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Les Haleurs éditions

dimanche 1er décembre 2024, par Cécile Guivarch

Entretien avec David Dielen, par Cécile Guivarch

 
Bonjour David Dielen, vous avez fondé une toute jeune revue de poésie, dont le
premier numéro est paru en mars 2024. Une revue un peu particulière car il
s’agit d’y publier de l’éco-poésie. Parlez-nous donc de la naissance de la revue,
de quelle nécessité est-elle née selon vous ?

Le projet des Haleurs, profondément attaché à la notion de commun, s’est néanmoins d’abord cristallisé lors d’une épreuve intime. En novembre 2022, ma mère est décédée. Je suis entré alors dans une longue période de doutes et d’interrogations au cours de laquelle, chaque matin, je faisais une marche sur le chemin de halage au bord de l’Yonne où je vis, à la frontière avec la Seine-et-Marne. Cet espace de nature, un peu à l’écart des activités et des nuisances humaines, si restreint soit-il, m’a permis progressivement de penser un projet littéraire qui réunirait ma curiosité pour les « choses » de la nature (fleurs et plantes, oiseaux, roches, fossiles et minéraux, eau…) et mon goût pour la poésie.

À cette période, je lisais un certain nombre d’articles au sujet de l’écopoétique et de son développement en France et en Belgique, en particulier à l’université et dans l’édition (autour de précurseurs comme Jean-Claude Pinson, Fabienne Raphoz, Michel Collot, Marielle Macé mais aussi de plus jeunes chercheurs et chercheuses comme Sara Buekens à Gand). Dans le même temps, je me suis replongé dans un essai de Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, ainsi que dans l’œuvre de Philippe Jaccottet, tout en poursuivant ma découverte des poètes d’aujourd’hui.

C’est dans ce contexte de vie et de lectures qu’a émergé au fil des semaines l’esprit, le cadre et l’ambition de ce projet littéraire, attaché à l’« éco-poésie » et aux « éco-poèmes », termes auxquels je tiens beaucoup.

J’ai commencé par créer un site, www.leshaleurs.fr, mis en ligne le 1er avril 2023. J’y publie régulièrement des recensions d’ouvrages (recueils, récits, essais…), mais aussi des entretiens audios. Au regard du peu d’articles consacrés aux poètes aujourd’hui, il m’a paru intéressant d’entendre leur voix, leurs réflexions sur la poésie en général, sur leurs propres textes, ainsi que sur leur rapport à la nature.

Le projet le plus important des Haleurs, devenus au fil des mois Les Haleurs éditions, a été la création d’une revue annuelle d’éco-poésie. Celle-ci a une dimension éminemment collective. Elle implique d’ores et déjà plusieurs dizaines d’autrices et d’auteurs francophones, autant de haleurs et de haleuses s’attelant à leur tâche d’écriture à l’image de ces femmes et ces hommes qui autrefois tiraient en groupe les bateaux pour les faire avancer. C’est là en quelque sorte le symbole de notre parcours commun vers un horizon où l’éco-poésie trouverait sa juste place.

Choisir le modèle éditorial de la revue c’est aller, me semble-t-il, dans le sens de ce que la poésie a toujours encouragé : la rencontre et la mise en association (les Haleurs éditions ont d’ailleurs une base légale associative) d’autrices et d’auteurs qui partagent des valeurs et des envies communes en matière de création littéraire et, au-delà peut-être, adhèrent à un projet de promotion et de diffusion de la poésie, à une époque où celle-ci conserve tout de même, malgré les nombreuses publications et évènements qui l’entourent, une certaine confidentialité, voire marginalité.

L’éco-poésie, mais qu’est-ce que c‘est plus largement ? Quels outils pour écrire de l’éco-poésie ?
 
L’éco-poésie est, pour le dire simplement, l’écopoétique appliquée à la poésie. Elle relève à la fois de l’expérience existentielle et de sa traduction dans la langue poétique. Il s’agit pour le poète d’expérimenter de nouveaux modes de rencontre avec la nature, en quête d’une juste place, et de rechercher dans les potentialités de la langue la meilleure manière d’en rendre compte. Cette perspective doit pouvoir encourager un renouvellement de notre « sentiment de la nature » (pour reprendre le titre d’un essai de Michel Collot).

