Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Perrin Langda

mardi 9 janvier 2018, par Cécile Guivarch

Perrin Langda : né en 1983 à Lyon, vit et enseigne le français à Grenoble.

Publications

  • Quelques microsecondes sur Terre, Les Tilleuls du Square / Gros Textes, 2015
  • Documentaire humain, Mgv2>publishing, 2015
  • Perrin Langda & compagnie, Mgv2>publishing (recueil collectif), 2015
  • Glace Belledonne, La Pointe Sarène, 2017
  • L’Aventure de Norbert Witz’n Bong ! , Gros Textes, 2017
  • Maximes de nulle part pour personne, Voix d’encre, 2017
  • Chevalier de la table RUBEN, Droséra, 2018

A écrit dans de nombreuses revues (Métèque, Bacchanales, Microbe, Nouveaux Délits…) et participé au recueil collectif Dehors, éditions Janus, 2016.

Son blog : http://upoesis.wordpress.com

Extraits de Quelques microsecondes sur Terre, Gros Textes / Tilleuls du Square, 2015

Time-lapse

le choc des quarks qui il-
lumine quelque soleil
fixe une planète captant
des gaz qui pleuvent des o-
céans d’où sortent des
poissons sur pattes un arbre
et cet immeuble où elle
vécut quelques secondes

La Terre est bleue comme un citron
tout pourri

après la mort l’esprit
fait pas grand-chose mais les
corps se réunissent tous
sous l’écorce terrestre
pressés comme des citrons
puis moisissent et empestent
l’essence et c’est pour ça
que le ciel est tout bleu

Toboggan de la mort

on sort d’un ventre en glis-
sant sur un toboggan
vers l’école des fiestas
diplôme en poche après
une dure journée on file
à l’hospice pour attendre
une visite des enfants
au caveau familial

Mon grand-père est un cyborg

une barre de fer sur le
fémur un pacemaker
contre le cœur un so-
notone derrière l’oreille
– derrière quoi ? – derrière
l’oreille ! moi à son âge
je serai un cyborg
beaucoup plus performant

Extraits de Documentaire humain, Mgv2datura, 2015

Pur jus de dinosaure

les argentinosaures
grands comme des barres d’immeubles
broutant les cimes bleues
des forêts alentour

sont tombés
comme des feuilles
sur le sol
leurs corps déchus ont fermenté

dans la Terre qui est devenue « bleue
comme une orange » pressée
et c’est ce jus de dinosaure
jaune pisseux

qui nourrit ma voiture
à la station essence
où des grues broutent les barres d’immeu-
bles mortes
et le ciel argenté

Les armes de la poésie (le film)


un AK-47
est sorti de mon carnet de poésie
et je m’en suis servi pour exploser la tête
de 72 connards dans leurs costards cravate
les vagues ont effacé leur sang
il ne restait
plus que nous deux sur la
plus belle plage de Californie
tu étais saine et sauve en bikini
et tu m’as avoué avoir
envie d’une
petite
page de pub
depuis que j’écris
des poèmes à la con
nos vies ont peu
changé
mais c’est déjà
pas mal et demain soir à 20h45
je te montrerai combien
je ferais peu
de vagues
dans la réalité
tu m’as donc avoué avoir
toujours eu envie qu’un poète aussi
intrépide et bodybuildé que moi t’embrasse
juste après avoir sauvé tes petites
fesses des méchants
et c’est
ce que j’ai fait
après avoir rangé mon AK-47
dans mon carnet de poésie
avec un air de dire
t’as vu
c’est pas si compliqué
d’être heureux quand on fait
un effort

Documentaire humain

à la venue des premiers froids
d’automne le mâle
humain tapi dans son terrier de brique
aime
se blottir dans le dos de la femelle humaine
pour profiter un peu
de la chaleur d’un corps déjà
ronflant
celle-ci possède parfois
la judicieuse
capacité de diffuser un souffle d’air
chaud couramment nommé

« pet »

le mâle
émet
alors un grognement
dont les humanologues n’ont pas encore
pu déchiffrer le sens mais la
femelle répond
d’un couinement si curieux
étonnamment mignon
que notre couple d’êtres humains
s’endort
sous une couette habilement réchauffée
quelque part sur la Terre

