Terre à ciel
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Pierre Drogi

lundi 7 janvier 2019, par Cécile Guivarch

Pierre DROGI, né en 1961, à Metz.

Extrait de Ombre attachée – à bouche sanglante , LansKine, 2016

(éthiopiques)

               J’équipe de   quoi-comment-pourquoi
                    des mains et des visages

               « douceur
               droiture  discernement
              confiance  dans le
               jugement »

   comme si   ) l’événement (   biffant  évidant
vidant il aspirait en soi le reste
  décidait
une fois pour toutes de l’ouverture ? de l’aventure
passée présente et à venir

                                                          guêpes du deuil
                                                      corps perdu  /  fragile
                                                        pour une vie

          le plat surgit des soutes
            fumant
        et la façade  (italienne)
  se colore d’encre de
            seiche
          (et de remords)

Extrait de En mode turbulent (première section : hypographes, 1)

1

tous les démons sont-ils lâchés ?
comme un orme de Sibérie  dessiné sur le ciel
les piécettes déposées dans ses failles    parole celée au fond de la boîte   Melpomène ou la bouche qui saigne    lumière gazouillante mouillée sur l’arche

les cauchemars de la nuit et les rêves  viennent
                           , amis , amis , une imparfaite expiation
le corps lui-même se fait paroi « Melpomène bouche-sanglante » plus lourd d’une mémoire

l’homme sans barbe .
et cette vérité des arrogants : manquent d’humour … /
collection de maladroits « tu es puissant » je suis maître

et ce regard glacé par la lumière

les pierres du parapet / toutes rivées entre elles
elles-mêmes parleront
automate Lisa : numéro du reçu détail de la formule
la bouche qui réinvente réinvente du sang

y a-t-il quelques mots disponibles (d’autres) pas trop flexibles , pour cette femme cet homme et cet enfant ?
tranche-montagne  (feux avant)  qui piétine ?

viennent plus sérieusement trancher de l’important       lucides et ductiles

Extrait de Levées, Atelier de l’agneau, 2010 - section « fais au lieu de dis, fais si tu peux »

    2 puis 1 puis 2  près de la feigne
                 - puis le troupeau -
                 en robe sombre

     insatiables
   dérivés
    de jour et d’heure
     ils entrent dans le bois
    isolément .
    farouches .

             et moi    mais moi    puisque

        derrière ma peau
         je tiendrai là .
          insatiable .

             dans les marges
              place exacte

         philautie
        qui brode en robe d’aiguilles
         le miel perdu en flammes

  

     troupeau d’oreilles
         tendues
         horizontales
     attentives

     (2)
suivis de leurs
    bonds
(roux)

         les ombres fusent
         peignent les pins craquants
         de croûte et couleur homonyme

      tamis / tain / tarin
      baignent la fêne

      pour épuisé  repasser la haie
      dans un sursaut rageur

         chaque angoisse comptée

         (comme une)
         raideur  à débloquer
     comme une erreur

      excessive

Extrait de Animales, Le clou dans le fer, 2013, « sans chemin »

sur la terre de feutre

   la conscience
  comme un
 alcool .

          on croit

                « crois que l’on peut / détruire
                crois que l’on peut
               réparer »

 il faut  on fait
effacer , abattre les cloisons .
   donner à parcourir
   dessiner   paraphrastique  écrire à base de lumière
                    la main à plat .

sylvia    sophia
   dans le buisson      se donne la peine
                                                                de dégrafer
          d’égratigner
          la tunique et le regard .

 
 

              fatigue  de litorne         fatigue de licorne
   / qui griffe l’œil .  passe s’y fondre

    les mots ne sont que les petits captifs d’autre chose (sourcement)
qui   coule   cache   et délivre une moisson d’étranges bulles ?

   
   

          rouleaux des lièvres
          sur le fond d’équilibre
          et de la grâce .

      conscience est un mur
        / que je ne vois pas
        / sur lequel on s’appuie .

le rhèteur   fait (son) gibier
        d’importance       la flagornerie
                  ne livre pas / le menteur .

      sous la peau visible      de l’air rétroactif .
   cette noirceur     comme elle fait     mal à voir
            (encore)

      menton
   quelle balance inquiète ?
    accuse les pas de l’ombre
    secouée par le vent

Extrait de Afra / vrai corps, Le clou dans le fer, 2010

l’amateur de racines me tendit un canon passablement
taché et me dit :
je peux tout expliquer un seau d’eau bouillante
le sens qui traverse les coutures iris et tulipes possibles
entretiennent un peu de la rigueur

arrière toutes les combines en plongée plus grinçant qu’ça
haleine empestée de tabac et de vin qu’il me souffle
et dans les pieds par contraction habitude du haut en bas
pour avoir l’air

pas si bon enfant la fête des figures des beautés isolées comme des extraits
quand les debout regardent les gisant que les gisant contemplent les assis que les assis
assis, s’équipent dans une grenouillère de couleurs
à peine s’ils vous amènent à
quelque chose comme lagune ou apnée dont la parole indistincte établit des rêves

les images sont nettes la lumière nouée arrête naturelle
les deux autres étaient perdues / dont on allait chercher entre les lattes
quelques horizons retenus sur le dos
le récit va où il veut que le récit aille où il veut. Au diable sait-il où il va
en retraite / dans les nuits insomniaques des vaches invisibles / petit tombeau porte-lune / la nuit vous a
des airs de chasse inénarrables quelquefois. / poids des métaphores / agnelets réduits
à deux cordes / les mots appris de l’escalier / entament une glissade

trempés dans une attente d’encre trempés dans une averse d’encre / dans la mine /
pour échanger toutes les béquilles les certitudes les moules les marches et les moëlles.

