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Hommage à Philippe Jaccottet et lectures de Véronique Saint-Aubin Elfakir

vendredi 2 avril 2021, par Cécile Guivarch

Le verger poétique de P. Jaccottet

Tout texte ne serait-il qu’un verger à cultiver ? Un paysage à parcourir pour recueillir chaque jour la plus infime offrande de beauté : l’effeuillage discret d’une pivoine, le rose déchirant des nuages sur un fond de montagne violette, la claire assurance d’un paysage de pierres et de landes où s’appuyer le temps d’un poème comme si rien jamais ne devait cesser d’exister…. C’est à ce genre de promenade contemplative que nous convie les derniers écrits de P. Jaccottet qui semble se promener à travers les mots et nous donne ainsi accès à ce jardin qu’il n’aura jamais cessé de cultiver : là où le verbe défie le temps et arrache quelques derniers soupirs à la terre parfois aride d’où surgit parfois la brève fulgurance d’une rose… ce travail patient du jardinier, jour après jour, s’apparente alors à celui du poète élaguant son écriture pour tenter de rejoindre l’essentiel.

De ce jardin secret et patient, métaphore en quelque sorte, de son travail d’écriture, P. Jaccottet décline les variations, d’un livre à l’autre : « Aujourd’hui, je dirai seulement de ce jardin que j’y ai vu, d’année en année, la lumière circuler comme un enfant qui jouerait. D’année en année, c’est vrai, je la voyais moins bien, j’avais plus de peine à la suivre, à lui parler. Mais elle jouait toujours sous les feuillages accrus, sans rides, elle, sans cicatrices et sans larmes. Parce qu’elle est entre les choses, elle paraît inaltérable, éternelle même. Et c’est grâce à ces verdures fragiles, à ces jardins changeants, précaires, qu’on la voit. Qu’on y repense un instant entre deux pensées plus sombres ou plus avides. Il faudrait trouver ce qui dirait Dieu, ou du moins une joie suprême. L’obstacle, l’écran qui les révèlerait. » [1]

Cette scansion de la lumière se décline à travers sa passion des plantes et des fleurs qu’il ne cesse de célébrer en leur fugace splendeur, symbole classique de l’impermanence vénérée en ce qu’elle nous rappelle à notre humaine et précaire condition : « Opulentes, épanouies et légères à la manière de certains nuages (qui ne sont, après tout, que de la pluie encore en ballot, tenue en main) ; de nuages arrêtés, sans s’effilocher, dans les feuilles. Pas plus nuages, néanmoins, que robes déchiffonnées : pivoines, et qui se dérobent, qui vous échappent – dans un autre monde, à peine lié au vôtre. (…) Cela se fripe vite, devient vite jaunâtre et mauve comme de vieilles lettres d’amour dans un roman à la Werther. (…) Pourquoi donc y a-t-il des fleurs ? Elles s’ouvrent, elles se déploient, comme on voudrait que le fasse le temps, notre pensée, nos vies.
L’ornement, l’inutile, le dérobé.
Saluez ces plantes, pleines de grâce.
Parure, vivante, brièveté changée en parure, fragilité faite parure. »
 [2]

La fleur et notamment les iris ou les violettes est également la manifestation de cette épiphanie de l’être que l’œil du poète tente de capter et de re-saisir dans toute sa fulgurance, telle une tâche de couleur sous l’ombre mauve des montagnes : « Questionnant une touffe de violettes découverte en déplaçant du bois. C’est comme si un homme très voûté lisait un livre à même le sol. Les apparitions. C’est de cela que se nourrit la poésie : des prémices. Grâce à elle, il y a moins de répétitions, bien qu’elle dise toujours à peu près la même chose. » P [3] La nature est donc comme un livre à interroger à travers la plus humble de ses apparitions et dans l’univers de Jaccottet, rien ne saurait être insignifiant, la grandeur se situe dans le détail, l’anodin, le quotidien, ce que nous ne savons plus regarder généralement : un vol d’oiseau, la lanterne pourpre d’un Iris, l’argenté d’un ruisseau, une couleur ocre de pierre sèche effritée par le temps, la neige d’un amandier en floraison. Rien que de très banal en somme, comme une sorte d’herbier d’images et de sensations à reconstituer.

