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Jean-Claude Adjemian

mardi 29 octobre 2019, par Roselyne Sibille

Extraits de Cet amour-là

Dans les draps
encore chauds
des sources

Se glisser

Lécher ce presque
Miracle

Retrouver
les Présences

Ombre

Jetée
aux pourquoi

En lutte

Déchirée rescapée

Épousailles
de l’espoir et du doute

Presque rien

Leurs visages
Rien de plus

Chant d’espérance
Baignant les corps

Regards
Dans l’Immense

Vers nos manques

Aller

Pressentir
La griffure

Dire

Le vif

Et croire
En nos plaies révélées

L’on pourrait croire

Au passage de l’oiseau
effleurant le ciel
d’un trait de plumes

Cet élan
aurait pu porter un amour

Rayure
dans l’azur

Avant les corps
Avant la danse

Laisser affleurer
L’inespéré

Laisser faire
Le fragile

Au seuil des peaux

Faillir

Rejoindre le peu
Fouiller les puits
Fonder jusqu’aux vides

Oser la lumière

Et rire
Aux aubes retrouvées


Entretien avec Clara Regy

Tout d’abord, écrivez-vous depuis longtemps et pouvez-vous nous dire si vous avez ce que l’on pourrait nommer des rituels, lieux, moments voire objets qui vous seraient indispensables ?

Si je m’en tiens au verbe ’’écrire’’, je dirais que j’écris depuis longtemps. Le temps de l’adolescence s’y prête, tant il se présente comme un temps des bouleversements, un temps des éprouvés et des tourments. Pour autant, si la nécessité d’écrire s’est imposée à ce moment-là, elle ne reposait pas encore sur le projet d’être lu. Il s’agissait alors pour moi, comme pour bien d’autres jeunes gens certainement, d’explorer la portée du langage et tenter de mettre en mots les soubresauts de l’existence. Ces écrits-là sont restés lettres mortes car destinés à moi-même en quelque sorte. Ils n’ont pas eu d’avenir me semble-t-il ou de terre d’accueil pour le dire autrement. Cependant, ces bouts de papier, ces feuillets, ces pensées en mots, disparus aujourd’hui, m’ont peut-être donné le goût de poursuivre le chemin et d’ouvrir d’autres perspectives inconnues alors.
Le temps de l’adolescence est bien loin... mais écrire demeure un ancrage qui aujourd’hui prend un autre tournant. Ecrire me pousse à chaque fois, à poser le pas sur une terre nouvelle. De ce point de vue, il me faut m’y préparer, m’y rendre disponible, sentir cette présence particulière à la langue et pour la langue. Pour répondre à votre question des rituels ou habitudes, je dirais qu’il s’agirait plutôt d’ouvrir un espace de rencontre avec les intimes de moi-même. C’est souvent sur le papier de mes carnets que les mots prennent place. La finesse et la légèreté du crayon esquissent le premier jet du poème. C’est seulement lorsque des contours prennent forme et que quelque chose me semble lisible, que j’ai recours à mon clavier.

Vous écrivez, mais vous êtes peintre aussi (ou d’abord ?), quels liens tissez-vous entre ces deux « arts » ?

La peinture est venue bien après l’écriture poétique. Elle est venue sans que je m’y attende ou le décide. Par hasard ? Peu importe. Elle est venue et c’est heureux. Elle m’accompagne depuis une dizaine d’années et certaines de mes expositions ont fait se côtoyer poésie et peinture. Plusieurs toiles m’ont ainsi inspiré des poèmes. Ces deux ’’arts’’ comme vous le dites, s’avèrent pour moi indissociables. Zao Woo-Ki dit de la peinture qu’elle est un poème qui prend forme à l’oeil. Si ma poésie tend à mettre en mots ce que je ne sais dire à priori, ou ce que je ne sais pas encore, ma peinture, elle, tente de faire trace et laisser traces de ce qui m’habite. Peinture et poésie se nourrissent l’une l’autre, dans le sens où elles relèvent me semble-t-il, chacune à leur manière d’une forme d’écriture.

Mais alors que mettez-vous dans « ce travail particulier de l’écriture » ainsi que vous le nommez ?

J’y mets ce qui vient, c’est à dire ce que à priori je ne sais pas. Je ne cherche pas à figurer quoique ce soit ou à expliquer tel ou tel ressenti. Qu’il s’agisse de peinture ou de poésie, l’abstraction et la subjectivité prennent une place centrale. Je préfère suggérer, laisser imaginer, et me laisser moi-même surprendre par ce qui advient. J’aime l’écriture-surgissement, ce que Henri Bauchau appelle incendies de mots. En ce sens, le travail de l’écriture se veut risque d’une rencontre dont le voile ne sera jamais tout à fait levé. Ce travail reste ainsi pudique. Il s’efforce d’aller vers l’épuré, l’essentiel. Je suis d’accord avec vous pour dire que c’est un travail particulier. C’est un travail du particulier, du singulier, qui prend peut-être sa source dans l’enfance. Tout ne viendrait-il pas de là ? Ce qui suit ne serait que retour sur des terres refoulées. Une écriture qui humblement travaille à inscrire un je-ne-sais-quoi. Une inscriture ?

Pourquoi aussi ne pas nous entretenir de votre intérêt pour toutes les formes de création, et clore ainsi sur vos « attirances littéraires » ?

En effet, la littérature fait partie de mes centres d’intérêts. Pas un jour sans lire. Le travail d’écriture se nourrit des lectures qui accompagnent notre existence. Nous avons besoin de porter en nous, ce que d’autres ont pu écrire, qu’il s’agisse de la poésie, du roman, du théâtre, de la nouvelle etc. L’écriture des autres ouvre des voie(x). La liste serait longue des auteurs qui me sont chers : Laurent Gaudé, Henry Bauchau, Jeanne Bennameur, Marguerite Duras, Laurent Mauvignier...Jacques Ancet, Bernard Noël, Abldellatif Laâbi, Jean-Louis Giovannoni, Alain Sueid, Vahan Terian, Daniel Varoujan... et d’autres encore. Les auteurs cités ici, me semblent se rejoindre du côté d’une essentialité de l’écriture, d’une intime énigme.

Question subsidiaire (bien sûr) si vous deviez définir ce qu’est la poésie pour vous en 3 mots, quels seraient-ils ?

Je vous propose : Le pays où la langue respire.


BIO-BIBLIOGRAPHIE

Jean-Claude Adjemian, né à Marseille en 1958, exerce depuis très longtemps en institution psychiatrique. Son intérêt pour ceux, qui vivent à la marge et manifestent une certaine singularité d’être au monde, le rend sensible et ouvert à des formes
d’expression originales, hors des normes établies. Ses chemins de traverse l’amènent à explorer une parole qui cherche à se construire et à se dire au plus près d’une vérité intime. C’est en autodidacte qu’il s’aventure à l’expression poétique (écriture) et artistique (peinture, collage).

PUBLICATIONS

Ombre et lumières / Poésies / Editions de la Bastide / 2010
La parole émue, Dialogue sur les processus de création artistique / Edition de la Bastide / 2014
Poèmes : Cela viendra, dans Quatuor poétique, tome 5, Les amis de Thalie / 2016.
Recueil des poètes présélectionnés / Les amis de Thalie / 2016.
Poèmes dans la revue Les amis de Thalie (revue littéraire et picturale) / 2016, 2017, 2018.
Poèmes parus dans le numéro 125 de la revue Friches, Cahiers de Poésie Verte / 2017

(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)


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