Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Jany Pineau

lundi 21 octobre 2019, par Cécile Guivarch

Poème écologique

Il devrait y avoir une collecte des déchets politiques
Hop, un jeune à l’eau, hop une haute autorité à bazarder
Hop, une charge contre le peuple, hop un gouvernement à éliminer
On mettrait tout ça sur un coin de trottoir, avec interdiction de bouger
Tout ça obéirait, un peu ficelé
Et on l’enlèverait au petit matin
Avec délicatesse. Bonjour !— on a du savoir-vivre —
On le déposerait dans le tas des déchets politiques
Un tas un peu malodorant faut bien dire
On se pincerait un peu le nez
Et on recyclerait encore un peu
Ici, reconversion — on sait être gentil —
Là, travail d’intérêt général à vie — eh oui, mon général
Et là-bas, toxique, dangereux, peine perdue mais pas pour tout le monde
Et pas d’excuses, c’est trop tard.

Ceci n’est pas un poème

Je n’invente pas la poudre
Ni le poème
Surtout pas le poème
J’essaie juste de me raccrocher aux branches d’un arbre
Puis de m’envoler pourquoi pas sur ses feuilles jaunies
et éphémères
Surtout éphémères
Pour m’écraser sans bruit
Et mieux m’envoler encore

L’art de briller

Je n’aimerais pas trop être un carreau de mosaïque
Même brillant
Encollé et serré parmi les mêmes voisins
Moi je préfère rester ce moi
Collé devant l’écran, entouré de tous mes amis
L’art ne se discute pas
Et je brille dans les réseaux sociaux
Je suis donc une œuvre d’art à moi tout seul
Admirable, non ?

Au fond

Il n’y a pas de fumée sans feu
Il n’y a pas de feu sans odeur
Il n’y a pas d’odeur sans nom
Il n’y a pas de nom sans corps
Il n’y a pas de corps sans eau
Il n’y a pas d’eau sans morts
Il n’y a pas de morts sans mensonges
Il n’y a pas de mensonges sans états
Il n’y a pas d’états d’âmes

Poème autodaté

2             Le vent
9             les poules, un moteur, bruit de papier, malgré tout

0             — rien —
7             Cette nonchalance s’accroche à moi, elle

2             est même
0             — tout —
1             je
9             je je je je je je je je rien

Jour sans

Je l’ai cherchée dans des pages, des rues et des sentiers, des regards, dans un son, là-bas, au loin, tout près
j’ai soulevé des points, par deux, par trois, d’interrogation, de vue, m’y suis même suspendue, ai décortiqué des i
j’ai gratté encore, l’écorce d’un arbre, des minutes, des cordes sensibles, l’endroit et l’envers
et l’envers et l’endroit, elle n’était jamais là
je l’ai finalement attrapée au vol en suivant les corbeaux
elle avait cette beauté noire du soir
la poésie est de mauvais présage pour demain

Trois minutes chrono

En une minute on a pu trépasser, prendre une décision capitale, faire patienter, la perdre
TOP !
En deux minutes on a pu continuer ce qu’on avait commencé la minute précédente, prendre son temps, finir par K.O., profiter de deux minutes de soleil supplémentaire
TOP !
En trois minutes, on a pu se faire cuire un œuf, avoir tenu un round, écouter pour la centième fois son morceau préféré, être en train d’écrire, selon soi, quelque chose de vraiment très intéressant
TOP !
ou comment perdre définitivement un lecteur en trois minutes chrono.

Rien n’est beau

La terre tangue et le bateau a mal aux genoux. Tout va très lentement. Tout est ailleurs, se mélange, se confond. Les camions éclatent les nuages et l’oiseau vocifère, crie le malheur tandis que le petit prince veut parler aux hyènes et que la rose vomit ses pétales. À présent, relève-toi.


Entretien avec Clara Regy

As-tu toujours écrit ? Qu’est-ce qui t’a vraiment donné envie de publier, même si cela ne semble vraiment pas être ta priorité ?

