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Elis Podnar, « Centre du poème »

jeudi 9 janvier 2020, par Cécile Guivarch

mille mots
entre nous
et le cri estompé
des mouettes

lente répétition
qui commence à noircir

mille mots
ne suffisent pas
pour défaire le tissu
de notre regard

 
 
 

devant la fleur d’iris
ils se taisent,
ils se ressemblent

cet édifice
à l’angle précaire,
fureur d’un avant-monde
coupé en deux

 
 
 

ainsi, on se croise
dans les yeux verts
de la pluie

cette cérémonie
irréductible
qui donne du sens
la cadence avide
des racines

 
 
 

le soir a l’odeur
des raisins,
tu me racontes
une histoire
de nuages déguisés
en squelettes de poissons
qui voguent à pleines voiles
(juste comme ça)
vers le Babel intime
des mots

 
 
 

le centre du poème
est un endroit
plus seul que la respiration
perceptible des vagues,
une brèche pour avouer
la douceur
exténuée des mots

 
 
 

les arbres
en décembre,
le vent lèche
leur écorce
noire de pluie
(corps de tendresse
et d’inquiétude)
il faudrait
que tu devines
les mots jamais dits
(signes incrédules)
à la dérive vers
les nuits tièdes
du printemps

 
 
 

alors, lis pour moi !
l’irrésistible pulsation
des voyelles,
la phrase pliée
aux orbites
des comètes

lis pour moi
jusqu’au lever du soleil
quand la lumière
devient plus réelle
que l’eau salée
de l’oubli

 
 
 

j’habite
le verbe fragile
(matière première
d’un pays
blanc, innommé)

je guette
la naissance
naïve
des nuages
pour déjouer
le prochain
mouvement
d’un métronome
au bras maigre,
décalé

 
 
 

on est bien au chaud,
couverts par le son
calfeutré de la pluie
(interférence
qui grésille
et se cogne
sur la vitre)
ne dis rien,
on invente
ce continent
friable
sorti de la parole
disjointe

La poésie :
   En poésie la nature m’inspire comme les notions abstraites (la solitude, le temps, la distance qui permet de connaître les choses et les gens d’une manière tendre, en douceur).
   La poésie représente une manière de (se) connaître. Les mots, beaux en eux-mêmes, deviennent une matière première, comme les idées platoniciennes. Je les accorde souvent au changement de saisons, au vent, à mes états d’âme ou à ceux des gens qui me sont proches. Grâce à la poésie l’instant est multiplié ou au contraire arrêté (le paradoxe du zéro ou l’infini).
   La forme du haïku japonais m’a complètement conquise, mais pas le fait de compter les syllabes. Je pratique l’économie des mots. Avant de finir un poème, je me demande si je peux couper encore des éléments qui n’apportent rien à l’ensemble. J’ai lu quelque part que dans la Rome antique, les gens redoutaient que les poètes lisent de longs poèmes aux banquets.
   J’habite au Canada, depuis quelques années déjà, dans la région de Toronto et j’utilise l’anglais tous les jours. J’ai commencé à écrire en roumain, ma langue maternelle, puis je suis tombée amoureuse du français qui est devenu ma langue d’écriture.
La photographie :
   Quelques bons conseils m’ont aidée : « trop de ciel ! », « garde la ligne d’horizon droite ! », « zoom in ! », « fais attention à l’arrière-plan ! ». J’ai beaucoup pratiqué la photographie pour éduquer mon œil. Avec le temps, on apprend à choisir des angles particuliers, des proportions harmonieuses et on apprend aussi de briser les règles.
   J’aime la spontanéité de la captation. Je travaille longuement sur un poème. La photo est parfois un cadeau, une chance : le monde se dévoile à un instant propice, magique.
   J’utilise deux appareils photo (un compact et un appareil réflex numérique). Je n’applique pas de filtres et je publie très peu. J’aime beaucoup la lumière du soir ou celle du matin tôt.
   Je poste quelques photographies sur mon blog et sur Facebook que je perçois comme un espace d’émulation et de partage artistique grâce à la nature interactive de ce réseau.
   La plupart du temps je cherche une image pour accompagner un poème. Je n’aime pas les associations directes. La photographie doit être liée au texte d’une façon sous-entendue, symbolique, et parfois, exceptionnellement, j’aime associer poème et photo quand leur similarité est frappante.

Elis Podnar


Photographe et poète, Elis Podnar est née en Roumanie en 1973. Depuis 2002 elle habite à Toronto, Canada.

Recueils de poèmes et photos disponibles en ligne : Quod Manet (2015), Ici (2016), Autrement (2016), Babel Intime (2017), Agapé (2018) et Séparation (2019).
Son blog : https://quodmanet.blogspot.com/


Proposition mise en page grâce à la complicité d’Isabelle Lévesque


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