Catherine BAPTISTE et Claudine GOUX : Lettre à une poétesse disparue – Hommage à Odile Caradec (Editinter éd., 2023), 46 pages, 12 euros – BP 156 - Square F.Chopin – 91450 Soisy-sur-Seine ou editinter@free.fr
Lorsque trois amis aux talents complémentaires mettent leurs compétences au service d’une belle cause, le résultat ne se fait pas attendre. La belle cause, c’est l’hommage émouvant à Odile Caradec, poétesse nonagénaire disparue en 2021. Le maître d’œuvre de cet hommage n’est autre que « le petit père Dadillon », éditeur prêt à sacrifier ses ultimes euros pour célébrer son amie défunte. Catherine Baptiste a écrit les poèmes et, en regard, Claudine Goux a composé 19 illustrations. Cela se lit de bout en bout d’un seul souffle : « À moi les mots ! ne me laissez pas taiseuse et insensible ». Face à « l’indispensable, l’impensable deuil », la rêverie est d’un grand secours car elle est « la centrale nucléaire de la poésie », celle qui fournit l’indispensable courant. Catherine Baptiste a su trouver les mots de l’authentique amitié, celle qui permet d’ouvrir les portes et de relier connivence et complicité « dans ces terres de mémoire ». Les trois complices se disent : « Pourvu qu’Odile soit là ». Oui, elle est bien là et l’on est heureux de revenir vers ses livres trop rares qu’un éditeur avisé serait inspiré de rééditer.
Michel DUNAND : un pont des fleuves (Jacques André éd., 2023), 100 pages, 14 euros – 7 avenue de Lattre de Tassigny – 47200 Marmande ou contact@groupe-cei.com
Pèlerin curieux, pérégrinateur entêté, globe-trotteur discret : on pourrait à l’envi poursuivre ces portraits en raccourci pour désigner Michel Dunand. Ce voyage interminable qu’il accomplit (l’existence ?) se place sous les auspices de M. Yourcenar et de R. Tagore. Rien de moins. Et puis, lectrices et lecteurs vont se trouver embarqués à leur tour dans un voyage (initiatique ?) qui va les conduire d’Alger à Calcutta, d’Istanbul à Vilnius pour finir en Ukraine, du côté de Kramatorsk. Le constat du poète est réaliste : « J’ai franchi bien des ponts jusqu’à présent. Cependant la difficulté ne fait que commencer. » Son écriture poétique est d’une grande concentration telle une huile essentielle à forte densité. Dans tous ces lieux variés, « L’homme est indéchiffrable / Hors de portée. » C’est lui qui vient traverser des univers singuliers où chaque instant peut devenir un miracle. Michel Dunand poursuit calmement une œuvre où une quinzaine de strates viennent se rajouter les unes aux autres sous un intitulé parlant : Un avant-goût du vent. Parfois un aveu ou un constat viennent réguler la démarche du poète : « Je crois en ma folie. / J’espère en ma sagesse. » car il constate que la poésie ne l’a jamais trahi.
Alexis PELLETIER : Politique du monde (Rougier V. éd., 2023), 48 pages, 16 euros – tirage limité à 300 ex. numérotés- Les Forettes – 61380 Soligny-la-Trappe ou rougier.atelier@wanadoo.fr
Comme toujours avec les éditions Ficelle de Vincent Rougier, les opuscules qui paraissent sont de véritables bijoux bibliophiliques cousus de fil blanc, au propre comme au figuré. Ce 67° numéro de la collection Plis Urgents s’inscrit dans une lignée où l’on retrouve des poètes tels que James Sacré ou Florence Saint-Roch. La politique du monde d’Alexis Pelletier apporte une vison décalée de la période contemporaine hérissée de séismes et de drames, « bombes à retardement / qui naissent de la / manière-matière néolibérale. » C’est cette dernière qui est la cible préférée du poète avec son cortège d’escroqueries et d’esbroufes. Alexis Pelletier redoute le moment où « le langage n’aura plus besoin / de mots chez les transhumains . » Il se place en équilibre « exactement au point / de séparation avec les mots » Il évoque aussi des personnes qu’il respecte et vénère : Bernard Noël, La Boétie, Lévinas, Derrida,… Il dit avec véhémence et fermeté l’agonie de la planète, la disparition de la biodiversité en montrant du doigt « la force du tout-à-l’ego ». Le livre se termine par « Trois Merles Matinaux de Mlash » autant dire trois charges ciblées sur un Président jupitérien. Pourquoi pas ?