À 1 mois, j’avais déjà écrit plusieurs textes. Je suis née avec l’écriture, pour l’écriture, je suis née écrivain, poète, etc., je suis admirable. Non je plaisante. L’écriture est venue avec l’envie de monter des journaux, des fanzines, un peu partout, l’envie que la parole des enfants ou bien de ceux qu’on appelle les « petites gens » – dont je fais partie, à qui on explique comment vivre, penser, obéir, soit entendue, vue, lue. Soit admirable, elle aussi. Que ceux qui ne se pensent pas capables de penser, d’écrire, incités à écrire, de la manière dont ils veulent, découvrent qu’ils sont aussi capables de le faire que les tout-puissants. Et souvent d’ailleurs, on récolte des pépites.
C’est marrant, j’avais terminé ce questionnaire en omettant de répondre à la 2ème question. J’y reviens donc. En fait non, je n’arrive pas à répondre à cette question. Pour faire court, j’y suis allée innocemment, par jeu (éditions Asphodèle), puis par compassion pour tous ces textes enfermés dans des dossiers et à qui j’avais envie de rendre un peu de liberté (je me suis alors adressée à Gros Textes, dont j’aime le travail). Et à ma grande surprise, tout ça a marché. Mais c’est quelque chose qui me rend mal à l’aise, va savoir pourquoi. Peut-être parce que je considère (mais ça n’engage que moi) que ce milieu est trop plein de stratèges, que le copinage est souvent omniprésent, et tout ça, c’est trop pour moi. Des éditeurs de poésie ironisent sur les poètes, des poètes admirables pleurent sur les éditeurs qui ne les publient pas, ça pigne tout le temps. Que dire aussi de ces acteurs du milieu littéraire qui vous ignorent poliment alors qu’ils ne vous ont même pas lu parce que votre maison d’édition est un peu underground. Bref, J’ai besoin de rire, voire d’écrire, pas de me placer. Je suis pour la mise en réseaux, les échanges, pas pour l’entre-soi. Je m’y ennuie.

Où se trouve « la poésie » pour toi ? Existe-t-elle vraiment ? Et si oui (oserons-nous) a-t-elle un rôle ?

On peut la trouver par exemple dans le genre d’écrits cités plus haut. La poésie n’est pas dans le joli, elle est dans l’humble, le petit, et surtout pas dans le poétisme « qui ne produit que du cliché et épuise la langue à force de la gonfler » (Jean-Michel Espitallier). Elle n’a rien à voir avec le majestueux. Ou alors, il lui faut le contre-pied, tout à côté. Elle est dans la fleur esseulée sur un bout de trottoir ou entre deux rails de chemin de fer, elle est dans l’incongru, l’impromptu, par exemple la silhouette recouverte d’un long manteau de pluie vert-gris plaquée de face contre une porte rouge vue ce matin. Elle est dans le petit rien, le moche à première vue et pourtant si émouvant, parce que ce moche a à voir avec la vie, et la mort aussi. Donc, bien sûr que la poésie existe. Et heureusement. Elle nous rappelle que nous ne sommes que de passage sur terre, mais nous offre alors toute notre place.

Tes textes jouent avec les mots et les choses ? Alors tout cela ne serait que jeu ?

Bien sûr, je joue. Pendant que j’expérimente, que je creuse. Je joue parce que le noir prendrait autrement trop de place. Je joue parce que le même mot peut vouloir dire aussi son contraire. Je joue pour bien chuter et mieux me relever ensuite. Je joue sérieusement pour ne pas me prendre trop au sérieux. Je joue pour survivre. Je joue pour de rire, pour rire. Je joue pour réussir les pirouettes. Je joue contre moi, avec moi, pour être juste ce petit moi. Et sinon, perso, je ne suis pas sûre d’écrire de la poésie… J’écris des textes courts, voilà tout.

Quels auteurs comptent pour toi (poètes ou autres) ?

Ont compté pour moi Apollinaire, avec ce poème « Automne » découvert en primaire, puis Michel Butor au lycée (ah bon, on peut écrire comme ça ?) et par exemple aussi Raymond Carver, Jacques Sternberg, Antoine Emaz ou Pierre Autin-Grenier. Et, plein, plein d’autres, issus de nombreux genres littéraires, que je ne citerai pas parce qu’ils sont vivants et qu’ils ont mieux à faire que de lire leurs noms ici.

Et pour terminer que penses-tu de tes réponses ?

Que ça n’intéresse sûrement que moi. Et encore…


Née un jour. Vit toujours. Travaille, travaille, travaille. Écrit, parfois. Colle, de temps en temps. Est à l’Ouest. Rêve d’écrire La Suite au prochain numéro, mais c’est pas gagné. Sinon, ça va.

Bibliographie

Publications :

  • Regarde ou écoute, c’est selon suivi de Mise en train, éditions Gros Textes (2017)
  • Avec dessus dessous, éditions Gros Textes (2015)
  • En train de dérailler, Asphodèle-éditions / Collection confettis (2013)

Participations à :

  • Marlène Tissot & compagnie, mgv2>publishing (2015)
  • Des ourses dans le ciel, Cathy Garcia & compagnie, mgv2>publishing (2015)
  • 36 choses à faire avant de mourir, 2e série, pré # carré éditeur (2014)
  • mgv2_71 | GOLF, mgversion2>datura & contributors (2013)
  • « Éléments », d’Annie Robine, relieuse, texte Touchés, pour exposition à la galerie d’art contemporain du Couvent des Urbanistes à Fougères (2009)
  • Revues Microbe ; Cabaret ; L’Autobus ; Charogne ; Lapsus (Québec) ; Traction-Brabant ; Nouveaux Délits

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