Michel Baglin a vu le jour en 1950, à Nogent sur Marne, pas bien loin des guinguettes et il habite aujourd’hui Toulouse, en bord de Garonne. On en déduit qu’il aime l’eau, ce qui ne l’empêche nullement de goûter le vin !
Durant et après ses études abandonnées après l’obtention de la maîtrise de Lettres Modernes, il a exercé de nombreux « petits boulots » pendant plusieurs années – en usine, dans les gravières, les trains, la restauration, les supermarchés, la représentation, etc. – qui lui ont fourni la matière de nombre de ses nouvelles. Il a fini par devenir journaliste dans la presse écrite, profession qu’il a exercée presque 35 ans (une couverture pour masquer des activités poétiques répréhensibles).
Dans le même temps, il a commis quelque 30 méfaits (restés impunis jusqu’à ce jour) – dont trois romans « noirs », trois essais, quatre recueils de nouvelles, un récit et de nombreux recueils poétiques. Chambelland a publié son premier livre en 1974. Il a obtenu en 1988, pour Les Mains nues (l’Age d’Homme éd.), le prix Max-Pol Fouchet, dont il a été membre du jury international pendant près de 20 ans.
Parallèlement à l’écriture de ses livres, il a toujours eu une activité de critique, notamment à La Dépêche du Midi, où il a tenu une rubrique régulière durant plus de 18 ans. Mais aussi pour les revues Autre Sud, Brèves, Europe, etc. ou encore Poésie 1.
Il aime la randonnée comme le vagabondage dans les villes, et s’efforce à ce que la vie et l’écriture soient le moins possible dissociées. Parmi ses thèmes récurrents, le voyage, l’amour du réel malgré la difficulté à l’habiter et à être présent au monde, la recherche de l’échange avec autrui par le langage poétique, les petits bonheurs qui font la nique à la déréliction, comme « l’éclair d’un sourire dans une file d’attente ».
Ses activités suspectes l’ont aussi conduit à fonder une revue, Texture (1979-1989) devenue un site de critiques, http://revue-texture.fr/ . Il fréquente divers cercles de gens peu recommandables, genre jurys de prix littéraires (Max-Pol Fouchet, Prométhée, Mallarmé, etc.), équipes d’animation (Festival de Sète). On peut le croiser, caché derrière sa barbe, en divers salons et diverses villes de France, mais il ne semble pas que ce déploiement d’activités lui ait permis de faire fortune…
Extrait de Un présent qui s’absente éd. Bruno Doucey, 2013
Frères de Terre
Je n’ai pas de frères de race,
j’ai des frères de condition,
des frères de fortune et d’infortune,
de même fragilité, de même trouble
et pareillement promis à la poussière
et pareillement entêtés à servir
si possible à quelque chose,
à quelqu’un, même d’inconnu,
à quelque frère de même portée,
de même siècle, ou d’avenir….Je n’ai pas de frères de race,
ni de religion, ni de communauté,
pas de frères de couleur,
pas de frères de guerre ou de combat,
je n’ai que des frères de Terre
secoués dans la galère
des espoirs et désespoirs
des mortels embarqués,
des frères de rêves partagés
et de peurs trop communes.Je n’ai pas de frères de race,
j’ai des frères de condition,
bien différents et très semblables,
d’ailleurs terriblement interchangeables
dans l’égoïsme
ou dans la compassion…
Des frères tout pétris de l’envie
de partager leur solitude avec le pain
et parfois le bonheur insigne
d’apprendre ensemble à dire non…Je n’ai pas de frères de race,
mais des frères dans le refus
de n’être qu’un passant,
des frères par l’art et par le chant,
et l’énergie déployée chaque jour
à tenir tête au néant.
Des frères à travers les âges,
la géographie et les frontières,
– et qui sait même, au-delà de l’espèce,
peut-être un frère en tout vivant…
Extrait de Un présent qui s’absente éd. Bruno Doucey, 2013
Le paysage
A Jacques IbanèsParfois tu te demandes : qu’est-ce donc qu’être là ?
Porter sur ses épaules tout ce poids
et soi-même peser si peu,
sans pouvoir jamais se sentir léger ?
Qu’est-ce donc qu’être au monde ?
