Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

Accueil > Terre à ciel des poètes > Olivier Apert

Olivier Apert

mardi 14 janvier 2020, par Cécile Guivarch

Olivier Apert – poète, essayiste, dramaturge, librettiste et traducteur.
Né et vit à Paris.
Membre du comité de la revue Po&sie.
Il a été entre autres critique littéraire ; journaliste ; écrit des catalogues d’artistes ; pratiqué de nombreux ateliers d’écriture ; travaillé avec le metteur en scène Nicolas Hocquenghem, les chorégraphes Sylvain Groud et Muriel Piqué ; écrit des paroles pour David Tuil qui musicalise ses lectures ; etc., etc., etc.
Les revues Nunc n°1 et Sarrazine n°15 lui ont consacré un dossier.
On peut consulter les sites de la m-e-l, de remue.net, de poezibao, de sitaudis

Extrait de NOLI EAM TANGERE

1

j’entends l’hirondelle de mer : emma à la niche en plein cintre
de l’ogive mitraillée : elle piaille la pauvresse qui suinte
ses nuits dans le même bar à l’enseigne des fléchettes dont elle
centre l’oeil fou : MADHOUSE, madhouse ricane l’homme sans canine
avant de l’éborgner une pénultième fois : celle du dernier verre.

 
 

j’entends l’hirondelle de mer : la nuit approche & le rouleau de sa vague
happe la chevelure , la chevelure d’emma qui sillonnait la ville :
de jour, le christ-roi s’y essuyait les pieds maculés de goudron : maintenant,
la nuit le goudron se fondent : alors, un à un, il allume
les phares habillant l’écume tandis qu’elle se noie en Ondine.

 
 

j’entends l’hirondelle de mer : son aile comme
                                                                                 son aile comme
d’une chauve-souris le feulement soyeux - c’est à dire osseux :
emma, à pas feutrés, s’approche du lit tendu comme
tendu comme la laisse après le jusant : mais rien
rien que le cadavre d’un âne chû de la falaise, la peau
gonflée d’insectes.

 
 

j’entends l’hirondelle de mer : son hystérie son vol qu’arrête la baie vitrée :
hôtel de la plage, terrasse avec vue sur les flots ? Qu’importe !
emma passe, la poitrine haute hâlée en allée : elle arpente la digue :
qu’un obus fracasse le ciment, qu’importe ! elle arpente la digue :
le cancer de la guerre a épargné le profil de son plus beau sein.

 
 

j’entends l’hirondelle de mer : bec bec bec, bec cousu de remords :
emma mystique, ton fil blanc j’en ficelle la vanité qui émasculait tes
adorateurs : ce bovarysme de la moue, je l’infibule au portail
que tu bénissais chaque dimanche - la mélancolie la superstition
ont encore de beaux jours : c’est pourquoi tu ressuscites sans cesse.

Extrait de INFINISTERRE
(le sentiment atlantique)

BAILE ATHA CLIATHE       LISBOA A NOITE

était-ce fumée était-ce nuage
Rio Tejo le Tage large comme une
mer
où les cargos lisses et gris hurlent une
fois quand
revenu à bout de jambe
danse L’HOMME SEUL AVEC LUI-MEME
s’essoufflant rauque Calçada do Duque
en humant la traîne musculaire de ces
cuisses arquées ouvertes sur le nerf
adducteur bouclé d’ombres
& là au mitan des marches larges comme un
lit
la ville repose dans la paume dans la paume
de la main la ville se couche
Pourtant Maezinha ! tu as disparu peut-être
brûlée noire sous l’incendie des caisses
de bière rua da Atalaia — L’HOMME SEUL AVEC LUI-MEME
une nuit crut à la conception immaculée :

IL Y A(VAIT) collée à son ventre la voix          qui
hache la fumée l’oeillet de soie blanche        qui
tire la chevelure trop près du ventilateur          et
ivre-mort le guitariste moqué du Bairro-Alto

  
 

"- Maezinha ! um copo de vinho...
- Branco ? Tinto ?
- Tinto
- O meu filho !