Colette KLEIN : Le bleu selon C. Klein (Transignum éd., 2023), 70 pages, 30 euros – 5, rue des Pruniers -75020 Paris ou contact@transignum.com
À l’imposant outrenoir décliné par Soulages, Colette Klein répond par le subtil outremer. Elle n’est pas seule à s’être lancée dans cette recherche poétique car elle est accompagnée par l’artiste Wanda Mihuleac, par la traductrice Eva-Maria Berg, par la photographe Zhvania Natia et par la musicienne Violeta Dinescu. Les éditions Transignum ont orchestré cet original projet en référence homonymique au peintre Yves Klein, « à la recherche de l’outremer absolu ». Ce bel ouvrage au format carré peut se lire de plusieurs manières : les seize poèmes en français puis les mêmes en allemand, puis encore les illustrations des pages impaires et enfin les carrés bleus déclinés en différentes nuances. Ces quatre approches se complètent à merveille pour composer une pièce graphique et musicale unique avec le QR-code de la page 79 permettant d’écouter l’ensemble des poèmes accompagné d’une œuvre musicale proposée par trois musiciennes. Il s’agira toujours d’évoluer et d’avancer pour ne pas « vivre reclus dans les cercles du réel ». Avancer, progresser, tout en sachant que « Suivre le fil ne suffit pas / entre la digue et l’horizon » au point zénithal « où le soleil tente de dominer le bleu ».
Luc MARSAL : Juste vivre (Donner à Voir éd., 2023), n.p. (16 pages en leporello), 6 euros – 91, rue de Tripoli – 72000 Le Mans ou editionsdonneravoir@gmail.com
La collection « Tango » de ces éditions mancelles se singularise par une présentation en leporello c’est-à-dire en accordéon. La lecture s’effectue de gauche à droite à l’endroit puis à l’envers. C’est ici le premier livre d’un auteur que l’on découvre avec bonheur. Sa créativité est toute en maîtrise sans que son lyrisme ne soit brisé. Au vacarme du monde, il préfère « le silence qui tombe / et ranime le vent ». Aux hivers rabougris, il préfère les « verts printemps / des magnolias en fleurs / et des douces lumières / qui éclairent le matin ». Dans un même mouvement salvateur, Luc Marsal dresse un inventaire des merveilles de notre minuscule planète menacée. Il rappelle toutes ces merveilles que nous ne savons plus voir : océans et montagnes et ces « soleils levants / qui balaient l’horizon ». Ce mince recueil est un hymne à l’espoir et aux mille raisons de dépasser la morosité. Les encres abstraites de Nour Cadour complètent sobrement le déroulé de ces strophes de cinq vers chacune, strophes débutant par un ferme « je veux » et s’achevant par ce cri : « Je veux vivre / juste vivre ».
René Lacôte : Poèmes (Avant-Quart éd., 2023), 182 pages, 14 euros – avenue de Castelnau – 11200 Tourouzelle ou www.avant-quart.com
Il est rare et réconfortant de découvrir que certaines personnes déploient des trésors d’obstination pour ramener en pleine lumière les œuvres de poètes qui nous ont précédés et qui semblent injustement oubliés. C’est le cas ici avec cet important ensemble qu’ont composé de discrets complices dont les noms n’apparaissent qu’en avant-dernière page : Philippe Audibert, Gérard Cathala et Jean-Paul Cathala.
Cette compilation, véritable travail de fourmi, a fini par aboutir à ce bel ouvrage qui fera date comme témoignage de fidélité envers un poète sincère et rigoureux : René Lacôte. On conseillera de lire en premier la 4ème de couverture qui est un parfait résumé d’un parcours poétique très singulier. La forte personnalité de ce poète ne laissait personne indifférent surtout dans les années allant de 1950 à 1970 où ses chroniques et ses critiques dans le journal Les Lettres Françaises étaient lues et très attendues. Beaucoup de lecteurs avaient tendance à oublier que Lacôte était aussi un excellent poète. Aux touchants écrits de jeunesse du jeune poète bordelais ont succédé les poèmes de la maturité, mûris et travaillés. Il délaissera peu à peu sa propre œuvre et c’est regrettable quand on relit ici la presque totalité des ses écrits. On relèvera l’une de ses dernières œuvres, Journal d’une solitude paru en 1946 chez Fanlac. On y découvre une froide lucidité par rapport aux diverses créations poétiques de cette époque mais qui sont finalement très actuelles. On y découvre aussi un réel besoin d’amour et d’espoir. « Un jour, cette porte qu’on m’ouvre avec les couleurs de la vie »… sera peut-être celle que ses amis ont ouverte 50 ans après sa disparition.
Georges CATHALO – septembre 2023