Maurice Regnaut - né en 1928 à Soncourt (Haute-Marne), mort en 2006. Enseignant de littérature générale et comparée à l’USHS (Université des sciences humaines de Strasbourg) jusqu’en 1989. Ancien collaborateur de la revue Théâtre populaire et du comité de rédaction de la revue Action poétique.
http://www.maurice-regnaut.com/
Un dossier sur Maurice Regnaut sera prochainement édité dans un numéro de la revue Diérèse.
(photo F. Wittersheim)
Extrait de Flaminal Valaire – JC Lattès – 1980 -Théâtre
Silence autour du feu
Tulline
Papa il m’a dit un jour que le théâtre, c’était à cause du feu qu’ils faisaient le soir, lui et son père.Pierra
Il t’a dit ça ? Oui, le soir, une fois tout fini, une fois tout leur bois empilé, il leur restait à nettoyer le chantier, à rassembler tous les branchages, un grand tas qu’ils brûlaient et qui devenait un bûcher rouge, très haut, avec une flamme encore plus haute.Tulline
Et quel rapport, ça, avec le théâtre ?Pierra
Ce que disait Flaminal, il y a longtemps, au tout début, c’était comme sa légende à lui, il disait que le théâtre, il s’était aperçu, la première fois qu’il l’avait rencontré, qu’il le connaissait depuis toujours, que le théâtre, c’était le feu, le feu qu’ils faisaient, oui, lui et son père, pourquoi ?
Parce que d’abord le feu, comme le théâtre, c’était la chose du soir, ce qu’on faisait la journée finie, et ce qu’on regardait. Parce qu’ensuite, comme au théâtre, ce qui brûlait, dans le feu, c’était le reste du jour, le bois en trop, le bois ou la vie, une fois exploité tout ce qui pouvait l’être, et comme il disait, le travail du jour finissait en flammes.Tulline
C’est pour ça que la hache, il la met au-dessus de la cheminée ?Emilias
C’est vrai que c’est beau, les flammes.Clarie
Le théâtre absolu, c’est le feu.Pierra
Il te l’a dit aussi ? Oui, et son père et lui, ils restaient là, assis sur des souches ou sur un tronc d’arbre, assez loin du feu à cause de la chaleur, ils restaient jusqu’à tant que le feu soit fini, pour relever alors toutes les braises en tas, que le lendemain soir il y en ait encore.Emilias
Il m’a dit à moi qu’il se levait de temps en temps pour aller rejeter les branches sur le brasier, les flammes alors faisaient un bond, la chaleur lui soûlait la tête, il revenait vite s’asseoir.Tulline
Et le soir qui tombait, et tout qui s’apaisait dans l’ombre, et le silence, le feu, avec les étincelles là-haut comme des semailles de lumière en plein ciel, qu’est-ce qu’il peut y avoir au monde de plus beau, c’est ce qu’il m’a dit à moi.Clarie
À moi aussi il me l’a dit.Emilias
À moi aussi.Pierra
À moi aussi.
Extrait de 66-67 - éditions Pierre Jean Oswald – poésie - 1970
7 octobre
« Transformant tout ce qui est mort, tout le
bois, toute la paille du monde, en langue de feu »,Primitif de ces temps sans légende où tout
hommage est dérision,j’entreprends ce poème et je sais qu’au sortir
des motsToujours me suffira, pour vaincre cette peur
de n’être plus rien,Ce doute à crier si j’ai perdu ou délivré un
univers,De prononcer ton nom.
Extrait de Ternaires – éditions Pierre Jean Oswald – 1971 ( quelques ternaires )
Si vert le vert, si noir, si clair, le bleu si rouge,
Tout aujourd’hui,
Si lourde au pied mon ombre.
*
Ô monde immense
Et moi
En mes mots seuls !
*
Retourne-le,
Ton nom,
Il n’y a rien.
*
Il ne viendra jamais
Rien
Que la nuit sur la neige.
*
Entre le hêtre et l’homme,
Ô honte,
Était le tremble.
Extrait de Intermonde – éditions Pierre Jean Oswald - 1974
Qui pour nous doit répondre,
Qui peut
Nous rendre claire
Tant de cruauté nôtre,Sinon nous que voici,
Qui notre erreur
Sur nous,Et qui de nous
Sinon ne trembleQue surgisse au fond de sa gorge,
Comme au plus noir,
La gueule,Et dans sa voix l’aboiement dérisoire ?