Le Républicain social est une espèce de passereau endémique du sud de l’Afrique

une fois de plus
je suis rentré de la pêche avec
mon short trempé
et mes godasses pleines de boue
tu m’as dit un truc comme
« putain
MAIS tu peux pas t’emm’ner
des fringues de r’change lÀ-bas ? »

or
pendant ce temps-là
quelque part dans un désert d’Afrique du sud

au quatorzième étage d’un genre de H.L.M.
en paille

la femelle du républicain social
détruit souvent son nid quand elle revient
le soir et c’est
le mâle
qui passe ses journées à
remolletonner de poils et de coton
le foyer conjugal

Extraits de Glace Belledonne, La Pointe Sarène, 2017

Couple géologique
(Poème à lire en partant du bas)

et plus si infinité
des sphères célestes
les strates des nues
des branches d’arbres
le mien par-dessus
ton corps au sol
une couche de sédiments
des nappes liquides
la croûte continentale
manteau en flammes

Regarder passer les falaises
en grimpant dans le ciel

celui-là ressemble à un clebs
et lui on dirait une mémé
regarde regarde
une grosse quenotte
un condor géant
une tête de macaque
la pierre aussi a ses nuages
ils font juste plusieurs
milliards de tonnes de siècles

La Nouvelle ode
(Collection automne-hiver 2015)
...
cette année
la campagne porte une robe
léopard jaune et rouge
sous une veste encore légèrement verdoyante
...
un fleuve
passe
dans les tons bleus
et roses pastels
d’un foulard brumeux
...
les cimes ont mis
de drôles de bonnets de premières laines
au-dessus de leurs gorges échancrées
...
on aimerait
bien rester un peu plus
sous l’œil bleu ciel
à la pupille couchante
de cette grande
créatrice de mode
qu’ils surnomment
Versatile
...
mais les jambes
maigrichonnes
de la route sont déjà loin
sur le podium de la nuit

Pipi dans l’eau

les deux pieds dans l’Isère
sous un soleil de furieux
j’fais pipi sur les soldats du ciel
j’fais pipi sur les phobies nationalistes
j’fais pipi sur les milliardaires
j’fais pipi sur tous les pauvres pantins
un souffle d’air frais me caresse les
joues avec un bruissement de feuilles
j’fais pipi sur la rivière qui s’écoule
j’fais pipi sur tout c’que j’peux
pas changer mais ça fait du bien

Extraits de L’Aventure de Norbert Witz’n Bong ! , Gros Textes, 2017

Chapitre 2 :
Le genre de truc qui pourrait arriver à tout l’monde

Des marques lumineuses. Absurdes. Et des nuées de sens. Martèlent. Des vérités publicitaires. Au-dessus des avenues. Il n’y comprend plus rien.

Chapitre 6 :
Journée de ouf’

Se réveiller sur un matelas en flammes... Sortir promener son nounours en peluche... Manger des pâtes... Au yaourt à la fraise...

Chapitre 9 :
Seigneur, pardonnez-les, ils ne savent pas ce qu’ils font

« Je suis Celui Que vous cherchez » tonna-t-il aux rois Mages du marché de Noël. Tout le monde rigola au stand des saucissons. Pas lui.

Chapitre 12 :
Ordonnance pour le Nième ciel

Le Rivotril® ça trie les rêves… Son cortex est un peu sur planète Léponex®… Oui… Gavez-le bien de Gaviscon®… Et s’il déprime, c’est Dépamine®.

Chapitre 16 :
Comme si de rien n’était normal

Se prosterner face au soleil… Nu sous son peignoir bleu… Avec des sacs plastiques aux pieds… « Toi ici ! Alors, tu fais quoi dans la vie ? »

Chapitre 24 :
L’ex-professeur Xavier

« Nous sommes tous reliés… comme des constellations… illuminées… dans la nuit noire… » explique l’ex-professeur Xavier. À deux autres patients.

Chapitre 11 :
Voyage interstellaire en chambre d’isolement

Plus on t’enferme dans une petite pièce moins ton esprit peut aller loin – c’est comme ça qu’on croit retenir sur Terre les gens qui ont une fusée dans la tête.

Chapitre 26 :
C’est du n’importe quoi

N’importe où. N’importe quand. N’importe qui. Peut basculer. Et nul ne sait pourquoi. La vie. C’est du n’importe quoi.

Extraits des Maximes de nulle part pour personne, Voix d’encre, 2017

Rester sans rien faire c’est mal. Profiter de la vie c’est mal. Les femmes c’est mal. Les hommes c’est mal. Le corps humain c’est mal. Exister c’est mal. Penser c’est mal. Être heureux c’est mal. Être bon c’est mal. Être gentil c’est mal. Ne pas aimer donner des coups c’est mal. Ne pas aimer prendre des coups c’est mal. Jouir c’est pas bien. Y’a que morfler qui nous grandit.

