MEDICIÓN
_________A Alberto Blanco Nuestra manía de medir las cosas, Mientras haya recuento _________(De Fidelidad de una sombra) |
MESURES
_________A Alberto Blanco Notre manie de mesurer les choses, Si nous faisons ainsi l’inventaire |
ANIMAL DE ESPERA
No crees en las revelaciones Sostenerse erguido _________(De Fidelidad de una sombra) |
ANIMAL EN ATTENTE
Tu ne crois pas aux révélations Se tenir droit _________ |
UN TEMBLOR EN LAS HOJAS
Esto fue _ ha sido _ vivir en los días Nada se esperaba de nosotros y sin embargo _ hay restos Todo es una misma cosa qué podría importarnos |
UN TREMBLEMENT DE FEUILLES
Ce fut _ c’était _ vivre les jours De nous on n’attendait rien et cependant _ il reste des traces Tout est une même chose en quoi cela nous concernerait. |
PERMANENCIA
fue largo nuestro día permanece si la noche interroga ___ decid el mar el mar |
A JAMAIS
notre journée fut longue elle perdure si la nuit interroge ___ dites la mer la mer |
PASABAN
arriba allí _ alto |
ILS PASSAIENT
là haut là-bas ___ haut |
FRAGMENTOS
No fueron los mejores días pero pareces haberlo olvidado Y ahora _ y un apéndice de sol que no declina De la vida sólo sabrás aquello que te salve _ _ _ (Inéditos) |
FRAGMENTS
Ce ne furent pas les meilleurs jours mais tu sembles l’avoir oublié Et maintenant _ et un appendice de soleil qui ne décline pas De la vie tu ne sauras que ce qui te sauve _ _ _ (Inédits) |
J’ai découvert Javier Vicedo Alós dans l’infime immensité d’un oiseau dans le ciel, l’ampleur, la maîtrise de son vol.
Quand, à l’occasion d’une visite à Paris avec un ami commun, Javier Vicedo Alós, qui venait de passer un an en résidence poétique à la fondation Antonio Gala, à Cordoue, m’a donné à lire ses poèmes, j’ai été d’emblée frappé par leur densité et par l’écho né de l’enchaînement de rythmes et de sonorités. Des vers « longs en bouche », si j’ose reprendre ce terme d’œnologie, qui surprennent nos papilles dès le premier instant, dont on apprécie la charpente et dont on conserve longtemps les arômes.
« Hay un cielo en el pájaro, un pájaro en el trino y un trino en la vida entera. Lo mínimo contiene la inmensidad » ( « Il y a un ciel dans l’oiseau, un oiseau dans son chant et un chant dans la vie entière. L’infime contient l’immensité »), ce court poème, Hay, en particulier, s’est mis à rouler dans ma bouche, à roder dans ma tête.
J’ai été également séduit à cette première lecture par l’exigence de vie, la volonté de ne pas se rendre dans l’incessante quête de l’homme qui anime le poète, quand il écrit notamment, dans Désir de monde, « il est risqué le rythme de la chair,/ ce saut vers le monde/ et sa respiration de corps enlacés./Mais c’est là qu’est l’homme : dans ce risque de l’être. »
A la lecture de l’ensemble de ses recueils, se faisait jour une solide présence, une voix forte et authentique. Celle de quelqu’un dont il nous semble qu’il ne nous est pas inconnu, qu’il nous ressemble. A ceci près qu’il exprime nos doutes et notre fragilité mieux que nous, qu’il nous conduit à des niveaux d’émotion et de réflexion dont nous ignorions qu’ils étaient en nous. Il nous invente et sait nous dire.
Se dégageait également le plaisir de rompre les entraves, de voguer en liberté.
Liberté du regard qui prend le temps de scruter la réalité cachée dans les interstices des jours quelconques y compris les objets les plus anodins (l’aspirateur, l’évier, le lave-linge..) pour nous inciter à les « vivre avec d’autres yeux, ceux qui voient au-delà des miroirs » et faire « vibrer leur lumière ».
Javier Vicedo Alós a cette faculté de « penser ce qui, apparemment, n’a pas besoin d’être pensé. Et cependant de cette pensée extraire l’inédit, ce que nous n’avions pas vu », dont parlait Roberto Juarroz à propos d’Antonio Porchia, deux poètes dont il reconnaît l’influence.