Ainsi si tout peut faire signe, il s’agit de convertir sans cesse, cette provision quotidienne d’offrandes, pour tenter de vibrer à l’unisson de ce qui nous entoure et ainsi d’être au plus près de la création : « Takemoto cite, dans La Condition humaine, les propos du peintre Kama, dont le modèle est l’artiste japonais Kondô : « Pour moi, c’est le monde qui compte (…) Le monde est comme les caractères de notre écriture…. Tout est signe. Aller du signe à la chose signifiée, c’est approfondir le monde, c’est aller vers Dieu… (…) On peut communier même avec la mort…. C’est le plus difficile, mais peut-être est-ce le sens de la vie. 61
Takemoto cite également un passage sur la poésie, dont il ne donne pas la source, où il semble s’agir de la poésie, dont il ne donne pas la source, où il semble s’agir de la poésie qu’il y a dans les œuvres d’art : « … ce que nous appelons alors la poésie est peut-être la présence, rendue soudain sensible, de la consonance avec l’univers. »
 [4]
Cette saisie de l’instant, éternisé par le verbe, tente d’occulter l’inévitable : l’inévitable chute des pétales dispersés par le vent froid de l’hiver qui vient tarir à sa source ce pur jaillissement : « Tout tient ensemble, ici, aujourd’hui. Même la buée des premières feuilles ombrageant les berges. Rien ne parle d’exil. Rien ne parle de ruine, même pas les ruines. Rien ne parle de perte, même pas ces eaux fugitives, tellement claires qu’on croit que c’est le ciel lui-même qui les a déléguées jusqu’à nous sur ces degrés de pierre. »  [5] Car pour P. Jaccottet vie et mort, ombre et lumière constituent l’éternel balancier qui scandent son œuvre oscillant sans cesse entre ces deux polarités : « J’ai toujours eu dans l’esprit, sans bien m’en rendre compte, une sorte de balance. Sur un plateau il y avait la douleur, la mort, sur l’autre la beauté de la vie. Le premier portait toujours un poids beaucoup plus lourd, le second, presque rien que d’impondérable. Mais il m’arrivait de croire que l’impondérable pût l’emporter, par moments. Je vois à présent que la plupart des pages que j’ai écrites sont sous le signe de cette pesée, de cette oscillation. »  [6]

La lumière du paysage reste alors le seul pilier où s’adosser ainsi que ce témoignage toujours réitéré que constitue l’écrit de ce qui a été à travers le passage du temps comme un relais à transmettre, une ode à la vie, un hommage rendu à ce que Bonnefoy nommait la Présence : « Faites passer », disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n’en est pas une. Mais quoi encore ? Quelle consigne ? On aurait plutôt pressenti, en fin de compte, non pas un abandon, comme d’un bagage ou d’un vêtement superflu, de tout ce que le corps, le cœur, la pensée reçoivent de ce monde-ci afin d’accéder à on ne sait trop quoi qui aurait toute chance d’apparaître diaphane, spectral, glacé, mais un pas à la suite de quoi rien de l’en-deça du seuil, ou du col, ne serait perdu, au contraire ; où tout : toute l’épaisseur du temps, d’une vie, de la vie, avec leur pesanteur, leur obscurité, leurs déchirures, leurs déchirements, tout serait sauvé, autrement présent, présent d’une manière que l’on ne peut qu’espérer, que rêver ou, à peine, entrevoir. »  [7]

Il faut alors sans cesse pousser la porte du jardin pour recueillir la lumière ou quelques éclats d’être, déchiffrer ces lettres oubliées surgissant de la terre ou du ciel comme autant de petits météores : « Ouvrir, ouvrir toujours – ou aussi longtemps qu’on le pourra. Ce qui s’ouvre à la lumière du ciel : la fleur au ras du sol. Comme de l’obscurité qui s’épanouirait, ainsi que le jour se lève. Les liserons : autant de petites nouvelles de l’aube éparses à nos pieds. » [8] Et comme souvent dans son œuvre, c’est encore une fleur qui nous délivrera son dernier message : « Que la rose du chant/Brasille de plus en plus haut/Comme en défi à la rouille des feuilles » [9]

« Adossé, vermoulu,
A ce pilier à peine moins précaire,

J’aimerais ne plus délivrer que des paroles
Qui éparpillent les toits
(Car même un toit de paille pèse trop
S ’il vous sépare du rucher nocturne).

Des paroles pareilles
Aux actes des fleurs, bleus ou rouges,
A leur parfum.

Je ne veux plus des labyrintes,
Même pas d’une porte :

Juste un poteau d’angle
Et une brassée d’air.