Avoir un jour reçu l’air dans ses poumons,
avoir goûté le lait et la tiédeur sous l’aile
pour finir asphyxié de solitude dans un fond de ville ?
Ah ! s’il suffisait de crever les murs pour gagner le dehors !
S’il pouvait suffire de pousser les portes
pour retrouver le goût du pain, la lumière en partage !
Mais passé la barrière, tous les chemins te perdent
et tu marches avec ce caillou dans la chaussure
qui reste ton plus fidèle compagnon !
A quoi bon se jeter dans la rue, sur le sentier,
si la seule patrie est l’enfance, demandes-tu encore,
et si chaque jour nous en exile un peu plus ?
Pourquoi chercher l’obstacle, à quoi bon le détour,
risquer la pierre qui roule sous le pied,
ou sur le trottoir la merde des chiens ?Qu’opposer aux aigreurs du sédentaire ?
Que peut-on rétorquer à qui ne voit pourquoi
subir le gel ou la sueur et s’offrir la poussière
quand il n’est pas même un but au chemin ?
Le temps a fait des flaques et a laissé ses boues :
des jambes fatiguées, de petites faims inassouvies,
de l’amour rabougri dans un cœur qui fermente.
Pourtant, si la réponse t’arrive
ce sera sur la crête d’un nuage,
en levant le nez sur l’horizon que la montagne dentèle,
dans le vent qui forcit où tu deviens étrave,
la rafale de lumière océane
qui sans crier gare mord le cœur.
Si la réponse existe,
elle prendra la forme d’une question :
peut-on rester là, spectateur de la vie avilie,
assis, en témoin chagriné ?Va donc, plutôt ! Et que bien peu t’importe
le sens où l’on enchaîne les pas !
Toujours nous attend quelque part au tournant
un promontoire, un point de vue qui agace
en nous les cicatrices des années perdues.
Et c’est alors, quand le belvédère avoue
que le regard ne peut suffire pour exister,
c’est alors qu’on renoue avec l’envie sourde d’aller,
de se frayer, entre le vide et l’épaisseur,
un passage d’homme dans le pelage du monde,
de descendre à la rive pour reprendre pied.Nous y voilà donc, devant le paysage,
aussi désemparés peut-être face à la beauté
que nous étions innocents à nos premiers émois.
Nous y voilà, éblouis par ce qui nous est offert,
nous demandant : comment entrer ?Oui, sans doute est-ce ainsi qu’on renoue
avec l’envie sourde d’aller :
des appels d’air vous mettent en branle
et c’est la vie qui tressaille, la vie labile,
quand vous sentez soudain qu’il vous incombe
de regagner par l’ivresse ce qui était donné.
Qu’on se remette en route et l’on aura sa part !
Même celui qui croyait n’avoir plus rien à chanter
qu’un requiem pour une fin de planète.
Et même si nul ne saurait dire ce qu’il cherche
par les sentiers à regagner,
qu’il aurait si peu ou si mal tenu.
Oui, sans doute est-ce là être au monde :
le vent saoule et la mer brasille et les oiseaux les sacrent,
alors remonte en vous venu du fond des âges
un désir violent de leur appartenir,
quitte à se fondre, quitte à se perdre,
à lâcher prise, à tout céder,
pour s’agrandir de ce qui vous inonde
et pour enfin descendre dans le paysage.
Extrait de Un présent qui s’absente éd. Bruno Doucey, 2013
L’empan
Même si mes mains sont devenues blanches,
je n’ai pas oublié les ongles en deuil
ni les crevasses que souligne
l’encre indélébile du cambouis.
Je sais des mains calleuses
qui même au repos, la journée faite,
rechignent à s’ouvrir tout à fait,
comme le paysan à se redresser.
Je sais des mains adroites devenant gauches
une fois l’outil posé ;
des mains de femmes
rongées par les acides de l’usine
et d’autres à la peau flétrie
par les lessives et l’engelure.
Je sais des mains outragées,
mains de maçon brûlées de chaux,
écorchées aux pierres,
criblées d’échardes,
ou les moignons des doigts offerts
à la toupie des menuisiers.