Il faut « savoir regarder tout le vivant immense », disait le naturaliste états-unien William Bartram, déceler le « singulier mystère de chaque instant », affirmait l’argentin Jorge Luis Borges. Javier nous y invite.
Liberté laissée au lecteur. Javier Vicedo Alós procède par « insinuations », comme l’indique le titre de son anthologie. Il interroge, sans jamais donner de réponse, impliquant ainsi le lecteur dans la recherche de sens sur les énigmes -qu’il sait insolubles- de la réalité. La dignité de l’homme, cet être « inachevé », est d’être toujours en quête, en mouvement, en apprentissage, dans son « désir élargi d’être », pour Javier Vicedo Alós qui se souvient comment la poésie l’a « construit » dans son adolescence jusqu’à devenir « une façon d’être dans le monde ».
Liberté d’invention dans sa langue faite de mots simples mais qu’il réinvente, à qui il redonne vie en redessinant leur paysage, attentif à la cadence et à la sonorité, pour en révéler toute la richesse et la « bouffée d’éternité qui guette » derrière eux. « Il faut toujours obéir à son oreille » conseille le poète qui décompose ses derniers poèmes, en « particules » et non plus en vers, parce que, dit-il, « son oreille le conduit aujourd’hui à ces rythmes ».
J’ai commencé à traduire les poèmes de Javier Vicedo Alós tout en les lisant. Je suis bilingue, et lecture et traduction vont souvent de pair pour moi. J’ai l’impression quand je lis de pouvoir mieux appréhender la richesse d’une langue, dans toutes ses dimensions, en la regardant de l’extérieur, pour ainsi dire, depuis ma deuxième langue. Car la traduction consiste avant tout en une lecture approfondie qui nous contraint – heureuse contrainte - à nous demander pourquoi l’auteur a choisi ce mot, ou pourquoi ce mot est venu à lui, plutôt que tel autre, à peser chaque virgule, à mesurer les temps. Il s’agit d’un travail d’explorateur et d’archéologue, qui nous procure le plaisir d’avancer dans la compréhension à chaque nouvelle lecture et d’être en train de recomposer pas à pas une pièce rare.
Elle est faite de constants allers-retours entre une langue et l’autre, où l’on se demande comment se débrouiller avec sa langue, comment au besoin lui faire violence, pour la faire aller dans le même sens que la langue d’origine. Avec la frustration, trop souvent, de ne pas pouvoir tout exprimer - et conscient de surcroît que c’est souvent dans l’intraduisible que réside la richesse particulière d’une langue -, mais avec le bonheur aussi, parfois, de réussir à se rapprocher au plus près de ce qu’exprime l’auteur et d’avoir su communiquer notre émerveillement premier.
La traduction achevée, et à l’heure où nous manquons singulièrement d’oxygène, faire entendre la voix de Javier Vicedo Alós, partager son « refus de vivre à l’aveugle », sa quête exigeante de dignité pour l’homme et la palpitation particulière de sa langue, me sont apparus comme une nécessité. Il m’a proposé un choix des poèmes qu’il souhaitait voir publiés dans une anthologie en français et à la faveur d’un des nombreux échanges que nous avons eu pour peaufiner la traduction, le titre Insinuations sur fond de pluie, tiré du poème Humilité, s’est imposé comme une évidence. J’ai trouvé dans les éditions fondencre, dirigées par Philippe Biget, l’éditeur de qualité que je cherchais.
Edouard Pons
Javier Vicedo Alós est né en 1985 à Castellón, une petite ville à l’est de l’Espagne, entre mer et montagne. Les grandes extensions de sable et de mer, de pinèdes, de hautes montagnes et d’immenses cieux alentour alimentent ses premiers regards et ses premières réflexions.
Adolescent, il forme avec quelques amis un groupe musical pour qui il compose tant bien que mal des paroles de chansons. Les auteurs-compositeurs des Etats-Unis, Bob Dylan notamment, l’amènent à s’intéresser à la poésie. Il entame sans grande conviction des études d’ingénieur industriel, dont il retiendra surtout le bonheur des heures passées à la bibliothèque universitaire à lire « de façon compulsive ». A la découverte de la poésie « le monde étroit et asphyxiant de l’homme débutant se transforme en un vaste monde de liberté », dit-il.