L’éco-poésie n’est cependant pas une perspective figée. Il pourrait sembler à première vue que le numéro de lancement, qui propose en préface un Manifeste de l’éco-poésie, en fixe les contours, les limites, les dimensions, et qu’en un sens, ce manifeste « dirigerait » les poètes dans un sens prédéfini, prendrait la forme d’injonctions à écrire comme ceci, à procéder comme cela… C’est très loin d’en être l’intention !

En réalité, l’éco-poésie est une perspective en construction qui relève du faire (poésïs) plutôt que de l’agir (praxis) ou du discours. Chaque nouveau numéro proposera d’ailleurs une Continuation du Manifeste de l’éco-poésie permettant d’infléchir ou de développer des éléments qui avaient été mis en lumière dans le numéro précédent, et que nourrissent les nombreuses lectures et réflexions individuelles ou collectives qui émergent et se multiplient dans le cours de l’année au moment de rencontres, de lectures, de salons, ou simplement dans le secret d’une salle de travail.

Comment avez-vous orchestré ce premier numéro ? Choisi les textes et les auteurs ?

Chaque numéro est thématique. Si les thèmes qui relèvent de l’éco-poésie et de la nature sont nombreux, nous avons fait le choix de sujets vitaux sans être vivants, d’« éléments » au sens large, comme l’eau, thème retenu cette année pour le premier numéro, ou la pierre, qui fera l’objet du prochain opus.

L’objectif est de constituer un corpus, rassemblant plusieurs dizaines de textes poétiques en vers ou en prose, révélateur (sans être pleinement exhaustif) de la façon dont les poètes contemporains se représentent cet élément naturel à l’aune du défi écologique auquel l’humanité est confrontée et de la place qu’il peut occuper dans l’imaginaire commun. Ce corpus a pour vocation d’« irriguer »  si je puis dire  la réflexion collective sur des thématiques environnementales par ailleurs socialement vives.

Les autrices et les auteurs choisis sont ceux d’abord dont je connais la sensibilité et les textes, pour avoir recommandé l’un de leur recueil dans le courant de l’année précédente, et que j’ai parfois rencontrés lors de salons, de lectures ou d’occasions diverses. Mais une place est laissée également aux envois spontanés, aux textes que je ne m’attends pas à avoir entre les mains et dont nous jugeons qu’ils ont pleinement leur place dans le corpus en cours de préparation. Il faut dans tous les cas que la personne montre de l’intérêt pour la perspective de l’éco-poésie et qu’elle ait à cœur d’y apporter sa contribution.
J’ajouterai que chaque numéro comprend également un grand entretien qui propose à une personnalité pionnière et tutélaire de l’écopoétique et, plus largement, des Humanités environnementales, de guider le lecteur dans la compréhension des grands enjeux de ce type d’approche et des réalisations artistiques et littéraires auxquelles elle donne naissance.
D’autres rubriques viendront augmenter le second numéro. Mais nous ne dirons rien pour le moment !

 

 

S’agissant du premier numéro de la revue, est-ce que vous avez dû surmonter des difficultés particulières afin qu’elle puisse être éditée ? Quelles sont les démarches à effectuer de manière générale ?

C’est un long processus que d’éditer un ouvrage, quel qu’il soit. La première difficulté que nous avons rencontrée, et la plus évidente, était notre méconnaissance au lancement de ce processus des démarches à accomplir à chaque étape de la création du livre. Il a donc fallu prendre conseil auprès de professionnels du livre (des libraires, des éditeurs, des auteurs…). Nous avons retenu quelques leçons essentielles pour toutes celles et tous ceux qui souhaiteraient franchir le pas de l’édition de livres.

Tout d’abord, le statut d’association à but non lucratif a facilité les choses sur le plan administratif et en matière de comptabilité et de commercialisation. Nous n’avons eu finalement qu’à envisager deux démarches impérieuses : la demande d’un numéro ISBN et la déclaration de dépôt légal auprès de la Bibliothèque nationale de France. Ces deux démarches se font par voie électronique et sont moins longues et moins complexes finalement que la création de l’association à l’origine du projet éditorial.

Nous avons dû parallèlement nous former en autodidacte au maquettage et à la supervision de l’impression d’un ouvrage. Le choix de l’imprimeur en particulier ne s’est pas fait sans difficulté, car l’on se représentait mal le coût d’impression et les critères à prendre en compte (et négocier !) pour qu’il soit le plus juste. D’ailleurs, à quelques semaines de la sortie de la revue, nous avons compris que le devis reçu de l’imprimeur d’abord sélectionné était bien trop élevé, et nous avons décidé d’en solliciter un autre. « Patience et longueur de temps / Font plus que force ni que rage », n’est-ce pas ?

