Dans l’exergue de ce recueil La Hure-langue paru aux éditions Isabelle Sauvage, tu écris : « C’est une histoire d’entre deux langues dans les non-dits d’une famille à la louche », tu donnes ainsi la tonalité d’une écriture autobiographique complètement inédite que je qualifierais de « détournée », d’ « oblique ». Peux-tu nous parler de cette dimension de l’entre-deux, de nationalités, de langues, de lignées et milieux sociaux qui semblent travailler ton écriture ?
Parler de « l’entre-deux », c’est parler de la distance qui unit et qui sépare.
Bien-sûr, il y a cet entre deux pays : mon père est anglais, de confession anglicane tandis que ma mère est française et catholique. Mes parents se sont rencontrés à Bruxelles, se sont mariés en Haute-Savoie (la « Haute » dans le texte). Puis ils sont partis en Angleterre, plus particulièrement à Londres où mon frère est né. L’été suivant, ils viennent le présenter à ses grands-parents maternels. Et ils ne repartiront plus. Nous vivrons chez eux jusqu’à ma naissance. Puis nous irons vivre à Cluses – ville en voie d’industrialisation – où mon père a trouvé du travail. Et nous n’irons jamais en Angleterre rendre visite à notre famille paternelle, ni dans le « Midi » dans notre famille maternelle. En cela je suis bien un fils d’émigré.
Il y a aussi l’entre-deux langues : mon père ne parle pas français mais nos grands-parents maternels lui interdisent de nous parler anglais. Cet entre-deux est une séparation. Difficile pour notre père de communiquer avec nous !
Mais il y a encore d’autres « distances » : Dans mon enfance, les apparences portent à croire que mes grands-parents sont paysans : une ferme, des champs, quelques animaux et un jardin. Dans la réalité, mon grand-père est ingénieur chimiste en parfumerie à Grasse et il a fui le STO avec toute sa famille (1943 / 1944 ?). Pour ma mère c’est aussi un entre-deux. Quitter une vie plutôt aisée et citadine pour cultiver la terre. Elle dira jusqu’à la fin de sa vie que la guerre a été l’échec de son existence.
Certaines questions me restent, sans réponses, comme cette curieuse « obéissance » qui fait que mon père ne nous a jamais parlé en français, même quand nous étions tous les quatre « chez nous ».
J’ai également appris tardivement que mon arrière-grand-mère maternelle était une « enfant trouvée » et adoptée. Quelles incidences sur le mariage de nos grands-parents maternels, originaires de la petite bourgeoisie ? Justement à propos de « lignée », quelles tares pourraient se cacher derrière cette femme « sans origine » ? Nos grands-parents maternels ne retournant pas à leur vie antérieure, après la guerre resteront plutôt isolés dans le hameau où ils habitent. Et nous n’aurons que très peu de contacts avec les autres membres de nos familles, anglaise ou française.
Dans ce contexte, mon père, émigré ne parlant pas le français, n’a pas la reconnaissance de ses compétences professionnelles. Il est ouvrier. Tandis que ma mère, convaincue de ses origines bourgeoises et citadines, doit faire des ménages.
De tout ceci, je retiendrai l’aspect « de travers » de toutes ces réalités qui se croisent et se superposent. Comme si tout était bancal, vrai et faux, dit et non-dit.Et faire « avec » !
Le mot « hure » est récurrent dans ces poèmes et traverse tout le recueil. A quoi correspond la thématique de l’élément sauvage, « hure », « groin », « sanglier », « scrofa » en italien signifiant truie ou pute ? De quoi est-elle la symbolique ?
Cette « hure » me travaille de loin ! A l’origine, je triture le mot « écriture ». J’y croise « cri », et « hure ». A ce moment, je travaille un texte sur des rendez-vous médicaux et des diagnostics « lourds ». Cela devient : « Crie la hure au corps dessaisi », puis je donne à ce texte un autre titre « Quoi attendre ? » et je garde le résultat de cette trituration…
J’entame alors une suite de textes dont le projet serait plutôt familial et biographique, avec un peu d’humour. Je me situe alors du côté du tragi-comique. Cela me semble un recueil en construction, sans trop savoir où je vais (sinon une certaine rancœur nourrie par le mépris affiché de ma mère envers mon père et par sa volonté que toute sa vie soit sans soucis : juste « rose »).
