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Lectures de Clara Regy

jeudi 27 juin 2019, par Cécile Guivarch

Tirage(s) de Tête(s), Béatrice Machet, Cahier du Loup bleu, Les Lieux-Dits éditions. Le loup de Dominique Coenen est « aussi » très beau en quatrième de couverture.

Première partie -ENTRE-

Une écriture « Reptilienne sous limbique…  » pourquoi ne pas emprunter au texte lui-même ce qui pourrait le définir ? Pourquoi pas ? «  il n’y a plus de question à la réponse que vous exigez.  »
Le titre d’abord, est un joli jeu de mots, un petit clin d’œil qui donne le ton à l’ensemble du recueil, un pluriel inattendu ? Non pas vraiment, il y en a des choses dans cette tête-là, des mots, des maux, des images, des mouvements (de la danse, de la transe), « une trajectoire oblique », « un vide en spirale stellaire », des références moquées, bafouées ? Du rire dans le gosier, il y a ! Mais pas seulement !
La tête semble prendre la gouvernance de tout le corps, elle est un monde, elle a ses propres habitants, et soudain « Des envies de dépeupler dans ma tête. » l’auteure semble reprendre la main, ou plutôt la tête, mais qui portera « atlas » ? Délesté de sa majuscule est-il moins lourd, moins fort et la terre est-elle moins lourde, moins folle aussi ?
La terre, le monde deviendraient-ils moins violents :

XII

Mise à prix    chassée la grande ennemie publique
numéro un : profil peau-rouge
                            numéro deux : face
bronzée
            d’ail à tresses ma tête et ses vertus contre les âmes
vendues aux diables

Est-il bien nécessaire d’élucider ce passage ?

Cette première partie se terminera ainsi :

 
 

XVI

Lancine et s’effrite passage au crible de ma tête
jusqu’à mélodie dans mes nids de mémoire
narguerait-elle le temps ?

Dans cette « mythologie » en seize tableaux : une soif qui ne s’étanche pas, mais aussi peut-être l’esquisse d’un apaisement ou du moins son désir…

 

Deuxième partie -HEADQUAKE-

(après la visite à l’atelier de la sculptrice Dominique Assoignon-Coenen)

Si le titre est pour le moins explosif, la mise en forme du texte se montre plus tenue, rappelle-t-elle les blocs que la sculptrice modèle ? La langue plus reposée nous conduit cependant vers le « rabot » et « la lime » outils qui suppriment le superflu de la matière - et de l’humain aussi- ?

Et puis :
                Silence/beaucoup/
sans aucun scrupule/comme un post-it collé
dans la tête/n’oublie pas le deuil dure quatre
ans/ et puis tu remontes à la surface parce que
des bulles. »

Les « bulles » éclabousseront-elles la fin de ce recueil amusé et désabusé, terriblement vivant ?

Entre les « Quatre murs  » et les « quatre ans » du deuil allez découvrir « l’effervescence comme s’il en pleuvait » un texte vif, cadencé, nerveux comme une danse…

caché dévoilé, Valérie Canat de Chizy, coll. POESIE XXI, jacques andré éditeur, préface Cécile Guivarch

caché dévoilé est un chant, aux vers aigus ou tendres, un jeu entre regard et cœur.
Les images se succèdent, la nature fait son œuvre, soigne, guérit l’enfance. Pensées vers le père, la mère, la sœur ? Un fil sur lequel balance ce regard, alourdi de doutes, de manques, mais d’amour aussi.
Valérie Canat de Chizy, n’oublie pas ce qu’elle nomme « différence », mais elle semble ici, dépassée par les gestes, « les peaux sont douces/après l’amour » quelque chose qui ressemblerait au bonheur, troublée cependant par les douleurs du monde, “ Alep ventre ouvert/où grouillent les vers », et puis peut-être aussi le sentiment de cette intolérable impuissance «  sous le sable / les mots se taisent  ».