La poésie « m’a formée en tant que personne. Ma vision du monde et ma poésie se sont construites en même temps », explique-t-il. « Je venais d’un naufrage et j’ai trouvé avec la poésie la façon de sortir de l’eau et de réinventer complètement ma vie ». Outre Gil de Biedma et Juan Gil-Albert, Luis Cernuda, Roberto Juarroz et José Angel Valente le guideront dans cette réinvention de soi.
Il publie ses tout premiers poèmes dans des revues.
Il s’agit pour lui de chercher « une vérité pour sa vie », non de raconter des histoires. « J’étais un gamin de 17 ans qui voulait savoir comment être dans le monde », dit-il.
En 2007 il obtient le Prix Bancaja de création pour sa plaquette El azul silencio del hombre (Le silence bleu de l’homme). A 25 ans, le recueil Ventanas à ninguna parte (Fenêtres sur nulle part) lui vaudra le Prix de jeune poésie RNE, décerné par la Radio nationale.
En 2008 il passe une année en résidence à la Fondation Antonio Gala, à Cordoue. Sa vie en est totalement transformée. Il ne retournera pas vivre à Castellón. Il abandonnera ses études d’ingénieur pour étudier la philosophie à l’université Complutense de Madrid.
Il publie en 2010 La última distancia (La dernière distance).
En 2014 il fait une incursion dans le théâtre avec Summer Evening, une pièce inspirée d’un tableau du peintre américain Edward Hooper (1882-1967) dont il fait dialoguer les personnages. Elle lui vaut le prestigieux prix Calderón de la Barca, octroyé à une première œuvre théâtrale par le Ministère espagnol de l’éducation et de la culture.
En 2015 parait un nouveau recueil de poésie « Fidelidad de una sombra » (Fidélité d’une ombre) aux Editions Pre-textos.
Son recueil Ventanas a ninguna parte a été publié en italien (Finestre su nessuna parte, Ed. Gattomerlino) en 2015, traduit par Antonio Bux. En France les éditions fondencre ont publié une anthologie de ses poèmes, traduits par Edouard Pons, sous le titre Insinuations sur fond de pluie.
Edouard Pons
Né en 1947 à Madrid, de mère espagnole et de père français, Edouard Pons a grandi et vécu dans les deux langues.
Après une scolarité passée à Madrid, Lisbonne et Tunis, il entreprend des études de Lettres supérieures au lycée Henri IV à Paris, qu’il interrompt pour « s’établir » en usine pendant un an et se confronter ainsi à « la vraie vie ». Il participe au mouvement de mai 1968 avant de reprendre des études à la Sorbonne. Enseignant d’espagnol dans la banlieue parisienne de 1969 à 1972, il veut aller voir ce dont il parle et part pour l’Amérique Latine, qu’il parcourt pendant deux ans, du Mexique au Pérou, à pied, en camion, voire en pirogue, accueilli jusque dans les villages les plus reculés par « des gens qui n’ont rien et qui offrent tout ».
Tantôt enseignant le français, tantôt participant à la récolte du café ou à la construction de maisons en adobe ou encore collaborant avec une troupe de théâtre, il se veut à l’écoute des mondes qu’il traverse.
Embauché comme journaliste à l’Agence France-Presse à Lima en 1974, il sera correspondant et directeur de bureau pendant plus de vingt ans dans plusieurs pays d’Amérique Latine, ainsi qu’en Espagne et au Portugal, écrivant aussi bien en français qu’en espagnol. Au cours de ces années, il exerce également les fonctions de rédacteur-en-chef à Paris et enseigne à l’Institut pratique de journalisme. La retraite lui permet de se consacrer pleinement à l’écriture, à la traduction et à sa passion pour le flamenco.
On lui doit les ouvrages Lisbonne, terre de rencontres publié chez Autrement en 2008 et Porto, poètes et bâtisseurs chez le même éditeur en 2010. Il a publié des traductions de plusieurs poètes espagnols dans des revues et en 2015, une anthologie de poèmes du jeune poète espagnol Javier Vicedo Alós aux éditions fondencre, sous le titre Insinuations sur fond de pluie.