Jeanine Salesse est née en 1940 à Paris. Dès son enfance, elle a accompagné ses parents dans les forêts d’Île de France et dans les montagnes - Alpes, Pyrénées, Jura. Elle a été institutrice. C’est à l’école normale qu’elle a pris conscience de son amour pour la poésie.
Elle vit dans le Val de Marne.
Elle a trois enfants et deux petits-fils. Elle a voyagé dans plusieurs pays. Elle a toujours du plaisir à faire de la randonnée pendant plusieurs jours, généralement en solitaire. Elle aime aussi flâner dans les villes où elle apprécie le spectacle des rues, le cinéma, les expositions d’arts plastiques et de photographies (son père photographe a été reconnu tardivement).
L’édition de son premier livre lui a été offerte par Louis Dubost, éditeur du Dé bleu. Dans ses recueils, la nature est présente, ainsi que la marche en montagne : Le pont de neige aux éditions Le dé bleu ; Paysage à la buse aux éditions La Bartavelle ; Un mulet aux sabots de cuir aux éditions Tarabuste ; la présence de l’art : Une petite fille d’Alexandrie également chez Tarabuste, En ce mai lointain chez Jacques Brémond. Elle évoque, dans plusieurs livres, des proches, des parents aimés, quelquefois disparus : La pierre de bornage aux éditions de L’Arbre ; Le brûlé des choses chez Tarabuste ; Pluvieux avec éclaircies et Laisse-moi dormir, chez Alain Benoît ; Le pain de pierre chez Jacques Brémond ; La rose de carême à La Part Commune.
Un livre d’artiste La fleur... je l’approchai a été conçu par l’artiste Sarah Wiame (Editions Céphéides). Des poèmes sont publiés dans des revues de poésie (Décharge, Concerto pour marées et silence, Poésie sur Seine, Coup de soleil, Poésie/première, Les Hommes sans Épaules, Interventions à haute voix...) et en anthologies.
Elle participe activement à l’Association Les amis de Louis Guillaume qui décerne chaque année le prix du poème en prose. Elle est également membre du jury du prix Aliénor. Elle a participé à des lectures dans le cadre du Printemps des poètes, notamment à Pertuis dans le Vaucluse.
Extraits de Journal de montagne, Tensing
St Paul sur Ubaye - août 1991
Comme une chanson sauvage dans la prairie battue par
la tourmente, mon esprit retourne la terre à la recherche
des neiges très anciennes, culbute le ciel, l’envoie s’affaler
cul par-dessus l’été.Une chanson arrachée de la gorge se heurte désespérément
aux parois, léchant les épines et les rochers. Toujours
en quête de l’amour. Un petit air en perte qui renaît
dans l’hécatombe des instants presque heureux. A
hauteur de graines.*
La marche ? Une façon visible d’affirmer la continuité
de la vie. Millions de pas sur millions de mètres. Le
temps envoie par-dessus l’épaule les traces qui se diluent
sans bruit, sans fin dans l’oubli et les évocations de plus
en plus fragiles. Jusqu’à l’arrêt du cœur et le pas suspendu,
le dernier.On souhaite voir notre vie se poursuivre dans un pas
plus jeune, ou une enjambée d’ami/e dans des lieux
aimés, lesquels s’effaceront aussi sous l’herbe. Mais avant,
graineront les réminiscences et les greffons nouveaux
ajoutés par l’imagination. La voilà notre balise !
