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Petites notes de Ghislaine Lejard

vendredi 2 juillet 2021, par Cécile Guivarch

Jacques Robinet, Brèches, ed L’Ail des ours

En ces poèmes une interrogation sur la force des mots, pourtant souvent impuissants à dire l’essentiel.
Mais, la poésie est bien ce langage qui permet d’approcher au plus près du silence : « aujourd’hui les mots / se sont envolés » (…) ces mots qui «  bourdonnent / aux portes du paradis  ».
Le poète nous donne à voir une épiphanie de la nature quand « le silence ( est) strié d’oiseaux » que « la plaine invisible / se confond avec le ciel  » et que « Dans la nuit entravée / le rossignol s’apprête / à chanter  »
L’arbre est un arbre de vie comme dans ce poème :

l’arbre dans la lumière
son attente embrasée

Les oiseaux s’agitent
pour boire à cette source
qui coule entre les branches

Puis l’arbre tout entier
commence à chanter

Comme dans le tableau de Rembrandt, Saint- François sous un arbre priant.
Ces poèmes assez brefs sont comme nous le dit Jacques Robinet proches des psaumes : « Le psautier refermé/ sur l’usure des mots ». Ces mots qui, comme dans les psaumes chantent l’allégresse et la détresse, la vie et la cendre, l’espérance et la révolte, le chant et le cri, en une incessante parole que l’homme adresse au ciel.
La quête d’amour est au cœur de cette création poétique, l’amour tout au bout du voyage, mais sur la route nous sont donnés à voir et à vivre des fragments de cet Amour, comme cet « éclat bleu / tombé du ciel  » ou cette « lumière qui / débusque d’ombre  » alors le jour se fait « jour de sacre »
Le poète exige donc beaucoup de la poésie qui peut nous mener au feu de cet Amour :
« Exige de ton poème
qu’il traverse le brasier
pour se livrer à l’autre feu
qui brûle sans se consumer ».

Jacques Robinet ébauche des moyens pour y accéder, comme le lâcher-prise dans la confiance, qu’illustre cette puissante métaphore :
« Confie ta barque vide
à la houle qui l’emporte
vers son dernier soleil ».

Comme cette règle poétique qu’il nous confie et qui clôt le recueil :
« Tout poème se doit
d’arracher la parole
au silence
pour la rendre
au silence ».

Les œuvres de Renaud Allirand qui accompagnent les poèmes, dans leur sobriété, sont elles aussi, œuvres de silence qui ouvrent la porte à la lumière, à l’instant même où l’ombre s’efface, en écho à ces 2 vers : « d’un soleil inaccessible/ qui filtre sous la porte ».

Dominique Bergougnoux, Dans la tempe du jour, éditions Alcyone
« J’ai amassé tant de fatigue
accrochée sous le pas du temps
mais l’aube se remplit de soleil
comme une tasse de thé »

« Je protège
la patience de l’abeille
Elle dit l’espoir du miel
dans le bol sacré du jour »

Ces deux strophes, la première extraite du poème « Sous le pas du temps » la deuxième extraite de « Ni hier ni demain  », peuvent définir à elles seules la poésie qui éclaire ce recueil de Domi Bergougnoux Dans la tempe du jour éditions Alcyone.
Domi Bergougnoux puise, en ses douleurs, les mots du poème ; en tout ce qui est vécu, elle perçoit la lumière qui est à la source de cette espérance qui l’habite. En notre fragilité la force et c’est le paradoxe lumineux qu’elle nous donne à voir. Par petites gorgées, nous goûtons à ce quotidien de peine et de solitude mais aussi d’émerveillement, le regard ébloui par tous ces petits riens qui nourrissent la vie. Nous empruntons avec Domi Bergougnoux le fragile chemin de la tendresse.
Ecrire est pour la poète une façon d’habiter le monde et d’en pénétrer le mystère :
« J’écris pour inverser
le mouvement des arbres
la source des rivières
le cours impair du temps
J’écris pour habiter
le mystère de l’eau
de la graine et du fruit
pour l’espoir de renaître
au couchant de la vie »