S’y trouve aussi mêlé cette question : « Qu’entend mon père quand nous parlons ? », je crois que la fragmentation, les distorsions, les jeux de mots viennent de là. C’est une découverte que j’ai faite après avoir écrit, donc très récemment. Cela fait écho en moi à une phrase de Cécile Mainardi dans une interview : « J’écris, je réfléchi, je rends compte. » Signalant un ordre qui nous dépasse. L’écrit, comme extériorisation devient observable, ayant pouvoir de provoquer de la pensée. Parfois, également, ne pas oser écrire par crainte d’un certain aspect révélateur et / ou prophétique. S’en défendre, bien sûr, goguenard : « Pas moi ! ».
Il y a aussi cette question du « convenable ». Ma mère me dit un jour, pensant à ses enfants : « Je suis contente, ton frère et toi, vous êtes convenables. » Ce « convenable » résonne en moi comme « convenu » ou encore « bien élevé » (on disait ça des enfants : « Il est bien élevé. »). En passant d’élevé à élevage, je me retrouve un peu « cochon », bien élevé et engraissé pour être « de rapport ». J’émets l’hypothèse que ma mère nous a élevé dans ce sens… mais nous n’avons pas rempli notre part du contrat car même « convenables », nous ne sommes pas « de rapport ». Le cochon est « civilisé ». Sus scrofa domesticus. C’est écrit : « Domesticus ». Il s’oppose alors à « Sus Scrofa », le sanglier, dont le nom vient du latin « singularis » (solitaire) et relève du sauvage, de son refus des « convenances ».Parallèlement, je commence des écrits sur les suidés. J’ai une attirance envers les textes scientifiques, dont je trouve les formulations et le vocabulaire très intéressants, particulièrement les descriptions d’animaux et végétaux. Cet ensemble se nomme alors provisoirement « Nomenclature », en référence à Linné et sa « nomenclature binominale ». J’écris trois textes
- Sus Scrofa qui sera « Scrofa », pour sa sonorité rugueuse et sauvage.
- Sus Scrofa Domesticus, pour le cochon, et ce sera « Domesticus ».
- Mammalia, pour le lignage
Je travaille encore un peu cette veine, conservant la finalité du sanglier, mais remontant la genèse des espèces, d’où « Mammalia ». Considérant la Vie sur un arbre phylogénétique, à l’origine de tout se trouve LUCA : Last Universal Common Ancestor. Il reste à combler cet espace-temps !Il y a dans la figure du sanglier toute une symbolique, ancienne, sur le courage, la force, la ténacité. Jusqu’au Moyen-Âge, il est le gibier de référence. Il sera ensuite remplacé par le cerf, plus civilisé et « noble ». Au quotidien, le sanglier est très mal perçu car il provoque des dégâts dans les cultures, ainsi que des accidents sur les routes. C’est ce côté indomptable, voire « irrécupérable », qui ne peut pas s’exprimer dans l’éducation familiale et que je retiens dans ces textes. Ainsi, la colère révélée page 16 est exprimée par le sanglier : « Scrofa ».
Je n’ai pas retenu les références sexuelles de « scrofa ». C’est un « avatar » de langage. Par contre j’ai découvert en cours d’écriture que « ire », qui est l’ancien mot pour dire la colère, peut aussi venir, en latin, du verbe « aller ». On le retrouve dans le futur J’irai, tu iras, etc. Donc ce mot contient aussi un élan, un allant vers, une forme qui ne se referme pas systématiquement sur la colère.
Le livre renvoie à l’identité, au jeu sur les places de chaque membre au sein au sein de la famille. Exemple : « mon nom est celui d’un qui marche sur la tête/mon père est un antipodiste ». Peux-tu nous éclairer sur ce matériau intime qui nourrit la parole poétique ?
Le premier texte, qui ouvre le recueil, place directement la langue au centre de l’écriture. C’est l’allitération qui fait émerger le canaque ici. Et comme nous portons tous le patronyme qui nous vient du père, c’est donc lui « l’étranger », mais son côté lunaire » et « rêveur » me font penser à cet « antipodiste ». Il est, de plus, le facteur « dérangeant » dans la famille maternelle. Dans l’échange sur fb au début du recueil, il y a le mot « thanaks », que j’intègre comme kanak, de l’autre côté de la planète… D’où l’antipodiste !