Et c’est ainsi que le texte se construit, se déchire et reprend :

« le poème monte

une vague
va et vient

il puise à la source

ce qui dort sous la paille
à l’abri des regards

coquille éclatée de l’œuf
l’oisillon crie famine

les petits becs ouverts
de mon ventre
s’abreuvent »

Dans ce recueil, « elle » ose dire et redire, dans des mots gorgés de silence, mais ce silence-là, on l’entend, mieux on l’écoute et puis voilà : « le chat s’étire/sur le dos  ».
« J’ai aimé le poème  » dit-il alors, et nous, lecteurs, combien pouvons-nous le comprendre !

Rumeurs du monde, Sabine Péglion, Editions Sous la Lime, textes dits par l’auteur sur une musique originale de Benjamin Laubier, encre de couverture Sabine Péglion

Difficile de présenter un texte caché dans un CD sous une belle encre aux bleus multiples, difficile oui, de revenir au livret, même s’il est indispensable ! Mais au fond se laisser emporter ne demande pas beaucoup d’efforts…Cette production vaut déjà par le respect mutuel de la « récitante » et du musicien, une infinie complicité entre eux : ce qui nous offre le plaisir de goûter les mots, la voix et la musique en même temps ! Et c’est bien.
Ce recueil fait voyager, gorgé de visages, d’images esquissées sous la plume attentive et finement « captatrice » de Sabine Péglion, gorgé de bruits aussi, -n’oublions pas son titre-et de parfums « exotiques » parfois, osons la comparaison !
Un débordement de sensualité, et même si les images sont parfois douloureuses cela ne leur enlève pas leur force mais les habille encore davantage, d’humanité.
Quelques extraits pour illustrer la page, un paysage lointain, Paris, un port… Le recueil compte 41 textes.

Elle ne sait plus

« Elle ne sait plus si les nuages
ont courbé l’horizon
si les montagnes
ont jailli de la brume
ou si la pierre au ciel
s’est suspendue »

Pont de l’Alma

« Bien au- delà
de la poussière du vin mauvais
il ne crie plus il ne sait plus
vers qui aller […]
Il pousse
à contre cours
sur le chariot des jours
il pousse
devant lui il pousse
un caddy
sa vie

Multiples dans les ports
Les visages blessés

en attente du large
Ces cordes aux liens tissés
qu’il faudra bien couper
Ces barques renversées
et l’exil de leur corps
par la mer rejeté

Des paysages, personnages perdus, le regard ouvert des mots, la tendresse aussi pour l’univers et ses fragiles, et le retour à l’autre, le proche pour se guérir de toute cette tristesse et qui sait dans un rêve, guérir le monde aussi ?

Pose ta main sur mes yeux

Pose ta main sur mes yeux

Les paupières de la nuit
se sont refermées
Avec le fil de nos rêves
tisse à présent
la toile du monde

Qu’en moi Tokyo s’anonyme, Thibault Marthouret, Editions Abordo, préface de Patrick Autréaux, illustration de la couverture : Lisa Gervassi

Si vous voulez lire un guide sur Tokyo passez votre chemin !
Avertissement : « Quand on n’a rien à dire on se tait  » et le ton est -presque donné- !

L’ensemble s’ouvre sur une attention portée au minuscule, une « phalène  », quelques « lombrics » quelques numéros d’équilibre pour « la bulle  » et derrière tout cela, un propos comment dire ? Politique ?
Alors l’humanité se pose « tandis qu’aux quatre coins du globe les hommes appuient/sur les petites veines qui poussent dans le cou des femmes lorsqu’elles s’emportent ».
Derrière cette apparition : les femmes, la femme, on a envie de s’installer de construire une histoire, de la suivre, mais « ces pas ne sont pas tes pas /ne sont pas des pas/ mais du bois percuté » fuite du sens, empire du son ? Cette première partie s’achèvera « entre quatre murs déboîtés » et laissera le texte prendre toute la largeur de la page, mais en cinq strophes inégales et quelques « nous murmurons » qui invitent au silence.