*
Comme lui, hache en exil, comme lui, toujours à l’œuvre et sans aveu, un baisemain à la vie avant chaque nourriture, et rire comme lui, rêver plutôt que de haïr, comme lui mourir, cœur à la bouche, oui, toute parole, à travers le néant, toute est du père !
Extrait de RECUIAM – éditions Ipomée – 1985
mais s’il n’y a pas un nuage et pas une
mer pas un mont pas une herbe et
pas un seul oiseau
dis-moi dans ton sommeil toi qui
souris l’instant approche où va surgir du
vide un autre monde
mais rien s’il n’y a rien alors que
nous puissions nommer comment dirons-nous com-
ment qui nous sommes
Extrait de LBLBL – Éditions Dumerchez – 2001
Tout. Mot. Geste. Acte. Est signe – et veut dire quoi – qui à son tour veut dire - à son tour qui – vertige – et dans ce vertige un autre vertige - et dans cet autre un autre encore - un autre à l’infini. Oui. Le sens est folie. Et celle qui m’a sauvé. Moi. Jadis. C’est elle. C’est la vieille. C’est l’éternelle. C’est la fondamentale. Tautologie. Acte. Geste. Mot. Tout. Quel qu’il soit. Tout est ce qu’il est. Chercher un sens. C’est jouer. Quel qu’il puisse être. Un jeu sans fin. Simple ou complexe. Aisé ou douloureux. Gagnant. Perdant. Un jeu. De tout. En tout. Pour tout. Délire. Anécessaire. Oui. Vivre est vivre. Et ne connaît. Qu’une seule double modalité. Présence absence.
Extrait de CHARADE EVENEMENTAIRE - Maurice – Cueco - Éditions Dumerchez – 2004
( Poèmes écrits au regard de faits rapportés dans des journaux en 1976.)
22 – VII – 76
NEUF PILOTES SYRIENS
ont été exécutés après avoir
refusé de bombarder des
camps palestiniens au Liban.
Mais vous, vous en ce siècle où le survivant est le même
partout, semelles de sang, dos circonflexe,
en ce siècle où le meurtre a force de loi, où la sagesse est
alibi pour rien, où trembler vaut aveu,
oui, vous, de quel jadis étiez-vous donc venus, de quel
jamais peut-être, héroïques anonymes ?
Simple, émerveillé de sa propre et sa pure image, immature
à jamais, beau geste pour lui-même,
ce qu’on dit ainsi du héros, pas un de vous qui ne l’ait su,
seul, ridiculement seul face au tonnerre de l’ordre,
oui, de vous pas un seul qui n’ait agi, ô trop mortels, en
pleine conscience et du monde et de vous et de l’acte.
Extrait de NOUS – Éditions Dumerchez – 2006
toi
soudain
qui me parlesne cherche pas : celui qui parle, ici, c’est toi, oui, toi qui
viens d’ouvrir le livre, et cette parole, elle est la tienne.Comment ça ? Cette parole, elle n’est que la mienne,
et tu n’as fait, toi, que la parler, n’est-ce pas, rien
d’autre ?Elle est la mienne, et pour autant, vois-tu, elle est
aussi la tienne, elle est la nôtre, cette parole, elle est
à toi et moi.Quelqu’un parle ? Il y a l’un qui dit et l’autre qui
écoute et pour l’un et pour l’autre il n’y a qu’une parole
et qu’une même.Une même parole et pourtant tu es toi, et pourtant
je suis moi, une même parole et nous voici, moi et toi,
ici, toi et moi.Ici, c’est vrai, ici non pas pour un dialogue, ici pour
être toi et moi ensemble, ici pour être nous.Être parlant, c’est être nous. La parole ? NOUS est
son poème.
Bibliographie
- La chambre à four, éditions du Seuil, 1958
- 66-67, Ed. P.-J. Oswald, 1970
- Autojournal, Ed. P.-J. Oswald, 1970
- Ternaires, Ed. P.-J. Oswald, 1971
- Intermonde, Ed. P.-J. Oswald, 1974
- Pacifique Chili, Ed. P.-J. Oswald, 1974
- Sur, Ed. P.-J. Oswald, 1975
- Flaminal Valaire, Ed. J.-C. Lattès, 1980
- Recuiam, Ed. Ipomée, 1985
- LBLBL, Ed. Dumerchez, 2001
- Charade Événementaire, Ed. Dumerchez, 2004
- Nous, Ed. Dumerchez, 2006
Page établie avec la complicité d’Hervé Martin