NON je le jure ! — je n’ai pas engendré ta fadista
je ne l’ai pas connue
je n’ai pas par derrière elle
relevé le blanc de sa robe en lycra
elle est enceinte déjà
sa peau mate appartient à un autre que j’ignore
j’ai soufflé dans son cou
et le chant collé à mon ventre
a surgi naturellement — je le jure !"

S’en retourne L’HOMME SEUL AVEC LUI-MEME happé
à chaque fois par le sentiment feint de l’adieu sous
la lune lubrique que grêle le château des Maures

"-Adeus
-Adeus…"

 
 

où aller ? — ne demande pas le cireur de chaussures angolaises
perché sur le Rossio, mains essuyées plus noires
sur la combinaison du reproche silencieux — de la défaite
mélancolique arrachée aux étincelles sans filtre de cette
cigarette cousue à la chair des lèvres, ruminantes

 
 

                   OU ALLER

Extrait de LAMENT FOR THE LAST POET OF THE CENTURY

ô Portulans ! ô Flagellants !

 

Que nous reste-t-il à partager à mépriser

 

ithyphallique l’adoration du phallus veille se dresse vieille bête couchée au
flanc dans le dos de Venus anadyomène la vierge aux blanches hanches de
poivre étoilées par la sueur & l’usage des points de suspicion : je te
reconnais — toujours hurlant, ô manichéisme, hurlant toujours sans savoir
la raison du cri : Thanatos est plus fort que la mort, Éros plus doué que la
vie —

 
                         « THERE IS NO NIGHT »

 
 

Portulans Flagellants
Que nous reste-t-il à partager à mépriser

 

cette corneille mienne, dans son vol tisse sa toile où boeing et chauve-souris perdent
contrôle : tant d’heures encore avant que les chiens les chiens rentrent leurs crocs au
plus profond de leurs gorges esclaves & que la nuit grille son ultime fusée : une
poudre de cendres en constellation

 
 

cette corneille mienne, dès l’aube croasse et craille comme pour de son bec
broyer la vierge solitude d’après l’amour nous rejetant de ce côté de la couche
où crime et insomnie guettent jusqu’à la nuit, la tardive stoïcienne blottie sous
le duvet de la mouette

 

                         « THERE IS NO NIGHT »

Extrait de poème des états . 2

C’est
        l’homme sous le vent
        l’homme seul avec lui-même sous le vent
sous le vent
        l’homme avec son imperméable héroïque (ou bien
        serait-ce la popeline populaire ?) exactement comme
        lechien-lechat là
        courbés gris sous la pluie de la rue d’Alésia
        quand
        l’hôtel sans étoiles & les « poules » beckettent
        non loin de l’atelier,
        oui

C’est
        L’homme sous le vent pas Atlas non
        Mais Giacometti en homme seul avec lui-même
       - la popeline mastic sur la tête – traversant
       la rue d’Alésia sous la pluie le rire héroïque
       d’un demi-dieu qui ruisselle aux babines
       duchien-duchat là
       entre l’hôtel l’hygiène & l’atelier poussière
       - les coussinets dansant entre les flaques –
       mélancolique et joyeux tandis que
       les épaules se rassemblent se resserrent sous
       le vent soudain métaphore du souffle

 
 

       du souffle primitif qui fait ployer le dos de
       l’homme seul – mélancolique et joyeux quand même –
       exactement comme
       une injonction décrétée (mais par qui et pour combien
       de temps encore ?) supérieure : il faut/tu dois :
       le travail la tâche le faire poïen il faut/tu dois
       les épaules rassemblées resserrées rentrées il faut/tu dois
       l’hôtel l’hygiène sans remord peut-être mais l’atelier
       il faut/tu dois où la culpabilité pèse davantage que le vent
       il faut/tu dois où la culpabilité règne en pluie de poussière
       il faut/tu dois le travail la tâche le faire poïen

       oui

C’est l’homme seul avec lui-même
       Alberto Giacometti par exemple
       qui traverse la rue d’Alésia ou
       toi & toi lechien-lechat courbés gris sous la pluie
       le sourire héroïque infiniment triste aux babines--------------------------