Et je revois le poing rageur
du vieil Espagnol de l’exil
qui soudain posait la gouge pour désigner
de son index amputé un horizon perdu
là bas, au bout des larmes et des fusils.
Alors que les miennes sont devenues blanches,
Est-ce donc misérabilisme que d’évoquer
la mémoire des mains ouvrières,
leur intelligence, leur savoir faire,
leur fierté et le tribut qu’elles paient ?
J’en sais de causeuses qui par pudeur,
se tordent pour mieux se taire,
qu’un tremblement parfois trahit.
J’en sais au bord de l’émotion qui se retiennent,
esquissent à leur insu
le mime du trouble ou de l’envol,
mais qui replient leurs ailes trop lyriques,
mais qui retombent sur des genoux mutiques,
vaincues par on ne sait quelle obligation de réserve,
quelle modestie.
J’en sais surtout qui par poignées renouent
les fils des vieilles solidarités,
des mains rebelles et transgressives
quand elles sortent de leur rôle,
quand elles prennent et tiennent et donnent la parole,
et qu’elles font signes.
Oui, j’en connais qui cherchent,
même dans le vide, même à tâtons,
paumes ouvertes,
une forme à l’avenir.
Si nul ne sait ce qu’elles façonneront,
nul ne doute qu’elles sont l’empan
de l’homme debout,
ni qu’elles donnent la mesure
de l’être industrieux
conscient de tenir, avec sa liberté,
entre le pouce et l’index,
le cousu main de son destin.
Extraits de L’Alcool des vents Le Cherche Midi, rééd. Rhubarbe
Rendre grâce (extraits)
Je rends grâce à l’enfance qui n’en finit pas d’attendre son heure et que nous aurons tous ou presque trahie.
A celle que nous n’aurons pas même vue courber l’échine avec les années
et qui n’aura pourtant jamais cessé de dessiner en nous des nids d’îles, des voiles faseyantes, des fortunes de mer.
A celle qui désespérant de nos croisières d’adultes a allumé ses feux de naufrageurs.*
Aux insurgés de 14 qu’on avait osé porter au front en corbillard,
aux fusillés pour l’exemple décimés dans la fleur de leur humanité.
A tous ceux-là qu’on exécute avant qu’ils aient raison
– morts misérables, humiliés sans témoin, torturés sans même avoir eu le moindre secret à défendre –
je rends grâce au nom de la fraternité qu’on leur a refusée
d’imposer toujours leurs pauvres ombres aux revers de nos médailles.*
Je rends grâce à des inconnus, des disparus, des anonymes.
Mes héros clandestins pour un mot, un geste, la larme à l’œil qui ne rachète rien sans doute
mais fait les lendemains moins froids.
A celui qu’on vit dans l’assemblée nazie rester les bras croisés quand les autres saluaient.
Au maire qui n’inscrivit que son nom sur la liste des otages à fusiller.
A la vieille qui toujours tend du pain aux prisonniers malgré les soldats et leurs crosses sur ses côtes.
Aux pacifistes en temps de guerre même s’ils se trompaient.
A tous ceux qui un jour se sont risqués en découvrant qu’une vie, fût-elle la leur,
fussent-ils naïfs,
n’est pas seulement une histoire privée.*
Je rends grâce en somme à des hommes de craie.
L’averse les efface. Mais qu’ils aient malmené nos drapeaux, même en berne,
saboté nos trains de survie, et je les remercie.
Leurs refus auront peut-être permis d’y voir plus clair, agrandi le chant de quelques mots.
Ils n’auront écrit dans l’histoire aucune page, à peine laissé quelques graffiti,
mais quand même cherché le plus grand langage.*
Je rends grâce à qui se cabre,
certain pourtant que le cimetière sauvage de l’humus le réconciliera un jour avec la terre.
Aux bêtes que nous sommes et dont la vie se sert, aux hommes que nous devenons en grattant la blessure.
A tous ceux qui, sachant qu’il est une même nuit derrière la parenthèse que devant,
n’ont renoncé ni à user de l’outil, de la guitare ou de l’encre, ni à soigner les corps,
ni à planter des arbres.
Extrait de De chair et de mots éd. Le castor Astral 2012
Embrun de femme (extrait)Sois la passante, le reflet sur la cornée de l’homme qui marche.