Il y a une narration qui reprend des éléments de notre vie de famille. Puis, pendant ce travail, ma mère est décédée. C’est alors devenu l’épicentre du recueil. Elle en devient l’élément de fond.
Mais, la langue du recueil, précisément « la hure-langue », est celle qu’entend mon père. Ainsi, si la narration est souvent constituée autour de l’image maternelle, la langue est un hommage à l’absent : mon père. Peut-être dit-il ce qu’il n’a pas pu dire alors ?
Ensuite, tu poses la question de la place de chacun dans cette pièce. Je n’ai pas souhaité parler de mon frère. Il est évoqué, très brièvement. Peut-être n’est-ce pas « son » histoire. D’ailleurs, est-ce bien « mon » histoire ? Il a fallu choisir ; un biais, oui, et c’est cette part sombre du sanglier qui s’est exprimée. D’autres versions sont possibles. Mais la littérature permet ça et la poésie encore plus, qui prend la langue comme une matière, ou comme les mots dans lesquels se cachent et se dévoilent des sens qui creusent la langue, dans et vers. Est-ce que le « O » de « nous » est un cercle qui nous rassemble ou une bouche qui nous dévore ? « Le soleil placé en abîme » écrivait Francis Ponge.
J’utilise cette forme dans Mammalia (3 m, 1 l et 1 i, soit 11 hampes) : « onze, onze sabots frappant ».Peut-être ces textes sont-ils davantage liés à la relation mère / fils, comme avant moi il y a eu la relation fille / père. Quand je demande à ma mère si elle en a voulu à son père, elle me répond que non, car c’est son père. Elle porte donc en elle des sentiments mêlés à son égard… Que je retrouve dans nos rapports. Ainsi, je lui dis qu’il est facile de se fâcher tandis que maintenir le lien est une volonté. Sans doute deux situations qui fonctionnent en miroir. Un texte s’appelle d’ailleurs « miroir du risque ».
Le lecteur, à la place centrale qui est accordée à la mort de la mère dans le texte « à cœur ouvert », ressent l’ambivalence fondamentale qui semble la caractériser entre tendresse et personnalité surpuissante. Comment ce moment très fort a-t-il trouvé place dans ce cheminement d’écriture ?
Ce chapitre s’ouvre sur l’opération qu’a dû subir ma mère à plus de 88 ans. C’est des suites de cette opération que ma mère est morte, six mois plus tard. Dans ce texte, je voulais que la langue dise le désarroi et la confusion. Et c’est cette confrontation entre l’impensable (quels que soient les motifs) et le réel qui est un gouffre. On est saisi de vertige et l’ordre des évènements nous échappe.
Le texte « Carotide » a été écrit à partir d’un mot écrit sur un caillou ramassé à Lodève en juillet 2014. Des galets étaient disséminés dans la ville. Le dernier soir j’en ai cherché un que je puisse garder. Ma mère était en convalescence des suites de l’opération. Et je vois le mot « carotide », tellement improbable, un « hasard objectif », bref c’est de lui que ce texte est né.Comme tu l’exprimes : « personnalité surpuissante », je ne suis pas certain de cette « sur » puissance. Par contre « avoir le pouvoir », oui ! Elle voulait avoir pouvoir sur tout et plus particulièrement sur les gens ! Sans doute comme une revanche sur les pertes dues à la guerre, comme une réparation. Et puis, « avoir des gens » (de maison) devait être un signe de richesse, pour elle. Après le divorce d’avec mon père, elle s’était remariée avec un homme plus riche et surtout « de pouvoir » car il est expert-comptable dans une petite ville industrielle dont il a suivi l’essor !
Un jour, vers la fin de sa vie, elle me dit « Je préfèrerais mourir plutôt que d’être pauvre ! ». Je lui réponds alors, un peu énervé : « tu sais, quand je suis né, ma mère était femme de ménage et mon père était ouvrier. Nous n’étions pas riches mais nous n’étions pas malheureux non plus. » Ce dont elle m’a remercié !
Dans ce recueil tu mêles cocasserie débridée, comme « l’ire en soie, »jeux sur les étymologies comme le latin de sanglier « singularis », effets baroques mêlés à des tonalités sombres. Le lecteur a l’impression de voir triturer les mots, comme chez Rabelais avec sa veine truculente. Ou bien chez Lewis Caroll et sa proximité avec le nonsense. Exemple, le cochon rose associé à Chaisssac et Gentileschi. D’où te vient cette extraordinaire vitalité langagière, parfois déjantée ?
