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Ian Monk, extrait de Vers de l’infini (inédit)

mercredi 30 décembre 2015, par Cécile Guivarch

2/14/1

tu te sens sage finalement la vie est comme terminée dans un sens quoi
et se dirige directement et plutôt rapidement vers le bord où comme d’hab
les lemmings se jettent à l’eau aussi allègrement que les galets des mômes ensuite
on regarde leur chute et les traces vagues plus qu’éphémères de leur mise
en bibine salée tu entends subitement faisant irruption dans ton oreille neuronique une musique
du dimanche de la vie aussi plate et lisse et bien ordonnée qu’une chemise
du dimanche d’une autre vie étrangement répugnante enfin disons d’un beau sosie
de toi dans un univers parallèle fait de choix heureusement refusés demandant du rab
d’un plat aussi lisse et bien ordonné qu’une musique qui elle aussi
remplit cette pièce comme une odeur de belle pièce de gigot aux fèves qui
eux aussi sont comme habités par des esprits d’autres univers parallèles à toi
le tout faisant une future bouillie sonore pour les petits amateurs de la poésie
sans chiottes de la vie lisse et bien ordonnée comme la rue non cosmopolite
d’une ville sans aucune odeur de la pauvreté ni son regard clairement oblique

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tu essaies même des fois vainement de traverser la rue toujours de manière oblique
hors des clous en raccourci alors afin de tracer comme un jeune encore quoi
ton chemin vers un rencard disons qui ne s’attend pas un truc cosmopolite
largement supérieur aux vies mornes des autres piétons sportifs qui traversent comme d’hab
pour aller vers leurs trucs tristes comme un atelier de céramique ou de poésie
du mercredi soir peu importe le sujet c’est l’horaire qui compte ensuite
on prend la matière qui y colle le mieux avec tiens justement comme toi
qui choisis les séances rétro au cinoche selon la position du soleil la mise
en scène l’intrigue et cetera étant kifkif enfin par rapport au remplissage qui
bourre l’après-midi avec cette espèce de confort délicieusement miteux sur une musique
tellement quelconque qu’elle déroule juste comme un rêve bancal et oubliable lui aussi
dans lequel cheveux longs tu portes toujours le même pantalon et la même chemise
et tu fais très précisément rien sauf écouter une horloge qui demande du rab
à une autre horloge comme un bègue claquant sa langue incessamment à son sosie

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il est largement temps ah oui d’aller consulter le psy de ton sosie
sans ou avec lui derrière toi peu importe pour une fois ton discours oblique
fera seul l’affaire remettant par les silences de ses hochements encore du rab
sur l’assiette devant vous et son repas changeant selon les circonstances de quoi
faire saliver d’émulation même la flore le plus repus d’une belle chemise
tu cherches alors ta vérité actuelle un peu enfin le versant nettement moins cosmopolite
pour ainsi dire de la colline le mauvais côté du chemin de fer aussi
celui que tu gardes pour ton toi de blues de dimanche comme d’hab
celui qui ne sait plus rien faire même voir l’intérêt de la musique
qui devient alors une colline plus verticale que la pire profondeur de la poésie
sonore tu ouvres ta bouche alors et puis tu parles à ce type qui
semble t’écouter tiens d’une oreille nouvellement curieuse pendant trente minutes ensuite
tu la fermes reprends une de tes autres activités normales par exemple la remise
en boîte les différents doigts coupés par les cordes de ta guitare et toi

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oui il faut dire qu’entre les autres qui marchent debout dehors et toi
une tranchée se creuse presque visiblement quand tu te balades entre toi le sosie
solitaire et les autres avec leurs ombres réels qui leur collent comme une mise
sous surveillance quantique qu’on a fini par accepter ils sentent ta démarche oblique
comme une provocation imbécilement enfantine celui qui détraque les jeux des autres puis ensuite
qui fait le fayot en classe celui qui putain ne demande jamais du rab
à la cantine non même quand c’est les frites presque fraîches et qui
n’aime pas les haricots à la tomate et les bagnoles un pédé quoi
qui ne comprend pas l’ennui profond qui habite les bouquins ni la poésie
dans la façon dont on gare sa bagnole et dont on repasse une chemise
et qui ne tombe pas dans une catatonie non feinte en écoutant la musique
acoustique bref tu te sens là dans la ville comme le seul cosmopolite
et fier de l’être dans une réunion de fascistes où comme d’hab
ta distraction t’a amené les yeux bandés le nez bouché ta curiosité aussi

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oui mais zut quand le monde commence à prendre très clairement partie lui aussi
on peut légitiment poser des questions sur vos santés à lui et à toi
on t’avait bien appris à l’école quand même que comme d’hab
le monde devrait rester objectif là quoiqu’il arrive sans recours à un sosie
pour porter le chapeau pour ses conneries et son parallélisme bof plutôt mollement cosmopolite
quand on y pense tu le regardes à nouveau autrement et toute sa mise
en scène plutôt ridicule une fois que tu as commencé à suivre sa musique
et déchiffrer le langage de ses signes même sa version la plus asiatiquement oblique
qui révèle à qui sait bien l’écouter toute la vie sous la chemise
la pensée des aliments et la raison entre les dalles afin de pouvoir ensuite
s’habiller manger marcher comme un homme donc sujet de et à la poésie
ancestrale dans toute sa modernité génétique sans alors ayant besoin de demander du rab
émotionnel de la vie en cherchant des complications amoureuses ou bien philosophiques redondantes quoi
comme quelqu’un faisant semblant de savoir non seulement pourquoi il cherche mais qui