Sur votre site internet (https://www.leshaleurs.fr/) on peut lire des recensions d’ouvrages choisis, tous en lien avec la nature. J’aime beaucoup cette idée de donner l’envie aux lecteurs d’aller plus loin en proposant ces ressources. Pourquoi ne pas l’avoir intégré également dans la revue papier ?

C’est une bonne question que vous posez mais en réalité je n’ai jamais songé à intégrer mes recensions à la revue. Je vois spontanément deux raisons à cela.

La première est que le projet des Haleurs dépasse celui de la revue ou, pour le dire autrement, que la revue n’est qu’une partie de notre projet éditorial. Je distingue donc ce qui est publié sur le site, qui a précédé d’ailleurs la création de la revue et qui constitue des ressources numériques nourrissant notre réflexion et celle de ceux qui s’intéressent à l’éco-poésie, de ce qui constitue le traitement d’un thème en particulier au sein de chaque numéro de la revue.
La deuxième est de l’ordre de la périodicité et de la temporalité. Les recensions s’inscrivent dans le temps de mes lectures et du choix répété que je fais de les communiquer. Elles correspondent pour la plupart à une « actualité » littéraire, c’est-à-dire au lancement des ouvrages ou au moment où je prends connaissance de leur existence. J’envisage ce travail en termes de semaines et de mois, rarement au-delà. La revue, quant à elle, s’inscrit dans un temps plus long : celui de sa périodicité (annuelle) et celui qui correspondra à la durée de son existence. Au terme de celle-ci, et je l’espère à mesure de son développement, se fera jour, numéro après numéro, thème après thème, notre tentative de reconstituer en quelque sorte un paysage dans lequel la nature dans sa totalité (l’homme y compris) ferait système.

Quels sont vos projets pour la suite ?

Vous l’avez compris, nous souhaitons d’abord poursuivre le plus longtemps possible l’aventure de la revue  la série des numéros annuels et la publication d’un numéro hors-série tous les deux ans, à l’automne.

Dans les années à venir, nous allons également tenter de développer l’autre versant de notre projet éditorial, c’est-à-dire la publication d’ouvrages poétiques. Après la naissance de la collection « Les Éco-poèmes » en mars 2024, nous souhaitons en faire émerger deux autres : « Les Dialogues » et « Radicalités ». Nous pouvons espérer que la première sera inaugurée au printemps 2025 avec la sortie d’un recueil à deux voix, encore en cours d’écriture, avec la poète Michèle Dujardin autour de la pierre. C’est une très belle expérience poétique dont je parle pour la première fois et qui, j’en suis sûr, donnera naissance à un ouvrage de qualité. Il n’y a qu’à réécouter sur le site des Haleurs l’entretien enregistré le 21 octobre 2023 et la remarquable sincérité des paroles de Michèle Dujardin pour s’en convaincre.

Pour le reste, vous savez que malgré notre enthousiasme à le voir « grandir », notre projet éditorial est tributaire de ses ressources financières, c’est-à-dire d’abord de nos ventes. En tant qu’association souhaitant dépendre le moins possible des financements publics, nous comptons également sur l’adhésion de soutien de tous les sympathisants de l’éco-poésie (auteur-ices, lecteur-ices, éditeur-ices…). Espérons qu’ils soient de plus en plus nombreux ! (Le bulletin d’adhésion est disponible sur le site de l’association, rubrique « Adhésion association »)


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1 Message

  • Les Haleurs éditions UNE BELLE INITIATIVE Le 18 décembre 2024 à 13:33, par Béatrice Pailler

    Bonjour à tous, je suis très heureuse de lire un article sur Les Haleurs éditions. Merci Cécile pour cette présentation et Merci à David Dielen pour cette initiative exceptionnelle et nécessaire . les liens poésie nature sont forts ils doivent s’exprimer encore plus afin de réenchanter nos vies nos imaginaires ......mais également afin de témoigner du vivant . L’émerveillement devant la nature est le premier pas vers le respect et la connaissance.
    Bien amicalement Béatrice Pailler

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