Du réel ! C’est terrible, mais tout ce que tu as nommé est vrai.
C’est comme le film de Tim Burton « Big fish » qui raconte l’histoire d’un père. Pendant tout le film on est baladé dans des histoires invraisemblables, avec beaucoup de personnages très particuliers… Mais le jour de son enterrement, ils sont tous là, en chair et en os !C’est « découpe les mots dans l’autre langue ». Et puis il y a aussi une volonté de trouver chaque fois la forme qui colle le mieux au propos (ou l’inverse) ! Ainsi, le premier texte de « Dis Dis-pas » est une tentative pour approcher une langue « ivre », comme le serait les propos d’un homme qui monologue dans une parole sans destinataire ni locuteur, à vide. Scrofa se devait d’être « sauvage », expressionniste, si nous étions au cinéma. Mammalia est une incantation, un chant, même s’il reste un peu critique devant une telle multiplication. Le cochon rose est une carte de vœux qui est sur la porte du frigo avec d’autres « magnets », dont des reproductions de tableaux de Chaissac et Gentilesci. Pour Rabelais, tu me flattes ! Mais pour Lewis Carol, dans un texte qui n’est pas dans le recueil, je parle de mon père et le dernier vers en est : « D’Alice, le chapelier » ! Je garde de lui quelques souvenirs d’un homme très lunaire, et je lui dois un certain sens du « non-sense ». C’est un héritage auquel je tiens !
Mais je pense aussi que tous ces textes restent très fortement marqués par l’oralité. Ils ont besoin d’être lu à haute-voix !Tu cites en exergue « Berck Plage » de la poète Sylvia Plath et « Poèmes ménagers » de Nicolas Tardy. Pourrais-tu-tu développer le lien que tu as vis à vis d’eux et d’elle en particulier ? Voire avec les autres poètes et écrivains dont tu te sens proche.
C’est très lié à mon projet d’écriture : parler de ce dont on ne parle pas, dire ce qui ne doit pas se dire et rester « des secrets de famille », ceux précisément dont on peut souffrir toute sa vie, sans toujours en connaître la cause.
J’ai découvert Sylvia Plath en lisant Ariel, puis en découvrant son histoire et ses rapports avec Ted Hugues. Ce qui m’a séduit, c’est sa capacité à écrire une poésie « sombre ». Dans la même veine, j’aime aussi Antonín Artaud, Georges Bataille ou encore Bernard Noël (et aussi Jean Genet).
Je pense que les lectures de Ghérasim Luca, Tarkos, ou Francis Ponge, qui tous travaillent le langage comme une matière, m’ont aussi influencé. Leur langue est sans limites. Et s’il s’agit de poésie, nous sommes loin du « poétique commun », mais plutôt du degré d’expressivité que peut rendre la langue quand on l’essore. Nicolas Tardy est dans la même veine d’écriture, avec l’humour en plus !
Il s’agit de citations circonstanciées. Elles correspondent assez précisément aux textes qui les suivent. Chacune introduise une section des textes.
J’aime beaucoup d’autres auteurs, et la liste en serait trop longue ici. Je suis un lecteur de poésie très curieux et peu critique (même si je sais très précisément ce que j’aime lire, je reste très curieux de toutes les formes d’écriture).
Il y a ici un gros travail sur le langage. On entend nettement résonner dans le texte les allitérations qui font dérailler le sens des mots, l’humour décapant, tel « le slang rouillé ». Comment s’élabore cette construction langagière quand tu écris ? Est-ce conscient ou bien le jeu spontané de la poussée des mots ?
Tu as raison sur « le jeu spontané de la poussée des mots ». Mais ce n’est que le début ! Ensuite il faut retravailler, ajuster aux propos, raboter, élimer, éliminer, tenter le « juste », la juste place, le sens juste, et tous les déplacements que permet l’humour. Il faut équilibrer l’inconscient et le travail, et que ça ne se voie pas trop, surtout !
A propos du « Slang », c’est l’argot en anglais, et Scrofa doit parler « slang », non ? (On retrouve encore cette trace de l’anglais).