Extrait de CRISEs, vers

CRISEs, une

Mais oui !
              ceci est un poem(e)*
              sans (plus de) foi ni (guère de) loi — oui
              rappelle-toi barbara non
              ne m’en souviens pas, comme du reste
du reste
              LE (CE ?) POEM(E)* M’A TUER

nota bene : n’en parlons plus
                                      puisqu’on n’en parlera pas

— 
* à prononcer niaisement à l’anglo-américaine

 
 

CRISEs, deux

poème, c.a.d. : échec sur toute la ligne de tir de mire de vers

        (i.e. : “ points de charogne en suspension ”, dixit O.A in Le livre du déclin, 1989)

               : victime condamné(e) depuistoujours à l’impuissance

        (i.e. : demeurent quelques chimères atroces réifiées en gargouilles), autant

        s’enjeterunderrièrelacravate&cracheràquinzepas, c.a.d.

Extrait de SI ET SEULEMENT SI

       Pour Pierre Drogi – et ses ombres levées

1. (faux départ)

en séjour-linguistique-scolaire l’Ange B. – certes pas la baigneuse de Brighton
prononce « do you spell » (en lieu de rouler une pelle un patin un palot)
à l’adresse du skinhead rôdeur de la plage de Teignmouth :
IL NE LUI FIT AUCUN MAL

 
 

2.

dans la fente de la valleuse – au volant d’une Triumph TR5
(modèle rouge tiffozzi de 1969/ 2498 cm3 150 HP & overdrive)
décapotant le ciel de Vasterival juste au bord de la falaise
je frôle l’Ange B. – effrayé par l’idée que sa chevelure en écharpe
d’écume vienne soudain s’emmêler aux roues à rayons chromés :
CE N’EST PAS AINSI QUE J’AVAIS PREVU D’EN FINIR

 
 

3.

assis en arrière de l’Ange B. – ses ailes enserrant mes cuisses
j’inspecte d’une main gantée de rose sa chevelure mousseuse :
nul doute que l’Ange B. me laisserait faire : :
SI ET SEULEMENT SI

 
 

4.

route de la mer à Longueil par Ouville-la-Rivière
je cartographie les traces mortes de l’Ange B.
la géographie ça sert à faire l’amour
goudron sable feldspath noirs fossiles de la déception
mais toujours sa silhouette contourée à la craie
comme après l’accident fatal :
LA RESURRECTION DES CORPS N’EST PAS ECRITE*

*(j’entends : LA RESURRECTION DES CORPS RESTE A ECRIRE)


Bibliographie

Poésie

  • Trames du JEu en partitions picturales (avec des dessins de Bertrand Vivin), Æncrages & Co, 1982 (épuisé)
  • Le livre du déclin (avec des lavis de Bernard Noël), Æncrages & Co, 1989
  • Ecrit de la mer (avec des dessins de Bernard Noël, une préface de Michel Deguy), Æncrages & Co, 1991
  • « Femmoiselle, je t’raime », Æncrages & Co, 1993
  • Noli eam tangere, Editions Mihaly, 1996
  • Comme au Commencement, Editions Mihaly, 1999
  • Infinisterre suivi de Crash, Editions Apogée, 2006
  • Upperground, Editions La Rivière échappée, 2011
  • Si et seulement Si, Editions Lanskine, 2018
  • Le point de voir, à paraître