Déliés les pieds, délié l’esprit,
Libres, mains et regards :

Alors, le deuil nocturne
Est entamé par en bas. » [10]

 

Yves Leclair – Pierre-Albert Jourdain : écrire comme on tire à l’arc – L’Etoile des Limites, 2018, collection l’Atelier céleste, 2018

Dans ce livre-hommage au poète P.A. Jourdain, Y. Leclair nous fait découvrir un poète méconnu mais dont l’œuvre confidentielle fut largement appréciée par Bonnefoy et surtout P. Jaccottet qui partageait avec lui à la fois son sens de l’humilité, de la discrétion voire même de l’effacement et un goût ineffable pour la contemplation... Bureaucrate parisien le jour et poète en ces heures perdues, le refuge secret de Jourdan était son verger du Gard, terre paternelle, où il se plaisait à composer ou peindre comme Jaccottet à Crignan.

Pétri de culture taoïste, Jourdan aime le fragment ou plus encore le koan : cette sorte de minute illuminante saisie par le poème qui transcende le quotidien dans la saisie d’un unique instant…. Loin de tout savoir, ayant abandonné aux autres les boursouflures de l’égo, il se contente de peu : arbres, plantes voire même un simple chardon suffisent à son bonheur…. Car le miracle est là, dans un quotidien méconnu, que notre regard parfois oublie de voir… : « Ici, une herbe, élevée dans la lumière suffit. » Ainsi la nature inspire à Jourdan ses plus beaux textes publiés de façon tout à fait confidentiel presque comme à regret : « Mais il ne faut pas oublier qu’un arbre, une colline, une fleur peuvent nous offrir des sentences tout aussi fortes. Il faut y consentir pour éviter peut-être l’enfermement, la défiguration qui nous menacent. » A l’image du peintre qui tend à disparaître dans sa toile, le « poeintre » tend à s’effacer dans sa communion avec le paysage :
« Ainsi, l’humilité ici visée n’est point – de toute évidence – celle du faux abaissement de soi ; non, il s’agit au contraire de retrouver sa pauvreté originelle, de « réintégrer le cosmos », de reprendre sa vraie place : « Humilité-humus : la liaison la plus profonde. »

L’écriture est pour lui son bâton de berger… A travers la nuit de l’être parfois surgit quelques éclairs de révélations où étayer son âme pour oublier que l’existence parfois déçoit et que nous dormons trop souvent notre vie, inattentifs à ce miracle quotidien qui se déroule sous nos yeux : « J’ajouterais que l’écriture peut être une canne, un bâton de sourcier plus ou moins courbe qui me permet d’avancer plus dignement, de rendre ma boiterie plus droite, non pas pour me mettre au-dessus de la mêlée, mais pour remettre l’âme debout. Une canne pour marcher en même temps qu’une baguette de sourcier. Car je cherche un forage plus intérieur, quelque chose de plus profond et de plus large. Sinon je me sens à l’étroit dans cette vie ! Je ne veux pas d’une existence creuse (…) Vaincre le sommet de ses propres défaites, je n’ai pas dit cacher la misère, au contraire, l’éprouver, la traverser, en venir à bout sans cesse. »

Ainsi pour Jourdan la poésie est à l’image de ce jardin perdu dont elle ne nous offre que l’approche à travers quelques éclats ou fragments de lumière sauvés de l’oubli ou de la torpeur. A ce titre elle constitue une tentative d’entrée sans cesse réitérée pour tenter de susciter un seuil ou un passage vers ce qui nous est depuis toujours dérobé : «  Je vous laisse parler de lyrisme. Quant à moi je parle, en-deça du lyrisme, devant la porte du jardin toujours fermée. Jardin pressenti. Non pas l’innocence, le jardin d’avant la faute, non, mais bien plutôt le jardin de rattrapage (comme on empoigne une corde pour ne pas plonger dans l’abîme »

L’écriture s’apparente pour lui à une sorte d’exercice spirituel, « un assouplissement intérieur » chaque jour réitéré pour retrouver le souffle permanent de cette création à la fois humble et souveraine dont son œuvre à ce jour trop méconnue porte le clair-obscur en une sorte d’irradiante simplicité… Il reste donc sur les traces d’Y. Leclerc à redécouvrir cet auteur tiré de l’oubli et qui méritait ce vibrant portrait….

