Extraits de Fenêtre
Entretien avec Clara Regy
Nous commencerons par une question toute simple à priori, qui sera ainsi posée à tous Les Anges de ce mois de Novembre. Deux questions, en fait...
Depuis quand écrivez-vous, et pourquoi partager « ses » écrits ?
Question toute simple, mais seulement à priori, car toute réponse peut sonner bateau. J’écris depuis l’adolescence, depuis que j’ai l’âge d’acheter des carnets et de noter des choses dedans. J’ai noirci des piles de carnets depuis. Pas des journaux intimes, non, des petits carnets à emporter partout avec soi, où consigner tout et n’importe quoi, pour les sauver de l’oubli.
J’ai très tôt pris plaisir à partager mes poèmes, à les lire à voix haute à mes proches, à ma grand-mère. Je crois que je n’ai jamais mieux lu mes poèmes qu’à ma grand-mère. Elle se demandait pourtant pourquoi je m’évertuais à transcrire ses paroles et à quoi cela pourrait bien me servir de remplir des pages de pattes de mouche.Partager c’est une autre histoire. J’ai toujours partagé mes écrits avec un cercle intime, mais si je n’avais jamais rencontré mon éditrice, si je n’avais pas osé lui remettre le tapuscrit de ce qui deviendra mon premier livre, ce texte comme plein d’autres aurait certainement moisi dans un tiroir. C’est elle qui a jugé bon de le publier, de le rendre partageable. Alors il est vrai qu’un peu de reconnaissance et d’intérêt n’est pas pour déplaire, et j’ai pris goût depuis à partager au-delà de mon cercle personnel, à apprendre à laisser mes livres mener leur propre vie, même si cela reste très confidentiel. Mais au fond de moi je le sais, j’écris toujours pour feu ma grand-mère.
Vous vous nommez vous-même « diariste » pouvez-vous nous en dire davantage ?
Oui un ami m’a appris il y a quelques années que j’étais cela, un diariste. C’est mon rapport au carnet, ma tendance obstinée à documenter ma propre vie quotidiennement. C’est aussi mon rapport à l’image : j’écris et je photographie ma vie. Je n’ai pas de table de travail, j’écris dans la rue, en marchant, sur un coin de table. Mes trois premiers livres sont le fruit et le prolongement de mon activité de carnettiste. Ce sont d’ailleurs tous trois des sortes de journaux, disons que le récit suit la logique des jours qui défilent. Et ils contiennent tous trois des images, quelques photographies, quelques dessins de ma fille.
Cette écriture probablement quotidienne vous conduit-elle systématiquement du côté de l’autobiographie ou s’ouvre-t-elle d’autres vies, d’autres espaces ?
Cette écriture du quotidien part nécessairement de moi, de mon noyau familial, mais elle trouve aussi des vecteurs de rencontres et de partages, elle me conduit bien souvent hors de ma zone de confort, elle m’autorise l’aventure. L’écriture me permet souvent de transformer en aubaine ce qui peut a priori sembler une contrainte.
Cela a été le cas dans mes trois livres publiés à ce jour : dans chacun de ces récits mêlant prose, poésie et la parole des autres, j’ai cherché à sublimer mon quotidien, à donner un peu de lyrisme à la complainte. Ainsi du train-train de l’homme de bureau dans Le Graillon, qui devient la chance inespérée d’explorer chaque jour entre midi et deux la zone industrielle la plus proche / ainsi de la convalescence et de l’immobilité forcée à la suite d’une fracture de la malléole dans Cheville ouvrière que je transforme en occasion rare de contemplation / ainsi de l’arrivée d’un chien dans la famille dans Because of the dog, qui devient prétexte à la rencontre de mon prochain au moindre tour du pâté de maisons.
J’ai cru pouvoir m’émanciper de cela – du défilement inexorable des jours – avec mon travail actuel sur les fenêtres, grâce auquel je m’évade du temps présent en convoquant des fenêtres de l’enfance, des fenêtres sentimentales, des fenêtres mentales, culturelles, des fenêtres de joie ou d’effroi, des fenêtres passées ou d’avenir ; manque de pot, une fois encore, cette écriture a fini par être contaminée par l’autobiographie dès lors que la menace s’est présentée à mes propres fenêtres de domicile et de bureau et a influé sur ma vie familiale. S’intercalent ainsi parmi les nombreuses autres fenêtres, celles où je finis par nous raconter, ma famille et moi - certes dans le cadre cette fois très défini d’un carré-fenêtre – au présent, une fois encore à la façon d’un journal.Quels auteurs aimez-vous lire et relire (poètes ou non) que leur demandez-vous, que vous apportent-ils ?
Je suis un picoreur, de poésie surtout, et de littérature du réel. J’aime beaucoup Éric Sautou (La Tamarissière), Emmanuel Hocquard, Thierry Metz, Guy Viarre, Ariane Dreyfus. J’aime beaucoup Nazim Hikmet, Izet Sarajlić (Poèmes d’amour), Teodor Cerić (Jardins en temps de guerre),
Virgilio Giotti (Notes inutiles), John Clare, Paul Blackburn (Villes - Journaux), Etel Adnan, Raymond Federman.
J’attends d’eux des choses minuscules mais familières, des tentatives de ligne claire.Et pour terminer, la question habituelle, si vous deviez définir la poésie en 3 mots quels seraient-ils ?
Clarté, simplicité, présence.
Guillaume Deloire est né en 1976, en Île-de-France, où il vit toujours aujourd’hui, rêvant pourtant d’une fenêtre avec une vue dégagée. Il est attaché culturel pour une ville de banlieue. Chaque jour il écrit.
Bibliographie
- Le Graillon, éditions des Vanneaux, 2016
- Cheville ouvrière, éditions des Vanneaux, 2018
- Because of the dog, éditions des Vanneaux, 2020
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