Journal incertain d’un lecteur addict de poésie…
Patricia CASTEX-MENIER : Chroniques incertaines (Petra éd., 2019), 100 pages, 12 euros – 12, rue de la Réunion – 75020 Paris ou info@editionspetra.fr
Pour ouvrir ce livre, la clé, s’il en fallait une, se trouverait en page 18 : « Il faudrait rester enfant pour, dans la vie, prendre au sérieux l’anodin, s’émerveiller de l’inutile, et jouer ainsi jusqu’au bout – un, deux, trois, soleil à l’éternité ». Voilà comment Patricia Castex-Menier s’aventure sur le terrain miné de la poésie du quotidien. La réussite est là avec ces poèmes prosaïques déclencheurs d’émotion. Derrière la fragilité de ces Chroniques, on devine un cheminement humain parsemé d’embûches et de joies. On peut aussi y deviner un patient travail de mémoire, avec, au final, la réussite que constitue ce recueil éclairant.
Contre-Allées N°39/40 (2019), 164 pages, 10 euros – 16, rue Mizault -03100 Montluçon ou contre-allees@wanadoo.fr
Après un trop long silence de près de deux ans, cette belle revue renoue avec des frontons de qualité. Après Chédid, Venaille, Biga ou Pey, c’est au tour de François de Cornière d’être présent avec sept poèmes dans la lignée de cette poésie du vécu si difficile à écrire et que ce poète maîtrise à merveille. Tous les autres auteurs retenus pour cette livraison ont un tel niveau d’excellence qu’il serait injuste d’en isoler certains. Ce nouveau numéro se boucle par de courts hommages à deux disparus : Marie-Claire Bancquart et Antoine Emaz. Afin de mieux comprendre les choix des responsables, on lira en dernier la présentation de Romain Fustier en page 3.
Salvatore SANFILIPPO : Et bien sûr je n’ai pas de parapluie (Gros Textes éd., 2019), 94 pages, 8 euros – Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes ou gros.textes@laposte.net
Avec Sanfilippo, on est toujours sur le fil du rasoir. Entre jeux de mots, pirouettes et fantaisies, il propose des poèmes à partir d’une idée ou d’une situation banale. Héritier de Jean L’Anselme dans l’art subtil du poème humoristique, il dit souvent bien plus que de savants analystes à propos de notre époque épique. Il appuie où ça fait mal (Adieu patron), il convoque la tendresse (Maria), il rappelle Tardieu à la rescousse (Deux amis inséparables)… Disons que ce poète est prêt à tout pour se faire entendre, même à faire « des fotes d’ortograff/ Pour dépoussiérer la langue / Délit vrai les mots de leur carcan ». Rassurons-le : c’est chose faite avec ce recueil.
Décharge N°183 (2019), 164 pages, 8 euros – 11, rue Général Sarrail – 89000 Auxerre ou revue.decharge@orange.fr
« L’émotion, la poésie » qui constitue un dossier-phare de cette livraison aurait pu servir de « chapeau » à l’ensemble de Décharge. La relation intime qui existe entre ces deux sujets se retrouve dans l’hommage rendu à Michel Baglin mais aussi dans les poèmes d’Albertine Benedetto et de quelques poètes du « Choix de Décharge » tels que Marion Lafage, Gérard Mottet ou Jacqueline Persini. On saluera le retour au premier plan de quelques revenants : Joël Cornuault, Jean-Pierre Otte ou Liliane Reynal. Les abondantes chroniques et notes de lecture ouvrent des pistes vers des ouvrages rares. Curiosité, diversité, passion : bref, tout ce qui fait le sel de la vie se retrouve dans les sommaires de Décharge.
Adeline BALDACCHINO : Théorie de l’émerveil (Les Hommes sans Épaules éd., 2019), 292 pages, 18 euros – 8, rue Charles Moiroud – 95440 Écouen ou les.hse@orange.fr
Si l’on veut bien comprendre et apprécier le parcours d’Adeline Baldacchino, on lira en premier la parenthèse, préface et postface, de Christophe Dauphin. Il était temps que le « météore Baldacchino » se pose un peu, fasse le point et se recentre sur « une simplicité partageuse ». C’est chose faite avec ce livre et grâce à la « passion de passeur » du préfacier. Après avoir parcouru tous les continents et publié des dizaines d’ouvrages divers (essais, poèmes, pamphlets,…), cette auteure donne à lire une douzaine d’ensembles structurés de textes poétiques d’un lyrisme sans faille. Étonnante alchimie entre jeunesse et maturité pour cette forte personnalité qui écrit : « Je sais qu’il n’est pas de secret qui tienne pour faire une œuvre, sinon la faire. »
Verso N°178 (2019), 170 pages, 6 euros – 547, rue du Genetay – 69480 Lucenay ou revue.verso@gmail.com
L’entre-deux sert de thème chapeau aux poèmes retenus par Alain Wexler qui choisit en fonction de ses goûts de revuiste avisé. Il sait toujours trouver le fil rouge qui va relier ces textes se suivant dans un apparent désordre mais où les lecteurs pourront assouvir leur soif de découvertes. Chacun ira vers ce qu’il aime dans cet entre-deux du langage, « propice au rêve avec sa collection de miroirs ». Entre-deux encore pour la riche présentation (28 et 12 pages) des journées de Tarn-en-poésie qu’organise depuis 35 ans l’association ARPO, avec cette année Thierry Renard en tant que poète invité.