Il faut aussi signaler la jouissance en écrivant. J’insiste un peu sur cet état particulier d’écriture qui construit une forme dans l’invention langagière, la trituration des mots et comment il devient difficile de s’arrêter. Il y a – j’y reviens – un travail très important d’élagage. Par exemple dans les premiers jets il y a souvent des didascalies, en marge du texte. Je n’en ai conservé que très peu. Elles donnaient la parole à des animaux ou des personnages spectateurs, et leurs commentaires étaient souvent ironiques !
Ton recueil ouvre aussi un extraordinaire stock de rêves sur les mots, comme dans les contes et les rêves : l’enfance est présente, avec les fleurs, la montagne. Est-elle pour toi une source d’inspiration importante ?
Oui, sans aucun doute possible. Mon enfance est plutôt solitaire et faite de longues balades dans les forêts qui s’élèvent derrière la maison – aussi bien chez mes grands parents que chez mes parents. Mais un mystère demeure pour moi : je ne m’attache pas au paysage, au « grandiose », au panorama. J’ai le regard posé au sol et je scrute l’apparition de telle fleur en fonction de la saison et aussi, surtout, de la rareté de la plante.
C’est une émotion très particulière que de voir un Dent-de-chien (Erythronium dens-canis), un orchis vanillé, un sabot de vénus ou un lys martagon. Tu les as déjà vu dans un livre, en dessin, le plus souvent, et un jour tu le vois !! Il y une jouissance très intime dans cette présence et ce sont encore pour moi, des rencontres et des souvenirs qui me nourrissent. Les « simples » m’enchantent tout autant !
J’ai souvent ressenti cette même émotion en visitant un musée et découvrant un tableau que je ne connaissais que par des reproductions. Il y a le sentiment très particulier de la « présence » réelle, de la confrontation – qui souvent confirme / renforce l’intérêt pour cette œuvre particulière.
Mais les montagnes, leur côté pierreux et nu, ne m’enthousiasme pas particulièrement.J’ai eu l’occasion de pratiquer un peu la sophrologie, durant certaines séances on nous demandait de retrouver des souvenirs heureux, pour les activer et trouver ainsi une force nécessaire pour oublier d’autres problèmes au présent. J’ai alors repensé à ce texte dont je parle au début de l’interview, à propos de rendez-vous médicaux. Dans ces pages j’ai eu besoin, pour traverser ces temps pesants, de réactiver des souvenirs de nature. Ce furent des éléments physique, vécus comme des expériences : l’eau, et le nuage. Alors, oui, la nature fait partie de mes sources d’inspiration et de méditation. J’ai aussi écrit un texte à propos de la Loire : « Traduire la Loire », dont quelques extraits ont été publiés sur le site de Terre à Ciel. Et encore maintenant, vivant à la campagne, la nature reste une source importante d’inspiration, plutôt du côté du brin d’herbe !
Des sentiments douloureux sont suggérés, ainsi tu évoques page 25, « la plainte des mots ». La colère est aussi présente. La mésentente entre la mère et le père, jusqu’au « mépris de père en mère ». L’écriture te permet-elle de t’en délivrer, ou du moins de les atténuer dans la mise en mots ?
Sans doute la question la plus difficile ! Ce texte est sûrement la parole du sanglier, qui n’a jamais pu s’exprimer au sein de la famille. Le convenable recouvrant tout : « la politique » ce n’est pas « convenable » d’en parler, de même que tous sujets d’opinion. Je n’ai pas de souvenir de conversation dans laquelle nous échangerions des idées. C’est comme si nous habitions à l’extérieur du monde, en dehors des problématiques communes.
Je me rappelle LA journée de grève qu’avaient demandée les chauffeurs de car pendant les grandes grèves de mai 68 (j’étais en 3ème très loin des tumultes politiques de l’époques). Mais cela n’a pas fait l’objet de discussion à la maison.
En revenant sur cette notion de place dans la famille, je suis le « confident », l’« oreille » dans laquelle ma mère déverse ses soucis, ses difficultés avec mon frère et/ou mon père. J’en conclu qu’il me faut être le plus discret possible, ne pas faire de vagues ! Revient l’image du cochon (ros’cochonprop’liss – p.40) !Et puis, peut-être m’était-il nécessaire d’écrire une « contre-histoire » familiale qui complète le récit officiel, lui redonne un autre point de vue que le récit « officiel » : je n’ai connu que mes grands-parents maternels. Il n’y a pas eu de tantes, oncles, cousins, etc. qui parfois apportent des options différentes, des décalages et relativisent « la grande histoire familiale » (moins convenue ?).
