas._____Mais le chagrin se glisse
entre les frontières, entreles pays et les langues.
Le chagrin était là, d’une petite tapesur l’épaule, il me salua
en hébreu, Shalom.Je ne pouvais plus
me déguiser ou supplier le chagrin d’arrêterde me suivre. J’ai commencé
à parler au chagrin dans toutesles langues possibles. Parfois
nous finissions par rire.
No Goodbye Never Said
Then I’m walking on the street and there
you are, light
against the dusk, in an armchair,
left leg atop the other, right hand
under your chin,
as if you’ve been thinking,
and you’re wearing
that jacket, and we see each other
for who we are now,
and you say, I’m sorry I couldn’t stay as long
as I wanted, and I say, I’m sorry
I couldn’t help ease you
from this world, then the air
around you turns bronze,
like the ring you wore,
and the side of your mouth lifts,
because you’re remembering
a joke that we two shared,
then the air around you turns white,
like the snow
you shoveled from the car,
and you say, Be sure to get home before dark.
Jamais d’au revoir jamais dit
Alors je marche dans la rue et
te voilà, léger
assis dans le crépuscule et un fauteuil,
jambes croisées, la main droite
sous ton menton,
comme si tu étais en train de penser,
et tu portes
cette veste, et nous nous voyons
tels que nous sommes aujourd’hui,
et tu dis : je suis désolé de n’avoir pu rester
aussi longtemps que je le voulais ; et je dis : je suis désolée
de n’avoir pu te faciliter la sortie de ce monde ; puis l’air
autour de toi se transforme en bronze,
comme la bague que tu portais,
et les coins de ta bouche se soulèvent,
car tu te souviens
d’une blague que nous partagions tous les deux,
puis l’air autour de toi blanchit,
comme la neige
que tu pelletais de la voiture,
et tu dis : prends soin de rentrer avant la nuit.