Michel BAGLIN : Les mots nous manquent (Rhubarbe éd., 2019), 106 pages, 12 euros – 10, rue des Cassoirs 89000 Auxerre ou editions.rhubarbe@laposte.net
Les mots nous forment et nous déforment mais au final la conclusion est la même : les mots nous manquent. Cet amer constat, il y a longtemps que Michel Baglin l’avait intégré à sa démarche poétique. C’est d’ailleurs l’intitulé qu’il avait choisi comme titre de son dernier recueil. Ce constat, il l’assume et le justifie grâce à la médiation de 31 poèmes en prose, poèmes souvent circonstanciés : retour en train du Marché de la Poésie de Paris, festival Voix Vives de Sète, souvenir d’Yves Rouquette ainsi que la longue suite intitulée « Charlie’s blues ». En fin de compte, en savourant ces écrits, on redécouvre la modestie du poète. Affirmons qu’en diamantaire et ciseleur des mots, Michel Baglin a su communiquer de fortes émotions.
Les Hommes sans Épaules N°48 (2019), 310 pages, 17 euros – 8, rue Charles Moiraud – 95440 Ecouen ou les.hse@orange.fr
À chaque nouveau numéro des HSE, on se demande comment s’y prend Christophe Dauphin pour donner à lire tant et tant de textes originaux, de solides dossiers et d’approches apéritives. Il y a, chez ce revuiste au long cours, une soif de connaître et une volonté de découvrir hors du commun. Le dossier Georges Henein est là pour l’attester. Il met en avant l’œuvre et le parcours de ce « marginal du surréalisme » qu’avaient justement salué Henri Michaux, Yves Bonnefoy ou Joyce Mansour ici présents. On retiendra ensuite un dossier sur « Les poètes surréalistes et l’amour » ainsi que les 13 pages dérangeantes accordées à Xavier Frandon.
Josette SEGURA : Au plus près de nos pas (Illador éd., 2019), 52 pages, 15 euros – 14, rue des Saints-Pères – 75007 Paris ou contact@editions-illador.com
Dès la couverture de ce livre délicatement illustrée par Catherine Sourdillon, on sait que l’on va tomber sous le charme délicat des poèmes de Josette Ségura. Si « des images reviennent », ce sont celles d’une existence paisible peuplée de moments privilégiés dont on ne mesure l’importance que bien plus tard. Randonnées pyrénéennes, pauses dans le silence des abbayes, visites à des proches hospitalisés : ces poèmes restituent des souvenirs vivaces qui laissent entendre « le petit ruisseau de l’amitié ». On y retrouve des poètes amis comme Gaston Puel ou Anne-Marie Viala avec un rien de mélancolie. Josette Ségura ne cherche jamais à donner des leçons de vie. À son rythme, elle avance pas à pas, « même si on sait, mais on l’oublie / que tout va vite », oui, que tout va trop vite.
Arpa N°127 (2019), 104 pages, 15 euros port compris – 44, rue Morel-Ladeuil – 63000 Clermont-Ferrand ou gerardbocholier@orange.fr
La solidité de la revue Arpa n’est plus à démontrer tant cette publication s’est enracinée définitivement dans le paysage poétique depuis plus de 40 ans . Fidèle à sa ligne éditoriale, Gérard Bocholier est toujours exigeant dans ses choix où seules sont retenues les qualités stylistiques des écrits. En effet, on relèvera pour ce numéro des voisinages surprenants : Josette Ségura et Jean-Pierre Georges ou Alain Richer et Michel Diaz. Les poètes étrangers ne sont pas oubliés puisqu’on peut en lire cinq, originaires de cinq pays différents. Comme toujours, la livraison se termine par un ensemble de lectures et de critiques qui donnent envie de découvrir les ouvrages présentés.
Marie-Josée CHRISTIEN : Affolement du sang (Al Manar éd., 2019), 134 pages, 19 euros – 96, rue Maurice Barrès – 92200 Neuilly ou editmanar@free.fr
La préface de Jean-François Mathé, grave et précise, ne laisse planer aucun doute sur l’univers hypersensible de Marie-Josée Christien. La maladie orpheline dont elle souffre se trouve mise à distance par le poème qui la maintient dans un fragile équilibre entre silence et parole. Chacun de ces textes brefs est un coup porté au destin car « au plus profond du silence / il n’y a pas de différence / entre la vie et la mort ». Marie-Josée assume de bout en bout cette marche pénible avec son affirmation soutenue de la première personne du singulier. Elle se permet même quelques jongleries verbales : « le mot de la fin / engloutit l’attente / latente / la faim de vie ». Et le dernier poème du livre sera celui du silence ET de la parole : « À nouveau / je tends la main / et j’oublie / la possible morsure / le danger imminent ».
Coup de Soleil N°106/107 (2019), 76 pages, 15 euros – 12, avenue de Trésum – 74000 Annecy ou maisondelapoesie.annecy@gmail.com
Cette modeste revue « centenaire » n’a jamais souhaité faire de l’ombre aux autres publications. Elle a accueilli plusieurs centaines de poètes, inconnus ou renommés, peu importe car pour Michel Dunand, seul compte l’authenticité de la parole. On en trouve la preuve dans ce numéro double dont les pages s’ouvrent sur une impressionnante suite cosmique de Werner Lambersy suivie par les poèmes vagabonds de Valérie Canat et par les haïkus rigoureux de Jacques Rancourt. On devrait encore signaler les écrits de quelques autres participants tels que Marie Desmaretz, Michel Lamart ou Jean Chatard. Quelques fortes chroniques et notes de lecture viennent clore ce numéro sobre et efficace.
Georges Cathalo