Levée des ombres, texte Françoise Ascal, photographies Philippe Bertin
(Atelier Baie, 2013)
Il est des livres nécessaires. Pour ne pas oublier. Levée des ombres est de ceux-là, qui font sortir de l’ombre, justement, un pan de notre Histoire collective. Qui se souvient qu’il y eut jusqu’à une période récente des bagnes pour enfants en France ? Qui n’a pas oublié qu’un gouvernement récent, en son temps, voulait enfermer des mineurs plus jeunes encore, et même « préconiser le dépistage des troubles de conduites dès le plus jeune âge », comme le rappelle Françoise Ascal. Car c’est l’une des forces de ce texte que de nous renvoyer à notre propre époque.
« Comment avancer dans l’aujourd’hui mouvant, l’aujourd’hui incertain, si nos assises manquent, si notre histoire proche ou lointaine reste muette ? »
Ce travail de mémoire a été possible grâce à une résidence à l’invitation de la Communauté de communes Vallée de l’Hérault, propriétaire de l’ancienne abbaye d’Aniane, en voie de réhabilitation. Un lieu qui devint établissement pénitentiaire pour adultes en 1845, puis colonie pour mineurs délinquants en 1885. Regards croisés de deux artistes qui donnent lieu à un livre de textes en vers et en prose, et de photographies. Philippe Bertin a utilisé les négatifs de documents d’archives, juxtaposées aux prises de vues à l’infrarouge, qui donnent ainsi des diptyques de deux couleurs, vert et violet. On devine quelques scènes rendues plus violentes par ce violet : des crânes rasés, des corps disciplinés, des têtes basses, des classes, des cellules, des lieux de travail avec cette inscription monumentale « école discipline travail ». En contrepoint, les vestiges, souvent taggés par des jeunes d’aujourd’hui, comme une reprise des lieux (« tags innombrables, obsédants / ajoutent à la décrépitude / pas un mur n’y échappe »), des documents épars, des couloirs, des salles vides. Et puis ce qui ne se voit pas.
« Les pierres sont-elles des livres refermés, qu’il faut caresser de la paume pour qu’un alphabet se lève et dévoile un fragment de récit ? ».
Et c’est ce qu’écrit Françoise Ascal dans un texte éclaté d’interrogations, de récits, de descriptions brutes.
« Où porter le regard ? / dans quel ordre ? ».
La poète s’est appuyée sur le travail d’historien et livre une réalité brutale.
« Suffisait-il de rehausser les murs d’enceinte - 7 mètres au lieu de 5 - de construire un chemin de ronde et un quartier disciplinaire pour faire cohabiter 515 colons sur 18 000 mètres carrés insérés à l’intérieur d’un village ? ».
Des faits et de la poésie.
« Enfants gibiers, bagnards à la peau tendre, courez courez la peur au ventre, courez et trébuchez, courez et relevez-vous, courez plus vite, déchirez vos jambes sur les ronces, blessez vos pieds sur les pierres, courez sans espoir droit devant (..) ».
Mais que peut la poésie ? s’interroge Françoise Ascal.
« C’est un chœur qu’il faudrait à la place du texte / un lamento / une cantate // Un chant de multitude ».