Quatrième de couverture de Du sein de la fiction, Passage d’encres, 2015

« Faisons comme si » : tel est le ressort de la fiction, sa formule qui instaure un espace entre choses et mots, entre auteur et lecteur – un interstice.
Et ce « comme si » effectue quelque chose en nous. Comme si la fiction révélait au mieux le lien indissoluble et sous-jacent qui porte notre humanité commune.
« Faisons comme si ». Comme si ce commentaire de textes anciens et récents trouvait lui-même un interstice pour rendre ce lien sensible, perceptible dans sa portée impondérable mais qui engage chacun d’entre nous à partir du texte de fiction envers notre semblable-dissemblable.

(La mise en ligne de ces extraits propose une adaptation plausible de la version papier sans la reproduire exactement.)


Bibliographie sélective :

DOMAINE POÉTIQUE

  • Babel, en collaboration avec Anca Vasiliu pour les textes et deux artistes plasticiens pour les interventions et la réalisation graphique : Sabine André et Claude Donnot / traduction en anglais de Michael Chase, éd. TranSignum, Paris, 2004
  • Encordelé, cahier de bouche et autres textes, ASPECT, Nancy, 2008
  • Tablatures, Tarabuste, Saint-Benoît-du-Sault, 2008
  • Charbonnier, Atelier de l’Agneau, Saint-Quentin-de-Caplong, 2008
  • Afra / vrai corps, Le Clou dans le Fer, Reims/Paris, 2010
  • Levées (suivi de : sa filleule), Atelier de l’Agneau, Saint-Quentin-de-Caplong, 2010
  • Animales (suivi de suite azyme & porte-lune), Le Clou dans le Fer, Paris, 2013
  • Le chansonnier, La Lettre volée, Bruxelles, 2015
  • Ombre attachée - Anémomachia, LansKine, Nantes, 2016
  • Ombre attachée - à bouche sanglante, LansKine, Nantes, 2016
  • En mode turbulent, LansKine, Nantes, (à paraître)

ESSAIS

  • « Toucher le feu », revue Présages, n° 18, Paris, Moscou, février 2006
  • « Je ne suis donc je suis : l’étrange cogito du poème », in Michel Deguy, l’allégresse pensive, Belin, Paris, 2007
  • Métamorphoses, en collaboration avec Alain Dubois, professeur au Muséum d’Histoire naturelle, Le Pommier, Paris, 2008
  • « Double frontière, du poème et de la langue », in La Frontière : écriture et transfert, Passage d’encres, Romainville, 2009
  • « Effacements du poème  », revue Littérature n° 156, Armand Colin/Larousse, Paris, 2009
  • «  Limites et secret du récit (une ébauche) », trad. Susanna Spero, in Confini del Racconto, Quodlibet Studio, Macerata, 2009 ; version française in Aux confins du récit, Presses Universitaires de Vincennes, Saint-Denis, 2014
  • Du sein de la fiction, Passage d’encres, Moulin de Quilio (Guern), 2015
  • « Le grand combat », in Supplément de la revue Triages « Que peut le poème ? », Tarabuste, Saint-Benoît-du-Sault, 2015
  • Fiction : la portée non mesurée de la parole. Sept essais, Passage d’encres, Moulin de Quilio (Guern), 2016

TRADUCTIONS

  • Virgil Mazilescu, Il se fera silence il se fera soir, trad. du roumain et présentation, Comp’Act, Chambéry, 2005
  • Eclats, cinq poètes roumains, trad. et présentation (Emil Botta, Nichita Stănescu, Virgil Mazilescu, Dan Verona, Dinu Flămând), Comp’Act, Chambéry, 2005
  • Nichita Stănescu, Les Non-mots et autres poèmes, trad. du roumain, en collaboration avec L.-M. Baros, J. Mysjkin et A. Vasiliu, Textuel, Paris, 2005

En revues :

  • Nichita Stănescu, La Physiologie de la poésie (dossier : textes théoriques et poétiques), revue Europe, n° 928-929, Paris, 2006.
  • Nichita Stănescu, « Les arts poétiques possibles », Action Poétique, n° 189, 2007.
  • Littérature roumaine intempestive, revue Europe, n° 948, avril 2008 [Nichita Stănescu, « Être au moins contemporain avec soi-même », George Bacovia, «  Poèmes tardifs et posthumes », Tudor Arghezi, « Six poèmes en esprit », Ion Luca Caragiale, « Les Roumains verts », « À la foire » (traduction et présentation)].
  • Nichita Stănescu : Les 17 derniers Nœuds et Signes, revue L’Étrangère, éditions La Lettre volée, n° 38-39, Bruxelles, juin 2015.
  • Virgil Mazilescu : Fragments de la région de jadis, numéro spécial « Danube », Un danube poétique, de la Revue de Belles Lettres, Lausanne, décembre 2016.
  • Nichita Stănescu, « Contre les mots » (tiré de Laus Ptolemaei, 1968), Triages, éd. Tarabuste, juin 2018.

Textes, entretiens, lectures en ligne : notamment sur poezibao, remue.net / revue en ligne Secousse / Atelier de l’Agneau (lecture à la Maison d’Aquitaine, Paris, 2011) / site des éditions LansKine


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