Chat et mouches prennent place, mais c’est « Anatole », « le poisson rouge » qui œuvre à l’écriture d’une parabole : cet Anatole devient « homme » : « Ses nageoires se sont élargies en mains baladeuses, en jambes musclées mais instables ». Non, Thibault Marthouret ne fait pas porter la charge du monde à ses animaux, mais le mot « fable » ne veut rien dire d’autre que parler en inventant (fable vient du latin fabula ; propos, parole), nous éviterons -ou pas-le rapprochement !

Cette virtuosité sur la forme, cette langue inventive, n’interdit pas quelques passages plus lyriques,
au contraire /randonnée périurbaine

« Les broussailles digèrent les débris, les ronces envahissent
toutes les ouvertures, les lichens s’élargissent se touchent,
tissent leur peau de chagrin, la greffe prend sur le béton,
les fissures cicatrisent : on ne distingue plus
où commence l’humain d’où il finit. »

Et le titre du recueil apparaît dans sa dernière partie, deux personnages presque noyés dans l’infini, on quitte le minuscule pour découvrir l’immensité et peut-être l’auteur se retrouve-t-il au plus bas de l’horizon : « Ils sont 13 millions à chercher mon nadir  ».

« barrière- vous ai-je parlé de cette fois où j’ai absorbé tout Tokyo ?  » La ville, une toile jaune, bleue ?

« l’oiseau porte ton nom tandis qu’en moi /Tokyo s’anonyme »

Dans une écriture qui se renouvelle presque sous nos yeux, les mots continuent de garder leur part de mystère, c’est tout l’art de ce texte où le livre devient « un silence de plus »

des nuits au mixer, Marc Tison, éditions La Chienne Edith, Collection Nonosse

On remarque tout d’abord, une très jolie mise en page, texte et images se marient à « merveille  », même si l’usage de ce terme peut ici tenir lieu de provocation !
On retrouve dans ce recueil l’écriture découverte dans « Des abribus pour l’exode » paru au Citron Gare, si le titre semblait se montrer plus explicite, celui-ci ne manque pas de mystère qui passera au mixer ? Le monde ? Nous tous ?

Ouverture sur des thèmes embrassés, l’amour, les corps « Le premier baiser/la peau découverte /le souffle sucré respiré dans la nuit  » le lyrisme saccagé par la vérité du monde, [ penser peut-être à « quand tu aimes il faut partir  »] et c’est le départ, mais pas encore le choix de la solitude « On partira à l’aube/On part toujours à l’aube » l’auteur emprunte aux clichés de l’amour, le microcosme de l’amour, pour mieux faire resurgir les sorcières « déforestation amazonienne », « bûchers populistes », « Porosité des assourdissements fascistes  », « champs de pesticide » et «  notre » honte : « Les gens transis dans les camps de migrants »…

« Le soir s’enfonce dans l’hiver
Un souvenir dans l’odeur de l’air fait qu’on attendait la neige
Elle ne tombera pas sur nos têtes d’enfants […]
Le ciel est tordu
On a tordu le ciel… »

La « Litanie des Petra Lazlo  » fait une incursion directe dans une actualité choquante de 2015, dans ce texte Marc Tison donne un rôle vraiment avoué à la poésie, plus loin il fera aussi un catalogue de « con(s) !
Dans ce recueil se mêlent deux univers, l’intime et l’universel, tricotés avec adresse les deux ouvrages qui n’en font plus qu’un !
Cet ensemble ne pousse pas au désespoir bien que posé « dans le désemparé du monde  » et même si « Tous les matins reviennent ne suffisent pas à consoler des jours qui passent  » le texte se clôt sur
« Pour ne pas oublier d’où viendra la nostalgie » !

Un auteur lucide mais plein d’énergie et surtout de passion(s) !

Clara Regy


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