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« Le Bel âge » de Raphaël Laiguillée, lu par Guillaume Decourt

samedi 13 avril 2024, par Cécile Guivarch

Il pleut depuis plusieurs jours. La Seine est en crue. Le « Je suis l’autre » de Nerval ne nous paraît plus très convaincant. On n’est à jamais que soi. En retard dans ses lectures, comme toujours. On pourrait discourir sur la dédicace du deuxième recueil, Le Bel âge, de Raphaël Laiguillée, tant elle se suffit à elle-même et annonce parfaitement ce qui suit : « Au jeune homme qui me ressemble ». On songe au Qui je fus d’Henri Michaux. Aux mots d’humour d’Henry Miller qui commentait lui-même son Tropique du Cancer en le relisant à la fin de sa vie : « Décidément, je promettais ! » Hmm… Ce jeune homme que je fus, me dis-je à l’instant, s’il me croisait aujourd’hui, me trouverait-il sympathique ? No comment, comme on dit dans les hautes sphères de la stratégie américaine.

Le Bel âge est composé de poèmes de jeunesse, écrit entre 1990 et 1994. Il n’est que d’énumérer les titres des cinq parties qui le constituent pour percevoir la fraîche embarcation, voile et drisse tendues vers l’avant : « Grandir/Qui menace ?/Je ne vois pas la femme cachée dans la futaie/Ailleurs si possible/Enfin l’amour (Puis la fin de l’amour).

Les vers libres alternent avec des proses spontanées. On y retrouve un goût pour les tangages fantasmagoriques qui se déployaient déjà dans Reprendre pied (Gallimard, 2021), premier ouvrage de l’auteur. Je dis « déjà », forcé par la chronologie bibliographique alors que ce premier ouvrage est en fait le dernier, dans l’ordre de l’écriture. Son goût aussi pour les rencontres fortuites, chères aux tenants de l’analogie d’un XXe siècle qui nous paraît de plus en plus lointain, tant la plupart de nos contemporains ont fini par porter l’image à la guillotine. Ici, dans le poème « Alors un soir » :

« Si le soleil xylophone sur les vagues
et que le xylophone bleu est le plus joyeux
de tous les xylophones,
pourquoi la vague à l’âme ?
 »

Ce qui séduit dans cet ouvrage, c’est qu’émerge, à sa lecture, une croyance en la parole poétique. Ce « Grand Parler », ainsi que le qualifiait Pierre Clastres. Le poème semble généreusement ouvert à tous les champs du possible. Il en est ainsi de la plus belle pièce de l’ouvrage, « Septuor d’Altatuba », poème picaresque d’une grande densité, dans lequel l’auteur s’invente des vies multiples, embrassant et reliant tous les points de son arc-de-cercle existentiel :

« J’aimerais passer d’un trait sur ma première vie. Que voulez-vous savoir ? Cale-menton. J’étais cale-menton. D’autres sont éléphants de bibliothèque, chacun fait ce qu’il peut. Mon maître écrivait des traités, des notes de page, des prolégomènes, des précautions. Un soir qu’il spéculait sec, sa tête devint pierre et je m’enfuis sur mes doigts d’araignée. […] Aspirant au repos, je deviens un village scandinave. Un village portuaire avec un golfe en V et trois profonds estuaires. Sable, glace, forêts d’émeraudes piquées au bord de plages désertes où les cerfs viennent boire. Ma tranquillité dure jusqu’à l’arrivée des premiers touristes […] »

C’est entendu. Les touristes sont toujours responsables de tout. Mais nous en avons tout de même besoin. Le problème de fond : nous ne voulons pas vivre dans ce monde mais nous voulons vivre. Rappelons donc à nous ce vers de Walt Whitman qui nous sera toujours bienfaisant : « Je suis large, je contiens des multitudes ».

Guillaume Decourt


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