La poésie est pour elle cette
« … langue
de sève et de feuilles
de sang et d’écume
pour ravir la lumière »

Jean Lavoué, Voix de Bretagne le chant des pauvres, édition L’enfance des arbres

Jean Lavoué a choisi 10 poètes pour incarner ces pauvres ; Pierre Tanguy dans sa préface définit parfaitement le sous-titre de ce livre, ce qui les réunit, c’est le concept de fraternité : « chantres d’une vraie pauvreté ( … ) celle qui se range du côté de la pauvreté assumée quand elle s’appelle sobriété, respect de l’homme et de la nature, contemplation du monde. »
En avant-propos, Jean Lavoué nous précise pourquoi il les a choisis, ils s’ancrent dans une période de l’histoire de la Bretagne, la plupart sont nés dans le premier tiers du XXème siècle, ils sont habités par le sentiment d’une perte de leur terre, de leur langue maternelle et pour tous le ressort est « la blessure intime par laquelle s’est engouffré pour chacun le goût d’écrire et de créer. »
En ouverture, une grande figure contemporaine, Michel Le Bris décédé le 30 janvier 2021, son parcours humain et littéraire est pour Jean Lavoué « poème du monde ».
4 poètes ouvrent le livre : Armand Robin, Yann Fanch Kemener, Anjela Duval, Eugène Guillevic. Le rapport à la langue bretonne : « prendra dans l’existence de chacun une place considérable  », ils ont tous vécu des blessures et celles-ci leur ont permis : « d’entrer dans la vibration si singulière de cette poésie et de cette voix de Bretagne marquée tant par la douleur humaine que par la quête d’un absolu capable de la transfigurer »
Armand Robin, le prophétique, l’insaisissable, l’auteur du roman Le temps qu’il fait, un roman de la douleur maternelle. Armand Robin qui a su faire résilience, qui a fini par faire la paix avec le père et devenir ce poète christique, capable de s’identifier à toutes les victimes de tous lieux et en tous temps.
Avec Yann Fanch Kemener, Jean Lavoué nous livre une relation plus intime, tous deux furent confrontés à la maladie en 2018 ; une maladie qui emportera Yann en 2019. La chanson l’a mis au monde, il a baigné dans une tradition à la fois laïque et religieuse et a su revisiter la mémoire familiale et « réparer la mémoire des mots »
Anjela Duval a l’âme d’une résistante, elle est une figure emblématique de ces femmes bretonnes, pauvres et fidèles, bien que sans enfant, cette célibataire incarne la figure tutélaire maternelle. Cultivatrice, elle puisa dans cette terre-mère de Bretagne son chant poétique, qu’elle rédigea en langue bretonne moribonde et qu’elle sut porter haut car comme elle le disait : « Le breton, c’est toute mon existence »
Eugène Guillevic fait le lien avec les auteurs de la deuxième partie et surtout Jean Sullivan, car tous deux ont même « foi dans le monde, la foi dans les choses, la foi dans les êtres, la foi dans l’humain et dans la vie »
Entre l’athée communiste et l’écrivain catholique naîtra une amitié et une fraternité humaine et poétique.
