Jean Le Boël est né en 1948. Il a un peu bourlingué. C’est sans doute parce qu’il a été, entre autres, moniteur de voile. Il n’a pourtant jamais cessé, depuis l’enfance, de cultiver son potager. Fils d’un Picard et d’une Limousine, il s’est nourri de la diversité des paroles. Pendant longtemps, il a dit celle des autres, à l’atelier, au théâtre ou comme enseignant. En 1994, il s’est vraiment décidé à écrire. Gamin, il dévorait les livres. Ceux-ci, déjà édités ou à naître, prennent leur revanche et le mangent, maintenant qu’animateur d’Écrits du Nord et des éditions Henry, il absorbe sa ration quotidienne de manuscrits et d’envois de confrères. Reste le plaisir, comme au jardin, de voir éclore les talents ; reste, comme à la barre, l’humilité devant les pots au noir d’encrier ou la page blanche dans le vent taquin.
Extraits de Clôtures
il va de la grange à l’étable
et de l’étable au jardin
du jardin à la cave
resserrer les bêtes les abreuver
ou les fleurs
le blé est encore trop tendre sous l’ongle
et le foin menace d’épier
il fend le bois et offre le linge au vent
il faut tirer le cidre et cueillir les œufs
soutenir le prunier réparer les paniers
bien sûr les fils déprisent les anciens bâtiments
bien sûr leurs engins fauchent en une heure
plus qu’un homme n’en peut en cent
il va de la grange à la cave
et de la cave à l’étable
il s’est taillé un bon manche de coudrier
et du houx pour ramoner la cheminée
il curera peut-être la rigole de l’étang
et laissera-t-il ces tuiles qui ont coulé
sur le toit de la remise
bien sûr le monde vient à lui par les nouvelles
bien sûr elles le peinent
il pioche les haricots recueille les semences
il tord un vieux clou pour réparer un loquetil va du jardin à la grange
il songe à la vache malade
et près du puits scellé
il scrute dans le ciel l’immuable défilé des nuages***
il est assis sur le banc
à côté de la porte on ne sait
s’il regarde ou si le paysage
est seulement là obscur devant
ses yeux gris si pâles si doux
si vides
il est posé sur le seuil
et ses pas ne le conduiront plus
ni au champ semé ni au verger
il est offert à la poussière et au vent
il ignore le soleil
il retient son souffle à entendre
mourir en lui des voix qui s’éloignent
Extraits de Le paysage immobile
puisqu’il est dit que
des arbres aimés
aucun ne nous survivra
assezet souillés seront les
sources et les taillisprofanée, l’herbe douce
meurtris, les humbles
et les animauxsur tout cela
en nousnous porterons le fer, le feu
la hache
et l’oublisecs
jusqu’au bas de l’âmepuisqu’il est dit.
*
elle lui parle parce qu’il est mort.
elle lui parle très doucement
avec d’infinies précautions
avec tremblements dans la voix
elle lui parle comme à un être très faible
si fragile
mais vivant
elle lui parle comme la femme à son enfant
elle lui pardonne le silence où il s’obstine
et elle effleure le front glacé sans l’éprouver
pour apprivoiser l’horreur
pour apprendre si peu
dans l’ignorance de cette chose
étrange
terrible
violente
qu’il est devenu
elle lui parle dans le vide qui envahit la vie
Extraits de Là où leur chair s’est usée
vous, les forts, vous les riches
vous qui dominez les pauvres gens
écoutez la voix des petits, comme ils geignent,
à travers les temps
éternellementviolées les filles, volés les humbles,
vous, les repus, vous voudriez la paix
et qu’on vous aime pour vos bontésce passé que vous ignorez, ils le ressassent
ils le grincent, ils le grimacent sous vos yeux
opiniâtrementmême exterminés pères et mères
leur cri toujours renaît
il pourrit votre vie
vos enfants parfois le chantentet jusqu’au fond des siècles
votre force, votre argent, vos armes,
l’éclat de vos armures, la langueur de vos femmes
ne vous boucheront pas les oreillesah, comme votre haine est juste
**
leur colère est plantée dans l’hiver
comme une dent
douleur en la mâchoire
cri qu’on étouffe sous les haillons
et qu’on remâche
et qui enfle les cœurs
leur colère se souvient du soleil
et des sourires
du partage et du souffle dans les corps à l’ouvrage