Extraits de L’épaule du paysage, Tarabuste
Puissent les chevaux galoper longtemps
avec ce rire
qui se souvient de toutNous écoutons nos ventricules jouer
à quatre mains
Galoper
c’est hennir dans la prairie
de mille sabotsSur nos visages
éclate le corps radieux du poème
comme l’hellébore fait feu
du froid de l’hiver*
La bise arrache le gui le roule
dans la neige
Le soleil disparaît
sous la nacre rosée d’un quelque chose
jamais venu à maturitéÀ l’ouest un rideau de scène
mime massacres et charpies
ou simplement
le baiser de velours
qui accompagnait le sommeilLes branches d’une mince futaie
clôturent l’inaccessible
Des hameaux s’enfoncent
pommes pourries
pensées sans issues*
À l’hiver la fleur
donne en blancs pétales
les sourires
qui la plantèrentEn été
elle palpite des feuilles
sans que s’y posent les abeillesNous avons déserté
la sève poursuit son chemin
Extraits de Une petite fille d’Alexandrie, Tarabuste
Enfant aux sables dormant
on enferme
des roses avec toi
dans la ville aux mille alvéoles
et l’odeur des foins
sur les couleurs qui s’en vontLa petite fille en terre cuite
ne lâche pas
la couronne des fêtes
ni son rêveIl est loin
le champ de lin bleu*
Visage enfoui
dans l’écharpe maternelleLa terre tricote
sillons filets d’eau cailloutis
rapproche blés en herbes
bois et pâtures
recycle nos chagrinsPerdue son odeur
Et plus jamais
ma tête sur ses genouxLe chemin creuse
plus loin
que les pas en allés*
Tout près d’elle
on a posé sur le lit
son arrière petite-fille
quatre jours
avant que s’en aillent
son beau visage et ses os vieillisDernier pont
le sourire puéril
retend le sienC’était en mai le joli mai
De ses gants fleuris
l’aïeule s’échappait
Extraits de En ce mai lointain, éditions Jacques Brémond
Les malheurs du monde prenaient leurs quartiers en toi.
Mais comme on bouscule la peur,
tu enjambais les barrières, démontais, redressais la vie de guingois.Plantas cette empoignade de signes contraires qui l’ont emporté sur le renoncement.
Tu la nommas effigie.
*
Robustes os, vous voilà soumis.
Les sculptures se penchent : rendront-elles papier mâché, bois et fers.
Qu’il se dresse enfin.Pas sa chair vivante.
Continue entre vous la palabre défaite, inaudible.Elles le tiennent.
debout dans l’atelier tremblant du regard.
Extraits de Le pont de neige, Le dé bleu
Un peu de toi
dans mes gestes
qui resserrent l’anorak.
Un peu de toi
recueilli dans la brumeJe vais pas à pas
vers la pierre lointaine de la rencontre,
dans le mouvement d’une impatience
gavée de patience.
Est-ce renoncer à l’apaisement ?Mais la brume, crois-tu qu’en son cocon
j’oublie que tu n’y es pas ?
Mes ailes,
sans fin je les déplie. Écoute !*
Quand je n’ai plus tes mots
il m’en faut tirer de quelque réserve.
Si ce n’est de la mémoire
c’est de ma foulée.
Si ce n’est de la fatigue
c’est de petits riens
rapprochés dans l’attente.Dans l’ombre et l’inusable
ressassement de l’esprit
ils patientent,
clairs obscurs comme ta voix
que je sens bouger dans ma gorge,
le doute à fleur de lèvres.
Extraits de Un mulet aux sabots de cuir, Tarabuste
Marcheur petite sueur de l’ombre
la lune double ta foulée
de longues chausses blanchesTon odeur
signe comme une arrière pensée
une herbe sans nom
la solitudePoint n’est besoin
de brouiller ta piste : le lièvre
n’en voudrait pas
ni le renardDans ta paume enfonce
l’œil pointu de la pierre insiste
c’est là ta boussole*
Renverse le sablier
petit tas rose la montagne
s’épanouit
en caractères chinoisTu connais
ce ventre ce dos caillouteux
ces eaux qui allaitent
pierres aulnes et genêts
Au gué
le fou rire des mûresParfois d’un fabuleux coup de rein
elle s’arc-boute
à l’asphalte bouscule
un fleuve : tout son vif
bu par le cimentEntretiens le désir
sur ton plan de cuisine
Gravis ta montagne
comme le bouleau vole
dans l’air marin
Extraits de A la méridienne, éditions Pétra
Coudées franches de la lumière à travers le midi froid. Luisance des feuilles. Les rares bruits ne tiennent pas, décrochent, détalent. Sur la terrasse, des bûches finissent de sécher semblables à du gibier mort.