Eugène Guillevic porte en lui l’amour et la mort de Marie Clothilde morte à 17 ans ; alors qu’il avait 70 ans, il confiera lors d’un entretien à Lucie Albertini et Alain Vircondelet que la nuit, il rêve régulièrement d’elle…
Malgré cette blessure et la malédiction maternelle, alors qu’il est sans religion, s’opérera une conversion qui va lui permettre d’écrire en sérénité, comme le dit Jean Lavoué : « C’est la bénédiction qui l’emportera dans l’œuvre », grâce à « l’écriture et la contemplation poétiques  ». Où qu’il soit, il habite cette terre de Bretagne et pour lui il y a la poésie pour sanctifier voire sacraliser le monde et cette terre bretonne, car l’écriture lui permet d’entrer en communion avec les choses et la nature. Il a su ainsi cheminer « de la pauvreté à la joie  ».
Jean Sulivan lui est entré tardivement en écriture à 45 ans en 1958 avec la publication de : Le voyage intérieur. Effectivement l’écriture sera pour lui un voyage dans l’intériorité. Il n’a cessé dans son œuvre de dire ce « souffle dont on ne sent ni d’où il vient ni où il va. » Pour Jean Lavoué « Sulivan ne parle que d’une chose dans toute son œuvre, de la chair lorsqu’elle est saisie par le souffle ! (…) Dieu, marié à la chair du monde » et l’écriture pour la féconder…
Avec René Guy Cadou et Max Jacob, on entre en « la poésie du cœur ». Jean Lavoué reprend pour parler de RG Cadou certains passages qu’il a écrits pour le centenaire de sa naissance, extraits de son ouvrage : René Guy Cadou la fraternité au cœur. Ce poète fraternel dont la vie fut un chant et une ode à l’absence ; ce laïque, militant un temps au parti communiste mais porté par une quête spirituelle, attiré par Francis Jammes et Max Jacob. Un poète éprouvant : « une immense tendresse pour les simples, les humiliés, les oubliés, les ouvriers et artisans de toutes sortes. » Un poète profondément humain, un « sourcier du cœur » ; Max Jacob eut un ascendant spirituel important pour le jeune poète on le découvre dans leurs échanges épistolaires.
Pour conclure l’ouvrage, Georges Perros et Xavier Grall qui se sont bien connus. L’un et l’autre ont quitté Paris pour la Bretagne, Perros pour la découvrir, Xavier Grall pour la retrouver.
Pour Georges Perros, la poésie est partout, elle est dans toute vie, elle est la vie, « sa vie est poésie » nous dit Jean Lavoué, une vie « monacale et amicale. Distante et proche. Profane et sacrée. Croyante et incroyante  ».
Xavier Grall « celte jusqu’au bout de l’âme » est l’héritier des bardes et des druides comme dans la Stèle qu’il érige pour Lamennais, il est selon Jean Lavoué : « barde, prêtre d’une terre mystique et sauvage, druide devant la face de Dieu  ».
En cet ouvrage, comme nous le dit Joseph Thomas dans la postface, Jean Lavoué nous conduit avec ces poètes « dans le compagnonnage des humbles, dans la fraternité d’une spiritualité qui n’a nul besoin de dire son nom, sur fond d’un reste de mélancolie un sursaut de joie sobre  »