Sois l’hirondelle dont on ne peut suivre le vol, la seconde qu’on ne peut caresser.
Sois un sillage. L’écume à la poupe des bateaux qui s’éloignent. Rien qu’un parfum, rien qu’un embrun de femme.
Ne laisse pas ton corps se dessiner trop longtemps dans l’œil des convoitises. Ne le pose dans aucun regard de vitrine. Qu’il se joue de ses formes comme un feu dans les yeux du désir. Qu’il danse déjà par le souvenir.
Passe, tu es pour un instant le sourire de la rue. Passe en mirage sur un décor trop connu. Passe en douceur, passe en fraude. Maraude entre les cœurs surpris qu’on les éveille.
Sois la rôdeuse qui devient la merveille. L’entraperçue qu’on n’en finit plus d’évoquer. Toute amante est passante en secret. Fuis pour mieux demeurer. Commence par être un regret.
Extrait de Les mains nues, L’Age d’homme.
C’est, diffuse, la tristesse surgissant pour s’évanouir comme le grelot aigu des passages à niveau. Le soir envahissait les champs et les premiers jardins de banlieue tandis qu’on allumait les veilleuses du compartiment. Se révélait alors, dans la lumière trouble baignant les visages des voyageurs assoupis, la secrète amertume des fins de week-end.
Au passage de Villeneuve-Saint-Georges, mon père rassemblait nos bagages quand je traquais des ombres entre les voies luisantes du triage. Puis l’obscurité s’ajourait à l’approche de Paris.
Bien après notre arrivée sur le quai de la gare, dans le vacarme des chariots, j’acquiesçais longtemps encore à ces appels incrustés dans la buée des yeux : les feux durables entrevus aux vitres d’un train de nuit.
Extrait de Les Chants du regard Privat.éd. Sur une photographie de Jean Dieuzaide
Corvée d’eau
Elles auront patienté des heures, des jours au milieu des cruches et des bonbonnes, assises sur un sac ou sur la pierre, écoutant les fontaines du temps abreuver le silence des places, l’été sous les arbres, quand l’eau promet au Sud sa fraîcheur.
Toujours ici cette besogne fut la leur. Parce qu’elles ne savent plus qu’attendre. Entre les bêtes et les gens, la vieille familiarité de choses rondes comme des outres. Parce qu’elles ne savent plus qu’attendre, avec derrière elles des charrettes, des gosses, d’autres femmes, les manèges laborieux de la poussière et de la pauvreté. Parce qu’elles ne savent plus que se parcheminer sous le fichu noir des paysannes. Et là, comme autour d’un feu, absorbées par le chant de la flamme liquide qui danse sur les jarres, remplir le jour de leur possible éternité.
Extrait de Jour et nuit Le Pavé éd
Imperceptiblement
Le printemps approche,
on le sent, dis-tu, à ces riens
qui font chaque jour le quotidien
imperceptiblement
différent.
Dans l’air cette légèreté
secrète,
sur les visages
une naïveté souveraine.
Avril allume
les arbres nus
et les champs froids.
Quelque chose s’avère
comme une flaque de lumière,
la naissance d’une aile
aux épaules de l’hiver.
(Extraits de Masques nus Chambelland
Eaux vives
Quand nous rejetons les masques,
croyant nous dénuder,
nous ne mettons à jour
qu’un passé informe
et des cibles obscures.Nous sommes torrents violés
à chaque assaut des pierres.Le sentier
Le sentier docile
qu’on amène aux rivières,
qu’on accroche aux taillis,
qu’on attire vers des ruines.
Le sentier curieux
qui chasse dans les creux,
lève un oiseau, enlace les collines,
buissonne, hésite, s’emboise,
qui s’efface et qui renaît.
Le sentier caprice
qu’on perd et qu’on invente
et qui n’arrive jamais.Chat
Insoumis,
tu te suffis.
Mais l’aube d’un regard
dans ta nuit animale
c’est la caresse de l’homme
qui la suscite.