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tu te demandes comment le rythme des pensées choisit non seulement où mais qui
tu te demandes pourquoi il sait d’avance comment tes lèvres réagiront elles aussi
tu te demandes comment elles formeront des sons des phonèmes qui exprimeront précisément quoi
tu te demandes pourquoi ici une fois là même elle seule enfin avec toi
tu te demandes comment avoir sans parler autrement que par des yeux du rab
tu te demandes pourquoi toi maintenant elle ici et cetera et comme d’hab
tu te demandes comment causer baise sans sombrer dans les creux de la poésie
tu te demandes pourquoi cette impression nette qu’elle te trompe avec ton sosie
tu te demandes comment vivre avec le panorama en face de chez toi ensuite
tu te demandes pourquoi ton caleçon mauve violet refuse d’adopter un discours cosmopolite
tu te demandes comment vivre dans un état tétonique non dissimulé par ta chemise
tu te demandes pourquoi la table de chevet de la multiplication est ainsi mise
tu te demandes comment aimer longtemps oui très longtemps sur ce terrain vaguement oblique
tu te demandes pourquoi encore cette musique encore cette musique encore encore cette musique

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tu te sens finalement aussi chaotique que toute une vie sur terre sans musique
et qui se le coule douce quand même comme petite rivière qui gargouille qui
suit son chemin parlant la langue individuelle de l’enfer et son approche oblique
à première vue à la consommation de son temps mais finalement tout droite aussi
d’un point de vue raisonnablement inhumain tu renifles autour de toi la mise
en boîte de la charcuterie de l’âme sa saveur son innocence et pourquoi
elle résiste comme jamais on aurait cru capable de résister la chair sans chemise
de mailles synthétiques oui elle est toujours bien là on dirait elle et toi
comme deux preuves vivantes pour l’instant de la température encore assez suavement cosmopolite
de la planète mauve et sa faune en quête quasi sans relâche du rab
de peu importe combien d’abord puis de tout et n’importe quoi ensuite
tu te sens plus si seul que ça malgré vos silences comme d’hab
qui se parlent toute la nuit dans la clarté de vos rêves son sosie
et le tien dans le non sens du dialogue des voyants de la poésie

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Ian Monk est né en 1960 près de Londres, mais vit actuellement à Lille. Il a publié des livres en anglais (Family Archaeology, Writings for the Oulipo, Make Now Press), en français (Plouk Town, Cambourakis), et même les deux à la fois (N/S, L’Attente (avec Frédéric Forte)). Il se produit régulièrement avec le groupe de rock The Outsiders, et donne des lectures/performances aussi bien en France qu’ailleurs (Londres, Bruxelles, Berlin, Luxembourg, Los Angeles, New York…) et est membre de l’Oulipo depuis 1998. Il a aussi traduit un grand nombre d’auteurs français, dont Georges Perec, Jacques Roubaud, Raymond Roussel, Daniel Pennac et Marie Darrieussecq. Twin Towers (les mille univers) et son ebook bilingue Les Feuilles du Yucca / Leaves of the Yucca (Contre-mur) viennent de paraître.

Œuvres :

  • Les Feuilles du Yucca / Leaves of the Yucca (Contre-mur), 2015
  • Twin Towers (les mille univers), 2015
  • , Cambourakis, 2014
  • 14 x 14, L’Âne qui Butine, 2103
  • La Jeunesse de Mek-Ouyes, Cambourakis, 2011
  • Un autre là, poème-affiche, Contre-Mur 2011
  • Control Variations – livret de spectacle multimédia –Philharmonia Luxembourg, 2009
  • Prompts – jeu / spectacle interactif – Kunstverein, New York, 2009.
  • Plouk Town, Cambourakis, 2007
  • Stoned at Bourges, les mille univers, 2006
  • Writings for the Oulipo, Make Now, 2005
  • N/S, Éditions de l’attente, 2004 (avec Frédéric Forte)
  • Family Archaeology and Other Poems, Make Now, 2004
  • Histoires parallèles, La Nuit Myrtide, 2004 (avec Lise Martin)
  • Le voyage d’Ovide, Le Verger, 2002

En collaboration :

  • La bibliothèque oulipienne tomes 8 et 9, Le Castor Astral, 2011, 2015.
  • Anthologie de l’Oulipo, Gallimard, 2009.
  • En d’étranges contrées, Anthologie BIPVAL, Action Poétique 2009.
  • À chacun sa place, La Contre Allée, 2008
  • Potje vleesch, La Nuit Myrtide, 2006
  • Oulipo Compendium, Atlas Press, 1998

Photo : © Patrick Devresse


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