Marilyse Leroux, Nés arbres, éditions L’Ail des ours

L’arbre, métaphore de la vie et de son cycle, de la mort et la renaissance…
L’arbre, figure tutélaire, est à la fois majesté et faiblesse au pied duquel on se repose, on médite, on prie. Il est cet élément naturel qui s’ancre dans le réel, ses racines vont loin chercher ses substances dans la terre nourricière, il nous offre sa ramure et nous fait lever la tête pour regarder le ciel, il est parfois un élément déclencheur à l’éveil spirituel.
Tout cela, on le retrouve dans les poèmes de ce recueil Nés arbres de Marilyse Leroux, premier recueil édité en janvier 2020, une toute nouvelle maison d’édition, L’Ail des ours.
Le premier poème A la lisière du jardin présente un chêne en sa majesté, un arbre de vie qui fait courir dans les jambes de la poète, sa sève. Elle devient alors ce chêne et avec lui, elle peut puiser à la « racine première  » et rejoindre en sa ramure « la pleine lumière  », communion entre l’homme et l’arbre car comme en toute vie se côtoient l’ombre et la lumière :
« L’arbre a passé un accord/avec la lumière/entre ses branches/l’ombre des origines (…) La clarté est plus forte/au travers des branches/ombres et lumières accordées/dans la première joie/je voudrais enjamber/l’un l’autre – à deux pieds. »
La poète nous guide, de la lumière et la blancheur de l’amandier à l’ombre de ces arbres qui gardent le sommeil des morts, et nous fait entendre le chant des oiseaux qu’ils abritent ou le silence quand ils veillent les absents.
Du jardin aux talus, les arbres telle une calligraphie déploient leurs phrases. De cette calligraphie naturelle naissent les mots du poème.
Regarder les arbres, c’est regarder le temps qui passe. L’hiver, les branches dénudées du cerisier rappellent les fleurs tombées au printemps : toute la beauté de l’éphémère.
La poète se souvient et ce n’est pas par hasard si elle a commencé ce recueil avec l’évocation d’un chêne, car il est pour elle un souvenir d’enfance : « enfant j’y entrais toute entière ».
L’arbre est vivant, il tend ses branches comme nous tendons les bras. Ils sont les bras du père et de la mère dans lesquels on aime enfant s’endormir.
« J’aime m’endormir/dans les bras d’un arbre ( … )/ Ils sont toujours là/les deux tilleuls de mon enfance/unis dans un même feuillage/ l’un mon père l’autre ma mère »
Cette image d’un feuillage qui enlace est le symbole de l’union parfaite et revient en mémoire ces vers de Marie de France :
« Comme du chèvrefeuille/qui s’attachait au coudrier/une fois qu’il s’y est attaché et enlacé… »
Avec les arbres, tout un monde s’ouvre en un paysage poétique, né du réel et de l’imaginaire.
« Aujourd’hui/ je replante mes images/sur d’autres terres ( …)/ Elles suspendent le ciel/ à des cordes invisibles. »
La poète sait regarder mais est aussi regardée, car celui qui est vu, regarde :
« Les arbres sont là/de plus loin que nous/ nous regardent passer/ le long de la route… »
Les arbres ont vie plus longue que la nôtre, mais eux aussi comme nous sont de passage. Le chêne plus que centenaire le sait qui :
« élève une cathédrale/à la gloire du jour/son chant ne lui suffit pas … »
Plus haut, les étoiles et les astres pour nous rappeler que tout voyage s’achève :
« C’est ici qu’ils marchèrent/ ici qu’ils perdirent leur chemin/ leur voyage n’a duré/ que le temps parcouru… »
Mais, on le sait, l’arbre est renaissance et rien ne s’achève définitivement :
« Ainsi la vie retourne/ d’où elle vient/…indéfiniment. »
Comme dans toute vie, ce qui ne disparaît pas, c’est la lumière, « la lumière neuve » et l’amour, « à sa cime la pesée d’un amour », alors me sera donné « un pan de ciel …/ que je n’ai pas cherché »
Grâce aux arbres, continuer le voyage en sachant que « le monde tient toujours dans un gland », avec eux, grâce à eux avancer et se « placer au point exact de la trouée ».
Des poèmes pour dire le silence, écouter les arbres et leur message et entendre cette leçon de sagesse : « même si le dernier arbre/ connaissait la dernière parole/ il la tairait/ pour une promesse d’eau »

Les poèmes de Marilyse Leroux sont accompagnés de gravures de Thierry Tuffino, des gravures en noir et blanc. Entre arbre et lumière, la sobriété des dessins stylisés met en valeur la verticalité et favorise l’imaginaire. Dans un dessin, tous les arbres possibles, des arbres qui ouvrent à l’universalité, plus de chêne ou de cerisier, mais un arbre qui unit le visible et l’invisible. La poète dédicace à Thierry Tuffino un poème qui définit parfaitement les œuvres qui accompagnent ses poèmes :
Entre ce qui nous retient
en amont des formes
et ce qui s’imagine au-delà
comment savoir

Visible et invisible
s’unissent au bout du pinceau
comme clarté et ombre
sous les pins

Les approcher sépare
et réconcilie


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