Pions noirs contre esclaves blancs. Maillots crevés versus costards cravates. Cœurs d’or coffres de fer. Ceux qui ont tort d’avoir raison. Ceux à qui la raison manque à tort. Imbéciles convaincus anti intellectuels-douteux. Vieux croûtons jeunes crétins. Femmes faciles à mater contre mal d’homme inné. Croyances pieuses athées pieds. Pervers sucent prudes. Nature contre-nature. Supporters de Satan. Hooligans du Seigneur. Des émeutes anti émotion. Bonnes cendres. La coupe des cons. Continue.

Y’a des explosions qui font trop d’étincelles. Et s’éteignent un peu plus discrètement. Puis laissent seulement une empreinte de pétard mouillé. Y’a des blessures comme des grandes gueules prêtes à lacérer le premier bon samaritain qui tombe dedans. Y’a des gens c’est des pièges. Mais surtout pour eux-mêmes. Ils le savent pas puis un beau jour ça leur pète au visage. Y’a des armes à feu qu’on se tient tout contre le cœur comme le doudou en peluche d’un enfant avide de vengeance.

Les humains travaillent dur. Ils savent même pas pourquoi. On dit qu’ils cherchent peut-être à se trouver de bonnes raisons de noyer leur ivresse. Ou bien des paravents pour cacher leur inutilité derrière. Les humains voient des films d’amour en flague et des films de guerre en famille. Ils ont le droit de s’entretuer si le vent souffle suffisamment loin. Jamais vraiment de s’entr’aimer. Les humains pensent qu’ils vivent sur un grain de sable assez intéressant pour ce qu’ils appellent dieu. Ils font d’étranges cérémonies à l’intérieur de drôles de petits tas de cailloux. Auxquels ils donnent plus d’importance qu’à une montagne ou qu’à un océan. Certains humains se sentent parfois totalement étrangers à leurs semblables. Ceux-là sont plutôt rares et on les considère comme des extraterrestres. En fait les humains-mêmes ne se comprennent pas toujours très bien.

Extraits de Poésie assistance 24H/24, à paraître aux éditions du Pédalo ivre, en 2018

Itinéraire pour aller nulle-part
Paroles proférées par la voix de mon GPS le 12 août 2014, alors que je revenais tranquillement de vacances.

dans 6 m
après le jardin pour enfants
prenez immédiatement à droite
rue du grand Univers
continuez sur l’autoroute de la connerie
sur sept cent cinquante-trois kilomètres
direction le tunnel des pigeons
prenez l’impasse de votre dernière chance
faites demi-tour au plus vite
faites demi-tour au plus vite
le chemin que vous empruntez
n’est pas référencé

Poésie assistance 24H/24
(Veuillez renouveler votre lecture ultérieurement)

ce poème vous sera facturé
seize secondes de temps libre
pour toute question
sur le sens de votre vie
tapez 1
pour un bref aperçu
de l’avenir de notre monde
tapez 2
si vous souhaitez seulement
parler à un être humain
tapez bip
nous sommes désolés
en raison du trop grand nombre d’usagers de la Terre
nous ne pouvons donner suite à votre demande

Les habitudes télévisuelles des terriens
(enquête téléphonique)

allo oui
c’est pour une enquête
vous êtes plutôt
documentaire humanoïde
ou
télé alité ?
le soir vous préférez
vous décongeler tranquillement
sur votre petit canapé de banquise
ou
sortir en boîte de conserve entre pingouins ?
de quelle forêt vous meublez votre ennui ?
et dans combien de décennies
êtes-vous propriétaire de votre destinée ?
bien
merci comme convenu
vous vous êtes abonné pour toujours
à un drôle de mode de vie
tuuuuut

On ira tous au paradis

« Tu mangeras les dépouilles de tes ennemis que Yahvé ton Dieu t’aura livrés » (La Bible de Jérusalem, Deutéronome – 20,14 : bon appétit les copains)

offrez des plats surgelés aux bornes kilométriques
agrafez-vous des plumes de perroquet aux lèvres
ne mangez que du tamanoir tué par prise de soumission
priez comme une autruche tête enfouie dans le sable
et surtout cachez bien vos oreilles
sous un bonnet orné de cloches de vaches
c’est ce que l’authentique voix de Dieu a dit
hier soir à 23h51
devant la télé de l’asile
au beau-fils de ma voisine
qui sortira
dès demain enfin
normalement

photo signée Antoine Le Non Photographe


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