D’un coup le soleil chauffe. On se mettrait bras nus s’il n’y avait ce petit vent. Une mésange exulte. Un avion file comme un poisson d’argent. Les voisins déjeunent derrière le mur ; on entend leurs rires.
Les plantes ont soif, boivent la gelée blanche, ont soif encore. Nous ne serons jamais désaltérés. Et pourtant, toujours complices de la vie ordinaire.
11/4/2003
*
Lettera amorosa. Monteverdi sort des fruitiers en fleurs, s’empare des larmes rentrées. Qu’ajouter ? Je n’oserai pas mes paroles malhabiles. Je les enfonce dans le pistil des fleurs, dans les bavardages d’une mésange, un appel de rouge-gorge.
Peut-on être à la hauteur des fastes du mahonia, des corettes du Japon, des tulipes ? Intimidé sur le seuil précieux, l’émoi n’ose se dire. il donne pouvoir aux pétales tombés, aux détails sans importance, ainsi la couleur cuivre sur les feuillages neufs des peupliers, aux fleurs sans nom, les vagabondes. Mais, tout est mieux offert par la musique.
Elle referme sa partition. On accepte alors le drôle de petit chant du chardonneret perché dans le sureau. Bien à propos, les pétales du pommier lâchent.
16/4/2002
Extraits de Verte est la solitude, Tarabuste
Dans les braises
les yeux d’une chatte
nous repèrentSous une griffure sanglante
le jour perd pied
Le cèdre enfle sous le mistral
Ses branches halètent
bronchioles crevées
Rien ne rattrape l’embellie
ni ce qu’on serrait si fortLa chatte n’a pas bougé
*
Les feuilles s’affaissent
saoules de brouillard
et d’inquiétudes
jetées dans la carriole de l’Occupation
Combien d’années
dans l’air soupçonneux de la guerrePlus tard j’ai frémi
par les sentes et les prés
Trop vite les choses s’échappaientL’oiseau tient bon.
Bibliographie
- Les Toits gris, Le dé bleu, 1988
- La Pierre de bornage, Cahiers Froissart, 1989, Prix Luc Bérimont
- La force du lierre, L’Arbre/Jean Le Mauve, 1991
- Les hauts de l’été, L’Arbre à paroles, 1993
- Le pont de neige, Le dé bleu, 1996, Prix du Cercle Aliénor
- Paysage à la buse, La Bartavelle, 1997
- Le brûlé des choses, Tarabuste, 2001
- Le pain de pierre, Jacques Brémond, 2001
- Pluvieux avec éclaircies, Alain Benoît, 2002
- Rien n’arrive, Le pré carré, 2002
- Rien aux amarres, La Porte 2002 et 2004
- La fleur... je l’approchai, éditions Céphéïdes/Sarah Wiame, 2004, livre d’artiste
- Un mulet aux sabots de cuir, Tarabuste, 2006
- La rose de carême, La Part Commune, 2008
- Laisse-moi dormir, Alain Benoît, 2008
- Une petite fille d’Alexandrie, Tarabuste 2009
- En ce mai lointain, ed. Jacques Brémond, 2010
- Crissant cri de mouette, éditions Céphéïdes/Sarah Wiame, 2013, livre d’artiste
- Journal de montagne, Tensing, 2014
- L’épaule du paysage, Tarabuste, 2014
- A la Méridienne, Petra, 2016
- Le sourire est resté sous les arbres, éditions Céphéïdes/Sarah Wiame, Photos Henri Salesse, 2016
- Leurs paroles encore accrochées aux objets, La Porte, 2016
- Verte est la solitude, Tarabuste, 2019