(Extraits de Un sang d’encre, roman. N & B éd. – 2001
Des mots
La banlieue, même black ou basanée, ce n’est pas l’autre, mais une part de nous-mêmes entrée en dissidence. La part mal logée, mal nourrie, si mal irriguée qu’elle se gangrène. Et peut-être la plus intime, parce que la plus désenchantée. Qu’on l’oublie le jour, on la retrouve le soir, à son chevet, pour entrer dans le sommeil.
Qu’est-ce donc qui leur manque, qui nous manque, en secret, dans ces parages du cœur ? Le pain ? Ils en ont assez, quoiqu’on en dise, pour ne pas crever. Du travail ? Sans doute, mais encore, mais après ? L’espoir ? La belle affaire ! Qu’apportons-nous dans la corbeille ? Travail-famille-patrie. Métro-Boulot-Dodo. Des trinités qui ont fait leur temps.
Acceptons que les choses soient à la fois plus simples et moins terre-à-terre et risquons une hypothèse : ce sont peut-être les mots, bêtement, qui leur manquent.
Oui, les mots. Sans eux, on le sait depuis fort longtemps, on marche sur les mains. Ou à quatre pattes. On parle avec les poings, avec les pieds et les barres de fer. Ou avec les seringues.
Sans mots, on est bête, on devient fou parfois. Or les leurs, ceux qu’on leur lègue, ceux dont ils se font parfois une gloire imbécile de se contenter, sont usés, vidés, rabougris. Embourbés dans les fossés du consommable, vérolés par les slogans. Dévalués, contaminés, inutilisables pour se connaître, se reconnaître, s’appeler.
Les mots - j’entends ceux qui nourrissent, éclairent le regard - aident à se poser, à marcher, à soutenir sa respiration et à trouver de petits passages dans le réel. Vers les autres.
Oui, ils ont besoin des mots, les jeunes et les moins jeunes des banlieues. Ceux qu’on n’a pas su leur apprendre. Ceux qu’ils ne savent pas s’inventer. Ceux qui les laissent dehors, parce qu’ils n’ont pas les moyens de les amadouer. Et un mot qui vous refuse, c’est comme une porte qu’on vous claque au nez.
Il leur faut, il nous faut plus de mots, plus de langage, pour plus d’espace et de justesse. Pour chercher, pour définir, pour contester.
Pour construire. Des phrases et puis des ponts. Des chansons. Des paroles. Des vraies : pas marchandes, mais données. Pas annexées, vitrifiées par la publicité, mais vivantes.
Des mots à habiter. Comme des maisons. A lancer. Comme des bateaux, ou des jurons.
A faire frémir. A échanger. A mettre au bout des mains, comme des outils, des caresses ou des lanternes.
Pour faire un peu de lumière dans sa propre obscurité. Un peu de paix. Rassembler les morceaux du puzzle et dessiner enfin quelque chose qui ressemble à une vie, à une ville. Ou bien encore : à une jeunesse qu’on aimerait, plus tard, pouvoir raconter.
Extrait de Approches Inédit
Poète n’est pas un métier !
Dans une réunion organisée il y a quelques années par Attac pour la défense de la culture, nous étions quelques militants à échanger des avis plus ou moins nuancés sur la meilleure façon de promouvoir la littérature. La « vraie », bien sûr – je laisse imaginer les débats autour de sa définition ! – la « fausse » semblant toutefois plus facile à identifier par sa vénalité…
Un jeune poète prit à un moment la parole pour revendiquer un droit à un salaire pour tous ceux qui désiraient consacrer leur temps à l’écriture. On lui parla des bourses existantes, des résidences d’auteur, toutes formules exigeant cependant d’avoir déjà fait ses preuves par une publication. Ce qui le chagrina beaucoup et même, à dire vrai, lui mit les nerfs en pelote. Le futur écrivain à besoin de subsides aujourd’hui ! protestait-il. Et pas dans un avenir que la perspective de son succès et de ses droits d’auteur lui laissait imaginer confortable ! Pour lui mettre « le pied à l’encrier », la société se devait en quelque sorte de rémunérer son désir et ses tâtonnements.
