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(Photo : Miri Ben-Simhon © Ron Alon)
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Miri Ben-Simhon (1950-1996) est née le 13 janvier 1950 à Marseille, dans un camp de transit, durant la migration de ses parents du Maroc vers l’Israël. Elle a grandi à Jérusalem, dans le quartier populaire de Katamone. Elle a fait des études de littérature hébraïque à l’Université hébraïque de Jérusalem, de théâtre à Beit Tzvi, et elle a commencé à publier à l’âge de vingt-cinq ans, dans des journaux et magazines. Elle mettait en musique et interprétait ses poèmes elle-même. Elle écrivait aussi de la prose. La légende dit que durant la nuit du 24 juin 1996, alors qu’elle marchait sur une route non éclairée près de Jérusalem, vêtue d’une robe noire, un camion l’a renversée, causant sa mort. Sa poésie, de caractère socio-politique, aborde des questions touchant aux relations sociales (de genre, d’ethnicité, de classe et de culture). Elle a également travaillé comme éditrice et traductrice. Elle a publié quatre recueils dont un posthume. Son travail est souvent qualifié de féministe « mizrahi » (« juif-oriental ») et comparé à celui de poètes israéliennes comme Carmela Ben-Ishai, Shelly Elkayam, Haviva Pedaya, Bracha Seri et Vicky Shiran, entre autres. Sa poésie assez peu conventionnelle, plaçant le corps de la femme (et sa sexualité) au centre, s’élève contre les stéréotypes sexistes et familiaux, ainsi que la discrimination sexuelle et le système partiarcal.Fiche bio-bibliographique (en hébreu) : https://library.osu.edu/projects/hebrew-lexicon/01303.php
(Sabine Huynh, juillet 2016)
______________________________(Photo : Miri Ben-Simhon © Megido)
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Les trois poèmes suivants de Miri Ben-Simhon ont été traduits de l’hébreu par Sabine Huynh. Ils proviennent du recueil Méouniénète lo méouniénète (« Intéressée pas intéressée »), publié aux éditions HaKibbutz HaMeuchad (Tel Aviv, 1983).
Sortie ado du ventre
Sortie ado du ventre
où va-t-elle, pas de trace
de ses pas sur le sol qu’elle perdelle demande à donner, oh mal de tête
mais les perroquets entre ses lèvres
le son de sa langue maternelleson milieu naturel
n’est pas son milieu idéal
la force d’attraction change, préfère l’éphémère
ça s’éclaircit à ses yeuxce qu’elle transvase d’un pot à l’autre
espérons ne pas avoir à l’utiliser hors des parois
ses mains sont malhabiles
et pourtant son corps babille
sa languedevant la page blanche elle voile ses parties intimes
à ce qui demande à débouler
on demande de rester« oh c’est si beau », dit sa mère
se baissant pour écouter
et elle ne comprend goutte
essaie encore
elle crée à partir de sa propre image une autre mère
pourquoi elle « veut m’man maintenant » pourquoisortie ado du ventre
au sein de son système nerveux parasympathique
tissé serré dans le cordon albâtre de sa colonne vertébrale
l’électricité conduite dans son ventre et ses cuisses jaillit en jets perçantsle cordon albâtre de sa colonne : les poètes n’y voient rien
les scientifiques le marqueront peut-être de lettres efficaces
thm ou chmc’est plus facile à présent
quand on l’empêche de s’impliquer émotionnellement
quand elle est exemptée de son apparence
quand elle s’assume seule
indifférente et fantasmant
elle voit aussi des routes et des murs
elle regarde avec une expression passive et veineuse, insaisissable
dans le cordage de la vie tissée
noble ombrageant
changeant d’angle
tuée par les fantasmesado impossible ses possibles figés sous terre
ses amours désormais papier glacé
Une adolescente de Katamone
(incision horizontale)Une adolescente à la peau sombre, aux cicatrices d’acné
Elise Alfandari
dans un lieu fait pour d’autres
lave ses vêtements
tel que Dieu l’aurait voulu
puis elle rincera le sol
arrangera les fleurs dans le vaseElle assortit la couleur de sa blouse à celle de sa jupe
fi des cicactrices d’acné sur son visage
elle les recouvre de fond de teint épais
ainsi ne sont-elles plus vraiment visiblesSes droits et réussites ne dépendent pas du tout de son apparence
elle s’attèle à ses devoirs selon l’ordre établi
elle sait parfaitement ce qui est correct et pas correct
de temps en temps elle pique une petite colère, mais à raison
étant donné que tant de gens ne savent pas comment se conduire
c’est dans sa nature