Extraits :

« Devant ce paysage allégé, je songe à ces merveilleuses légendes où le peintre disparaît à l’intérieur de son tableau, où il s’en va chevaucher quelque nuage. Ce serait en effet tout naturel de disparaître. S’agit peut-être de choisir son pinceau avec soin. »

« Tout est là mais nous dormons notre vie »

« …le chemin profond, ignoré, celui que, exilés, nous cherchons toujours et qui conduirait au Jardin des délices. Jardin toujours perdu, parfois retrouvé, paradis des senteurs, quintessence des essences, abécédaire des noms propres, des herbes sauvages, des plantes potagères et ornementales, des herbes aromatiques. L’entrée dans le jardin, c’est comme la grappe de Canaan dont j’aimerais prendre des grains de raisin pour les compagnons de lecture. »

Rayonner : la poésie d’Odette Désagulier Berliocchi

Certains êtres lumineux passent sans faire de bruit mais leur présence discrète laisse une empreinte inaltérable… Ainsi en va-t-il de l’œuvre d’Odette Désagulier-Berliocchi, qui mériterait d’être redécouverte, tant son empreinte rayonnante fait entendre une voix à la fois singulière et intemporelle…. Dans son recueil intitulé Envergure de juin [11] et dans La Mille et deuxième nuit [12], chaque poème saisit sur le vif quelques instants d’être presque parfaits où le temps semble s’arrêter : le rire d’un enfant, la clarté d’une lampe un soir d’hiver, l’épanouissement d’une fleur, une silhouette ressurgissant d’un lointain souvenir. Tous ces moments vécus avec intensité convergent dans une seule et même quête éperdue de lumière…. Dans la préface d’Envergure de juin, elle nous livre ainsi son testament poétique : « Pionnier de la lumière pour y bâtir sa cathédrale, le poète, vivifié, exalté par le souffle qui fit éclater la Rose pour un accomplissement surnaturel, le poète subit l’innombrable fascination des éclats de son rêve et se doit de les ressaisir douloureusement pour créer, dans une confiance surhumaine, le vitrail de son œuvre. Sa consécration.
La fleur par excellence, la Rose, au paroxysme de son épanouissement, s’écartèle. Martyre par amour du beau, le poète voit dans la Rose l’image de son propre consentement à sa destinée, le oui sans condition pour cette mort à lui-même qui le ressuscite en la Parole. (…) C’est seulement en possession de sa vérité la plus haute qu’il peut découvrir celle des autres. Et la liberté des enfants de lumière n’est pas autre chose que d’atteindre, par un effort de plus en plus consenti, au rayonnement le plus efficace. Le rayonnement, c’est le don de soi-même à une cause pour laquelle s’évertue la force créatrice, le génie. »
 [13]

Ainsi la poétesse nous fait-elle don de quelques éclats de vie où il s’agit de consentir à toute chose et faire éclore ainsi, à l’image de la rose, l’ivresse d’un parfum et d’une couleur, dont le plein épanouissement a pour corollaire cette acceptation inévitable de la perte et du tarissement que ressuscite cependant indéfiniment la parole, source d’éternité…. Le verbe créateur se fait alors rayonnement et convertit incessamment la tristesse en offrande permanente de beauté : « Vivre pleinement, c’est brûler à son ardeur le diamant de chaque instant pour son idéale survivance dans l’absolu de notre regard intérieur dégagé de l’amertume des larmes. »

Nulle amertume en effet dans ces pages frémissantes aussi légères qu’un pétale où se dessine toujours l’ombre d’un tendre sourire ou d’un émerveillement toujours renaissant face à chaque aube nouvelle : « Envergure de Juin, c’est l’élargissement progressif du jour jusqu’au solstice d’été. C’est aussi l’ouverture de l’âme jusqu’à sa plénitude lumineuse. D’abord à la mesure d’une lueur domestique, l’œil s’élargit à l’infini pour la re-connaissance splendide. » Chaque texte est comme un pont tendu entre ombre et lumière, tel le funambule décrit dans La Mille deuxième nuit :

Déjà

Sur mes canaux de douleur
J’ai posé la nacelle d’or d’une pensée.
Où se croisent le jour et la nuit.
Elle va se balancer un moment,
Se bercer sur le rouge cordeau
Sitôt brisé.
Si court est le Parfait crépuscule,
Nœud d’harmonie.

J’entends déjà l’iris des rames
Vers l’Infini. »

Capter chaque moment presque indicible où surgit le frémissement d’une grâce furtive, tel semble être le propos incessant d’Odette Désagulier : « Une femme poète médite sur la page où elle vient d’écrire le poème d’un instant parfait. Mais voilà que son silence intérieur éclate soudain en mots enfantins sur un air insolite où d’abord elle ne reconnaît pas son inspiration. Elle les accepte cependant, recomposant sur la page blanche une sorte de ronde-devinette dont elle voudrait saisir le sens qui lui échappe. Bientôt, des mots écrits comme malgré elle, sortent des visions fugitives, échos du passé, mais porteurs de sève nouvelle, matière d’une nostalgie qui soudain prend forme en deux enfants d’un rire qu’elle brûle de retenir, jusqu’aux larmes. »

Il s’agit ainsi de retenir le présent, le convertir ou le tamiser à travers le philtre de cette parole faite or :