Les uns et les autres eurent beau tenter de tempérer les ardeurs naïves du réformateur en arguant du fait que l’intention ne peut suffire, il n’en démordit pas et voulut qu’on enregistre sa proposition, selon lui audacieuse certes, mais novatrice. Son arrogance m’agaçait et j’ai fini par lui lancer que « poète » n’était pas un métier et que, par bonheur, la poésie ne nourrissait pas encore son homme ! Il fut consterné et d’autres, dans l’assistance, je crois, un peu gênés.
Le poète et chanteur Guy Allix me remet cette anecdote en mémoire en s’en prenant sur son blog au poète qui « s’est fait marchand » et consacre moins sa vie à la poésie qu’à son « immense ego », en jouant le jeu compromettant de la société du spectacle.
Si les aides sous la forme de résidences, de bourses, voire d’ateliers d’écriture, sont utiles, sinon indispensables dans un tel domaine, si les subventions sans lesquelles bien des activités artistiques seraient impossibles sont souhaitables et s’il paraît tout aussi légitime qu’un auteur reçoive une part – fût-elle au final dérisoire – du prix payé par l’acheteur d’un livre, je comprends néanmoins l’agacement de Guy Allix. Et je partage sa conviction que la poésie vaut foncièrement par sa gratuité !
Car s’il est une spécificité de la poésie, c’est d’être ce mode d’utilisation du langage développé par les humains non pour informer, vendre, ou ordonner, mais seulement pour tenter un échange intime d’émotions. Tous les arts reposent sur cet effort de communication non-utilitaire et non-vénielle, et la poésie est un peu leur dénominateur commun : le moment du partage pour le partage. Viennent ensuite la littérature et le commerce…
Michel Baglin a publié
- Lettres d’un athée à un ami croyant, fiction épistolaire (Éditions Henry) 2017
- Eaux troubles, nouvelles (Pétra éd.) 2016
- Entre les lignes, récit (le Bruit des autres éd.) Réédition. 2015
- Dieu se moque des lèche-bottes, Farce théâtrale (le Bruit des autres éd.) 2014
- Le dernier combat, Nouvelle (Ska éd.) 2014 (livre numérique)
- Un présent qui s’absente, poésie (Éditions Bruno Doucey) 2013
- Écumes, Revue Chiendents 42 (Éditions Le Petit véhicule) 2013
- La part du Diable et autres nouvelles noires, nouvelles (le Bruit des autres éd.) 2013
- De chair et de mots, poésie (le Castor Astral éd.) 2012
- La Balade de l’Escargot, roman (Pascal Galodé éd.) 2009
- Chemins d’encre, récits & carnets (Rhubarbe) 2009
- Les Pas contés, carnets de Cerdagne, récit (Rhubarbe) 2007
- Les pages tournées suivi de L’Adolescent chimérique et de L’Etranger, poésie (Fondamente éd.) 2007
- Les Chants du regard, Poèmes sur 40 photographies de Jean Dieuzaide (éd.Privat) 2006
- Lettre de Canfranc, récit (Rhubarbe) 2005
- L’Alcool des vents, poésie (Cherche-Midi 2004. Réédition par Rhubarbe éd. en 2010).
- Entre les lignes, récits (La Table Ronde) 2002. Prix Gourmets de Lettres.
- Un sang d’encre, roman (N&B) 2001
- La Perte du réel, des écrans entre le monde et nous, essai (N&B) 1998
- L’Obscur Vertige des vivants, poésie (Le Dé bleu) 1994
- Des Ombres aux tableaux, nouvelles (SPM) 1994
- Lignes de fuite, roman (Arcantère) 1989.
- Les Mains nues, poésie (L’Age d’homme) 1988. Préface de Jérôme Garcin. Prix Max-Pol Fouchet 1988.
- Ruptures, nouvelles (Texture) 1986
- Quête du poème, poésie (Texture) 1986
- Le Ghetto des squares, nouvelles (Soc et foc) 1985
- Jour et nuit, poésie (Le Pavé) 1985
- Poésie et pesanteur, essai (Atelier du Gué) 1984, réédition augmentée en 1992
- François de Cornière, essai (Atelier du Gué) 1984
- L’Innocence de l’ordre, nouvelles (Atelier du Gué) 1981
- L’Ordinaire, poésie (Traces) 1977
- Masques nus, poésie (Chambelland) 1976
- Déambulatoire, poésie (Chambelland) 1974