elle ne supporte pas tous ceux qui racontent des bêtises
qui manquent de goût
et qui ont perdu leur propre estimeSa mère est morte d’une crise cardiaque quand elle était petite
et son père était homme à tout faire à l’école religieuse près de chez eux
Elle aime son frère Yaacov
qui a réussi dans la vie
et qui est administrateur au département de gestion logistique de l’université
il est responsable d’employés
qui reçoivent leur salaire de ses mains et le respectentElle est dactylo et elle peut taper 120 mots par minute
le travail est ce qu’elle a de plus précieux au monde
chaque matin à sept heures trente pile on la voit à la gare
(elle a un CDI et même sa retraite est assurée)
pendant son temps libre elle brode des tapisseries
qu’elle a achetées dans la vieille ville un samediAsher l’appelle parfois depuis le garage
mais elle se montre réticente
pour qu’il sache qu’elle est une fille bien
qu’il ne pense pas qu’elle acceptera avant le mariageIl lui arrive d’aller au ciné avec son frère Yaacov
rasé de près et les souliers cirés
et tout le quartier voit qu’elle sort et s’amuse
et sa réputation reste intacteTout le quartier sait qu’Elise est une fille irréprochable
qui dit bonjour et comment vont les enfants
qui sait coudre et rester à la maison
une fille bienLe jour viendra où sa chance tournera
un type bien viendra et elle se mariera
mettra au monde des enfants qui grandiront si Dieu le veut
et qui respecteront leur mère.
Au seuil d’un poème
Je veux écrire maintenant
mais l’angoisse m’en empêche
et je ne puis penser qu’à ça
et cette absence de créativité m’est pénible
la banalité flagrante de ces lignes aussi.
Cela m’amène à une pensée impromptue
la nuit passée j’ai ressenti de la pitié
j’ai pensé au beau corps de mon premier amant
et à toutes les fixations qui me font du bien
qui m’aideront à m’échapper des sentiments réels
refusant pour l’instant d’être saisis par ma pensée
préférant se disperser dans ma vésicule biliaire
mais ma vésicule biliaire – ces mots font partie du jargon de ma grand-mère
qui, si elle me voyait maintenant, me dirait avec un fort accent marocain
« Miriam, tu es d’humeur noire », accent rythmique sur l’avant dernière syllabe, air entendu
toutefois, d’après la répétition du vécu, qui est bien sûr
totalement tissé de joie, de tristesse, d’affronts et d’ « humeur noire »
plutôt que de comprendre la complexité d’associations d’idées flottantes
naissant l’une de l’autre, s’élevant l’une contre l’autre,
s’agitant se divisant
et se cognant comme ivres
au portail d’une institution culturelle dont les résidents contrôlent leurs expressions faciales
et dont la maîtrise de soi est enfermée derrière des portes d’acier
je tente de clarifier pour moi-même
d’autres images pour ma situation
aussi incolores et sans goût que de la bile
qui répondront à des critères internes aspirant à l’exclusivité
qui laisseront de côté ces composantes émotionnelles engorgées de suie
et placeront vraiment mon tourment intime
dans un lieu honorable, au-dessus des bonnes casseroles de ma grand-mère
d’où s’élèvent une odeur de couscous
de la vapeur chaude et des inquiétudes régulières au sujet des intestins familiaux.
Qui me placeront au-dessus des pauses d’honneur que ma grand-mère traite comme des chevaux
je fournirais un exemple de ces pauses temporelles si je pouvais les mettre dans mes poèmes
pourquoi pas, des pauses pour prendre le temps qu’il faut pour montrer au monde ta grande importance,
des pauses qui satisfairaient la curiosité de l’auditeur qui, debout
attend,
libéré de ces désirs tendus vers ce qui est à venir,
le genre de pauses qui amplifient sans prévenir le sens de vos mots
et les transforment en une sorte de denrée coûteuse pour laquelle les gens font la queue
avec une boîte de conserve
espérant en recevoir gratuitement.
Ma grand-mère, elle perçoit les gens, en dehors de tout jargon psychologique moderne,
et la bulle d’air dans son niveau d’eau sensoriel
les lois de la physique avec les rires d’enfants, les bulles de savon qui flottent dans mon enfance
libre de chiffres menaçant
et en quelque sorte complémentaire à la capacité sensorielle de déterminer la précision millimétrique
à l’œil nu.
Mais je suis trop angoissée pour écrire maintenant
je veux de l’oignon et de l’ail maintenant,
j’enroule des tiges fleuries autour de la canne de ma grand-mère
qu’est-ce qu’elle a au salon
qu’est-ce que j’ai dans le rêve.