Trash Fragilité, Murielle Compère-Demarcy, texte rehaussé par les illustrations de Didier Mélique aux Editions Le Citron Gare
C’est en fait un recueil en quatre parties qui se cache sous ce titre mystérieusement « oxymorique ».
Serait- ce le grand mystère « de » nous pauvres humains ou plutôt de nous pauvres humaines ?
C’est d’abord celle qui a mal d’avoir trop bu :
Soleils juteux
Un zeste de citron s’empresse / sur la pluie de ce qu’il reste / d’écouler ce mal de tête / nébuleux au / désastre des fenêtres
ou mal d’avoir trop dit ou/et trop écouté :
« Matin mal de gorge /Une parole une parole /que l’on vienne m’apporter / une parole un mot qui délie /Les valves d’une Ville-Météore / le palais glacé /de ma voix/ l’amphore »
« Une parole une parole ».
mal d’avoir ou d’être trop ou trop mal aimé(e) :
« Amour jetable / la nuit / jette encore / son dioxyde. »
Plus loin cette « nécessaire » maladie : « Ton réveil creuse l’abcès / Sur mon corps/ ton corps /s’écrase / sur un rêve / cautérisant ».
L’ensemble poursuit cette chanson douloureuse toujours sous-tendue par l’orgueil de la lucidité, des mots acides qui tordent les images, qui brûlent la peau et nous écorchent aussi !
Des références, des « douceurs » parfois : « Pour que reviennent /marées montantes sur les plaines / marées montantes sur mes peines/ les prairies d’or ».
Et le bouquet final :
« Un meurtre miniature / entre mes mains / Qui oserait le poison / de l’absinthe ? »
Un Degas s’immisce mais à la place du personnage usé, éperdu, au regard vacillant un nouveau personnage celui d’une femme étonnement « debout » !
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Il te croiront mort Les bourgeois sont bêtes, Frédérick Houdaer, Collection Les Feux Follets, Editions Le Feu Sacré
Ce texte a la couleur d’une biographie ou plutôt d’une radiographie du recueil Les amours jaunes de Tristan Corbière. Un exercice léger et passionnant. Tout en suivant la trame d’une vie que l’on connaît déjà : des amours difficiles, un corps difficile, une notoriété difficile, Frédérick Houader emporte son lecteur dans une complicité facile - ce qui n’est pas péjoratif ici - en fustigeant l’éducation nationale, en ridiculisant les « hautes études » par la présence (au régime végétarien) d’une certaine Cindy-Jennifer qui ignore jusqu’à l’existence du poète.
Radiographie donc, la conscience est ainsi pénétrée « Sait- il déjà qu’il est laid ? Qui lui aura dit en premier, avec maladresse ou malignité ? » Ou plus loin : « À 27 ans, beaucoup de choses semblent jouées pour lui » [ ] « Mon amour à moi n’aime pas que l’on aime... » Comme s’il avait pris un mauvais pli.
Et laissant presque de côté les contemporains de Corbière, Frédérick Houdaer convoquera dans une véritable fraternité Mocky, Brassens, Céline et bien d’autres encore pour parvenir à une interprétation plus parlante du cliché (radiographique) : Corbière a sa place à la grande table des poètes. Il faut lire cet essai comme une promenade au gré de laquelle l’auteur sait se montrer discret et présent à la fois, libre, bien loin des bios sentencieuses. Corbière est ainsi débarrassé de ses pustules « charabia romantique », « alliances de mots les plus baroques », « dédain des règles »... On nous invite tout simplement à découvrir « Le crapaud » riche bouillonnant « excentrique » mais meurtri coincé sous la peau que Frédérick Houdaer a osé déchirer.
Les heures grecques, Guillaume Decourt, Editions Lanskine
Guillaume Decourt est un Aède du XXI e siècle.
Nous voici en Grèce, ce texte ou plutôt ce chant s’égraine en 50 couplets ou dizains en décasyllabes. Des contraintes fortes dont il semble se rire lui-même, n’est-il pas dans le « chant » nommé Pays, aux prises avec la vue « Une amie de Vicky nommée Linna/ Me dit que je souffre de cécité ». Homère, sourit. Elle, celle pour qui Guillaume Decourt pose, dispose, tous ces mots, a donc pour prénom Vicky, mais :
« En Grèce on donne des diminutifs / À toutes les personnes car le stock/ De prénoms est réduit -usage ad hoc- Ma Grecque en a qui sont fort éruptifs [...] Donc l’impression d’être un peu polygame / Car j’aime en une seule plusieurs femmes / Que j’ai luxe de ne pas partager/ Quatre en tout et rien que pour mon agame ».
Homère rit et le lecteur aussi de cette amusante et coquette vantardise. Ne sera-t-il pas surnommé « Gourounaki » par celle qu’il aime ce qu’il traduit par « Petit Cochon ».
Ce recueil exprime une vacance légère tout d’abord puis lorsqu’on s’y « enfonce », osons ce choix : il y a des manques : « Et belle comme mon amour debout / Qui saigne toujours chaque mois qui boîte », des terreurs : « Nous sommes passés à côté du pire/ Ce n’était pas le crabe Karkinos/ Mais un enfant qui poussait dans sa trompe » . Et sans doute des tragédies...
Le quotidien des deux amants se compose, se dessine au sein même de ce pays qui souffre aussi. Guillaume Decout y glisse tour à tour des rires et des chagrins et achève ainsi ce chant :
« Et d’où te vient cette envie de pleurer/ En fouillant tes poches pour y trouver/ De quoi donner un peu pour la musique/ Est -ce ces voix d’enfants qui disent comme / On oublie vite la douceur des hommes » . Une épopée humaine gracieuse et envoûtante .
Clara Regy