elle est grain que n’effraie pas la mort
elle sera légiondéjà elle est de celles dont naissent les dragons
longue patience de la terre
sœur de l’hiver à la dent dure
Extraits de Un homme
terre gorgée de chair
saturée de morts
hommes et chevaux mêléschamboulée, chavirée
glaise grasse
chargée dans des sacs
charriée à dos meurtrislasse, saignée, labourée
suintante de sanie
assoiffée, suppliciée
saoule de guerre
salieterre contre ta joue
ses larmes et sa sueur
aux tiennes tissées**
ceux qui sont restés
loin du front
s’ils savaientimpatients de menus ennuis
ils trouvent la guerre longue
pauvres les spectacles
chère la vies’ils savaient ce qu’il en reste
ce qu’il en est
ce qui finit
dans ces trous
dans la boue
dans les gourbis
comme vous en avez plein les yeux
plein la têteet à quel prix votre vie
Romans, nouvelles :
- Les clefs de la mère Legris (éd. P.P.P. 1997)
- La saison des tempêtes (éd. P.P.P. 1998)
- Margats de Saint-Pierre (éd. Écrit(s) du Nord 2000)(réédition Henry 2007)
- Paroles perdues (éd. Henry 2002)
- Les matineux (éd. Henry 2003)
- Concordances passées (éd. Henry 2004)
- Manzer (éd. Henry 2005)
- Amoureuse mémoire (éd.Henry 2007)
- Fragments d’une Autobiographie fictive (éd. Henry 2009)
Chroniques
- Le sourire innombrable des mots (éd. Henry 2006)
- La Ramasseuse d’épaves (collection Ekphrasis, éd. Invenit 2010)
Poésie :
- Tessons (éd. Écrit(s) du Nord 1999)
- Un homme (éd. EDN 2001, rééd. Henry/Ecrits des Forges 2005)
- à l’ombre du ciel (éd. Henry 2002) avec le peintre Jacques Dourlent
- En ville (éd. Henry 2004, gouaches et encres d’Isabelle Clement)
- Quand s’ouvre l’horizon (éd. Henry 2006), avec le peintre Jacques Dourlent
- Le Paysage immobile (éd. Henry 2009) (Bourse Poncetton de poésie 2009 de la Société des Gens de Lettres de France)
- lumière native (éd. Henry 2009) avec le peintre Jacques Dourlent
- Dire encore, livre d’artiste avec Isabelle Clement (éd. Le Cénacle de Douayeul 2010)
- Là où leur chair s’est usée (éd. Henry 2012), couverture et vignettes d’Isabelle Clement
- Clôtures, couverture d’Isabelle Clement (éd. Henry 2014)
Le numéro 45 de Chiendents : Jean Le Boël ou la parole fraternelle lui est consacré, avec des contributions d’Arlette Chaumorcel, de Judith Chavanne, de Pierre Dhainaut et de Lionel Ray (éd. du Petit Véhicule 2014)
Ouvrages collectifs :
- Sur les chemins ouverts (Maison de la Poésie du Nord et du Pas-de-Calais 2000)
- Porteurs de Printemps (Maison de la Poésie du Nord et du Pas-de-Calais 2001)
- Bouteilles à la terre (Maison de la Poésie du Nord et du Pas-de-Calais 2004)
- Anthologie franco italienne Gênes 2004 (Le foudulire 2004)
- Chants de pierre - Cantos de piedra (Alliance Française au Mexique 2005)
- Sur les pas des écrivains Balade en Pas-de-Calais (Éditions Alexandrines 2006)
- Passerelles poétiques (éditions Corps Puce, 2011)
- Les Poètes en Val d’hiver (éditions Corps Puce,2011)
- Liberté de crier, liberté de créer, anthologie réunie par Françoise Coulmin pour le P.E.N. Club français, avec le soutien de la SOFIA (éditions Henry 2014)
Ouvrages pour la jeunesse (collection Scientifictions, éditions Henry) :
- Louise et Gabriel se font un sang d’encre avec Laetitia Wallois (2008)
- Louise et Gabriel s’y collent avec Sylvain Boulonnais (2008)
- Louise et Gabriel ne veulent pas se casser la tête avec Mildred Gressier (2008)
Divers :
- Secrétaire du Prix des Trouvères
- Animateur d’ateliers d’écriture dans le cadre de l’Education nationale et celui de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, couronnés par la publication d’ouvrages Regards croisés, Instants donnés, ainsi que pour Réseau Emploi Solidarité
- Fondateur et directeur de publication de la revue Écrit(s) du Nord
- Sociétaire de la Société des Gens de Lettres, membre de la SOFIA, du P.E.N. Club et de la Maison des écrivains
- Vice-président de la Maison de la Poésie du Nord/ Pas-de-Calais
- Membre du Conseil d’Administration de l’Association des éditeurs du Nord et du Pas-de-Calais