à tirage limité

  • L’ardente patience, onze prosèmes sur des eaux-fortes de Luis Darocha, Editions Voix/Richard Meier, 1990
  • Comme au Commencement, poème, avec des dessins originaux de Henri Bassmadjian, Editions Mydriase, 1992
  • Berliner Städtenwolf, trois poèmes bilingues, avec des dessins originaux de Harald Wolff, Editions Transignum, 2004
  • Crash, un poème, avec trois gravures de Hiroe Katagiri, Editions Transignum, 2004
  • Au milieu du ciel, le partage des eaux, poème et sérigraphie sur rouleau
    de Sabine André et Claude Donnot, Transignum 2005
  • CriseS, exit, poèmes avec des sérigraphies de Cécile Poirson, Editions Transignum, 2007
  • Ivresse blanche & Equatorial stars, poèmes avec des œuvres de Luis Darocha, Editions Laboratoire de la voie lactée, 2007
  • Estampillés (collectif), poème avec une œuvre de Sylvie Pesnel, Editions Transignum, 2008
  • CRISEs, vers & CriseS, exit, Editions La Porte, 2008

Essais

  • Résidence d’automne, un essai de travail sur l’atelier, Editions Le temps des cerises, 1994 (Prix Roger Vailland 1994)
  • L’homme noir blanc de visage, Editions Le temps qu’il fait, 1994
  • Portatif de la provocation (en collaboration avec François Boddaert), Presses Universitaires de Vincennes (PUV), 2000
  • Baudelaire, Etre un grand homme et un saint pour soi-même, Editions Infolio, 2009
  • Gauguin, Le dandy sauvage, Editions Infolio, 2012
  • Eloge de la provocation (en collaboration avec François Boddaert), Editions Obsidiane, 2013
  • Robert de Montesquiou, Souverain des choses transitoires, Editions Obsidiane, 2016

Récit

  • « F », avec des photographies anonymes, Editions Mydriase, 2002 (tirage accompagné d’un C.D.Rom), Editions Hapax, 2006

Opéra

  • Oreste & Oedipe — Livret. Musique de Cornel Taranu. (Création en Roumanie, octobre 2001 ; en France, janvier 2002, en Belgique, 2002 ; Festival Enesco, 2003) Coédition Mihaly/Apostrof, 2000 (Grand Prix National de Musique en Roumanie, 2008)

Théâtre

  • àlavieàlanuit (la descente d’Orphée chez Draculea), Editions L’Harmattan, 2003 (création à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon et au théâtre Jean-Vilar de Vitry sur-Seine en janvier 2003, Théâtre Molière, octobre 2003)
  • *l’horreur-l’extase* (audehorlescombatsaudedanslescraintes), à paraître
  • A la guerre comme A, à paraître

Correspondance (avec Guillaume Decourt)

  • Babillages, Correspondance privée du Dr. Aperstein et du Dr. Decourtsberg, Editions Le Coudrier, 2019

Traductions

  • Karoline von Günderrode, Rouge vif, poésies complètes, Editions de La Différence, collection Orphée, 1992
  • Mina Loy, Le Baedeker lunaire, poésies complètes 1, L’Atelier des Brisants, 2000
  • Mina Loy, Insel ou Portrait de l’artiste en tête de mort, roman, L’Atelier des Brisants, 2001
  • Pier Paolo Pasolini (en collaboration avec Ivan Messac), Je suis vivant, Editions Nous, 2001 ; format poche, 2011
  • Ion Muresan (en collaboration avec Dumitru Tsepeneag), Le mouvement sans cœur de l’image, Editions Belin, 2001
  • Mina Loy, La rose métisse, poésies complètes 2, L’Atelier des Brisants, 2005
  • Mina Loy, Manifeste féministe & Ecrits modernistes, Editions Nous, 2014
  • Women, Anthologie de la poésie féminine américaine du XXe siècle, Editions Le temps des cerises, 2014
  • Mina Loy, poésies complètes, Editions Nous, 2017
  • Blues sur paroles, une anthologie du blues, Editions Le temps des Cerises, 2019

en collectif

  • Oskar Pastior/Volker Braun (traduction collective), Les Cahiers de Royaumont, 1989
  • Onat Kutlar/ Cevat Capan (traduction collective), Les Cahiers de Royaumont-Créaphis, 1996

Page proposée avec la complicité de Cécile Guivarch


Bookmark and Share


Réagir | Commenter

spip 3 inside | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Terre à ciel 2005-2013 | Textes & photos © Tous droits réservés