ENFANTS DE LA LUMIERE

« L’or sous ta porte close,
Rayon de silence où se divise la parole.
L’or sous ta porte close,
C’est le oui de la rose et le non de son ombre,
C’est la présence et c’est l’absence,
Respiration où l’or se livre et se retire
Pour que nous soyons l’un à l’autre sensibles
Et cependant inaccessibles. »

De cette poésie à la fois solaire et incandescente surgit par-delà ombre et tristesse, une affirmation d’espérance sans cesse réitérée tel un viatique ou un vitrail de lumière traversant le temps. Si la poétesse se demandait dans un de ses textes « qui comprendra ma voix ? », nul doute que cet appel saura être entendu en rendant ainsi hommage à la générosité de ce qui fut de la sorte transmis telle une rayonnante offrande d’amour et de foi en la luminosité de la parole sans cesse transmise, de bouches en bouches, de souffles en souffles, telle un flambeau…

EXTRAITS  [14]

Vigilance

Vieille pluie,
Je te baise les mains
Et tu deviens soleil.
Pluie de mon enfance,
Philtre des soirs fondus
Où le parfum de géranium
était plus fort que la mort
(…)
Je préfère le simple,
Et l’odeur très bête du géranium, escalier domestique
Vers la féerie.

Il danse un océan
Sur un seul grain de sable

 

Inspiration

Dans tes yeux,
Lacs de sureaux blancs et noirs,
Des constellations font et défont
L’ombre
Où la tuile ruisselante s’épanche.
Et tu marches
De la pluie à la pluie au rayon de tes yeux.

Sur une grille de bambous secs,
Un arum se descelle,
Suppliant la musique.

Et la rose, partout, s’infuse.

 

Ce mot

J’ai croisé mes mains dans la pluie.
Un immense lilas gaspille ses étoiles
Et les mains me font mal
D’être si jointes
Sur la peur
De ne point recueillir pour toi
A ces sources perdues
Ce mot,
Ce mot
Sueur du cœur vert voyageur
Et toujours si plein du nôtre
O toi,
L’Inconnu

 

Oui

Je t’offre
Le soleil
Dans la coupe de mes mains
Tendue parmi les saules
Où mon geste fait une trouée.
L’heure est mauve.
Nul oiseau
Mais une source
Ou les feuilles
Et, dans le creux de ma main descendue,
Cette larme de soleil
Comme l’écho d’un

Oui.

 

Il bruine de l’aubépine
Il bruine de l’amandier
Et des fleurs de pêcher,
Il bruine de la clarté.

Mon cœur est un éventail japonais
Dans l’empire printanier.

Mais ces pas sur le pavé,
Mais ce talon qui se répond.

Il bruine de la pitié
Il bruine de l’amitié
Et l’espérance de l’été,
Il bruine d’un chemin lacté.

Mon cœur est une branche de palmier
Dans l’empire du sourire.

(…)
Il bruine du sourire
Et des folies de rossignol
Pleuvent du ciel au sol
En pépites d’or.

 


SEMENCE

La terre souveraine à mes pieds reverdit
Sous le linceul du ciel jaloux.

L’inusable amour du lierre étreint le chêne,
Et je frémis jusqu’aux racines
D’un souvenir de glycines
Où riaient mon père et ma mère.

Et je frémis jusques aux nues
Des hirondelles revenues
Battre le blé de la lumière !

O terre, ô ciel, mon pain, mon eau de chaque jour,
Et moi, prisonnière de l’infini,
Graine d’amour, de quel semeur ?

(photo Philippe Jaccottet sur Wikipedia)


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Notes

[1P. Jaccottet, A travers un verger suivi de Les Cormorans et de Beauregard, Paris, Gallimard 1984, p.86-87

[2Ibid, P. 18

[3hilippe Jaccottet – Carnets : 1995-1998, Gallimard, 2001, p. 19.

[4A travers un verger, p.61.

[5P. Jaccottet, Après beaucoup d’années, Paris, Gallimard, 2011, P. 25.

[6Ibid, p. 19

[7Ibid, p. 40

[8A travers un verger, p.10

[9Après beaucoup d’années, p. 49

[10Après beaucoup d’années, p. 30

[11Odette Berliocchi – Envergure de juin – Imprimerie Nouvelle de Roquevaire, 1967

[12Odette Berliocchi – La Mille deuxième nuit ou le funambule – éd. Saint-Germain-des-Prés, 1975

[13Envergure de Juin, préface

[14Dans la mesure où l’œuvre est peu connue et les recueils indisponibles, nous citons ici de larges extraits….



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