Cependant, même si le sujet reste fortement autobiographique, c’est avant tout d’écriture et de langue dont il s’agit.
Extraits de la hure-langue : Et ici remercier très chaudement Isabelle Sauvage pour son travail de relecture et pour m’avoir accueilli dans sa collection présent imparfait qui sied à merveille à cette « hure-langue » ! (éditions ] isabelle sauvage)
Scrofa
…..
tout se tient
de corps prend langue
de langue naît corps
de langue – file, tisse, tresse – vient motif
de langue tombent mots
mots silence et maux dits
…..
c’est la sangle qui se lâche
c’est le sauvage pas
sage pas fauve et si vague pas
c’est la tangue
le slang rouillé
de la porte qui
blang vlang klang glang r’glang
c’est lui le sanglier
…
m’appelle scr-f
scarification griffe
rugueux de gorge-grogne
souffle chaud des narines et
groin à fouille
truffes ou vers
omni vers dévore la page
…..
sucée
tirée-vidée la laie
la laie, la laie, la laie
lourde de re re re
re gésiner
les esp(i)èces du
puzzle toujours recommencé dans cette mère liée
par le « l » du cor don à cou per
…..
Tuer le cochon
…..
sur la porte du frigo
le ros’cochonprop’liss
entre Chaissac et Gentileschi
le rose pose en magnet cochon
déclinaison de l’incliné du soi
de la soie douce-tendre
tout est bon dans l’cochon
…..
et si pas racines
s’y socle tenir
pour debout
tête sortir miroir
et devant voir
et pointer vers
et ci vers
que bancals
que cassés
que tra(vers
que mire voir
de là
lever le nez
prendre l’air
sortir vers
néant l’air
…..
vider l’encre
des maux de tête
vider la tête
pour
ne pas y revenir
cesser le tourne boule
couper court le labyrinthe fil
ouvrir vers
…..
le JOUR DU COCHON
Merlin, d’un coup
passe-passe magie
baguette de mauvais sort
et noir
c’est nuit – stop
alors rouge, rouges-couteaux & rouges-gamelles
& bouillent-chaudrons & hachoirs menus
& cris & joie & cris
…..
TU(E
…..
c’est doute encore, l’étau de tête,
il dit « quand on a ouvert, les tissus étaient trop calcifiés pour
changer la valve, on a réparé, il reste une petite fuite, mais ce
n’est pas grave »,
ce mot « calcifié », alors on peut lire la pierre du cœur, ça reste
dans ma tête, ça insiste, ce que le cœur rend, ça, la rancœur, ça
s’inscrit, dans, et durci, avec « réparer », ne répare pas la pierre,
rafistole la systole
…..
et se renoue autour de mon cou
cette bouche noire
avale la vie
avale ce qui
tout autour
noir béant
communique
de la nuit à la nuit
qui te remplit
…..
et peut-être rassembler
le double de toi à toi
et peut-être apaiser
un penser va-et-vient
de toi à soi
passant, circulant, fluctuant
et toi
…..
ainsi, tu es partie
et je suis resté avec cette blessure
et je cherche le point par lequel juguler
et j’ai besoin du baume de la conciliation
ainsi, tu es partie et tout, encore, restait à faire
…..
DIS / DIS PAS
…..
si éviter bébé
ici balancer
eau du bain
croupie que rance
et scie dit torture
dit s’oppose, dit vœux, dit doit
dit rester droitet preuves à l’a-puits
soit sombrer
fond de potaux roses
…..
frustre sanglier
de la mate hier
mots hululent
pas d’huis-le
mâle’her mother
as grippe mal à dit
moteur tousse crache
crachotte crach’ouille
crache crache
crackà cœur la rupt’hure
…..
et c’est ici
d’où rejoindre l’enfance
ni cochon ni sanglier
et non plus l’innocence
…..
Aux marges
…..
aux marges
saccage (tu dis)
sa cage
ferme le mot
le viseur
son point rouge
sur ma bure
tir
fin du contr(at
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