Pierre DROGI, né en 1961, à Metz.
Extrait de Ombre attachée – à bouche sanglante , LansKine, 2016
(éthiopiques)
J’équipe de quoi-comment-pourquoi
des mains et des visages« douceur
droiture discernement
confiance dans le
jugement »comme si ) l’événement ( biffant évidant
vidant il aspirait en soi le reste
décidait
une fois pour toutes de l’ouverture ? de l’aventure
passée présente et à venirguêpes du deuil
corps perdu / fragile
pour une viele plat surgit des soutes
fumant
et la façade (italienne)
se colore d’encre de
seiche
(et de remords)
Extrait de En mode turbulent (première section : hypographes, 1)
1
tous les démons sont-ils lâchés ?
comme un orme de Sibérie dessiné sur le ciel
les piécettes déposées dans ses failles parole celée au fond de la boîte Melpomène ou la bouche qui saigne lumière gazouillante mouillée sur l’arche●
les cauchemars de la nuit et les rêves viennent
, amis , amis , une imparfaite expiation
le corps lui-même se fait paroi « Melpomène bouche-sanglante » plus lourd d’une mémoire●
l’homme sans barbe .
et cette vérité des arrogants : manquent d’humour … /
collection de maladroits « tu es puissant » je suis maîtreet ce regard glacé par la lumière
●
les pierres du parapet / toutes rivées entre elles
elles-mêmes parleront
automate Lisa : numéro du reçu détail de la formule
la bouche qui réinvente réinvente du sang●
y a-t-il quelques mots disponibles (d’autres) pas trop flexibles , pour cette femme cet homme et cet enfant ?
tranche-montagne (feux avant) qui piétine ?viennent plus sérieusement trancher de l’important lucides et ductiles
Extrait de Levées, Atelier de l’agneau, 2010 - section « fais au lieu de dis, fais si tu peux »
2 puis 1 puis 2 près de la feigne
- puis le troupeau -
en robe sombreinsatiables
dérivés
de jour et d’heure
ils entrent dans le bois
isolément .
farouches .et moi mais moi puisque
derrière ma peau
je tiendrai là .
insatiable .dans les marges
place exactephilautie
qui brode en robe d’aiguilles
le miel perdu en flammes
troupeau d’oreilles
tendues
horizontales
attentives(2)
suivis de leurs
bonds
(roux)les ombres fusent
peignent les pins craquants
de croûte et couleur homonymetamis / tain / tarin
baignent la fênepour épuisé repasser la haie
dans un sursaut rageurchaque angoisse comptée
(comme une)
raideur à débloquer
comme une erreurexcessive
Extrait de Animales, Le clou dans le fer, 2013, « sans chemin »
sur la terre de feutre
la conscience
comme un
alcool .on croit
« crois que l’on peut / détruire
crois que l’on peut
réparer »il faut on fait
effacer , abattre les cloisons .
donner à parcourir
dessiner paraphrastique écrire à base de lumière
la main à plat .sylvia sophia
dans le buisson se donne la peine
de dégrafer
d’égratigner
la tunique et le regard .
fatigue de litorne fatigue de licorne
/ qui griffe l’œil . passe s’y fondreles mots ne sont que les petits captifs d’autre chose (sourcement)
qui coule cache et délivre une moisson d’étranges bulles ?
rouleaux des lièvres
sur le fond d’équilibre
et de la grâce .conscience est un mur
/ que je ne vois pas
/ sur lequel on s’appuie .le rhèteur fait (son) gibier
d’importance la flagornerie
ne livre pas / le menteur .sous la peau visible de l’air rétroactif .
cette noirceur comme elle fait mal à voir
(encore)menton
quelle balance inquiète ?
accuse les pas de l’ombre
secouée par le vent
Extrait de Afra / vrai corps, Le clou dans le fer, 2010
l’amateur de racines me tendit un canon passablement
taché et me dit :
je peux tout expliquer un seau d’eau bouillante
le sens qui traverse les coutures iris et tulipes possibles
entretiennent un peu de la rigueur●
arrière toutes les combines en plongée plus grinçant qu’ça
haleine empestée de tabac et de vin qu’il me souffle
et dans les pieds par contraction habitude du haut en bas
pour avoir l’airpas si bon enfant la fête des figures des beautés isolées comme des extraits
quand les debout regardent les gisant que les gisant contemplent les assis que les assis
assis, s’équipent dans une grenouillère de couleurs
à peine s’ils vous amènent à
quelque chose comme lagune ou apnée dont la parole indistincte établit des rêves●
les images sont nettes la lumière nouée arrête naturelle
les deux autres étaient perdues / dont on allait chercher entre les lattes
quelques horizons retenus sur le dos
le récit va où il veut que le récit aille où il veut. Au diable sait-il où il va
en retraite / dans les nuits insomniaques des vaches invisibles / petit tombeau porte-lune / la nuit vous a
des airs de chasse inénarrables quelquefois. / poids des métaphores / agnelets réduits
à deux cordes / les mots appris de l’escalier / entament une glissade●
trempés dans une attente d’encre trempés dans une averse d’encre / dans la mine /
pour échanger toutes les béquilles les certitudes les moules les marches et les moëlles.
Quatrième de couverture de Du sein de la fiction, Passage d’encres, 2015
« Faisons comme si » : tel est le ressort de la fiction, sa formule qui instaure un espace entre choses et mots, entre auteur et lecteur – un interstice.
Et ce « comme si » effectue quelque chose en nous. Comme si la fiction révélait au mieux le lien indissoluble et sous-jacent qui porte notre humanité commune.
« Faisons comme si ». Comme si ce commentaire de textes anciens et récents trouvait lui-même un interstice pour rendre ce lien sensible, perceptible dans sa portée impondérable mais qui engage chacun d’entre nous à partir du texte de fiction envers notre semblable-dissemblable.
(La mise en ligne de ces extraits propose une adaptation plausible de la version papier sans la reproduire exactement.)
Bibliographie sélective :
DOMAINE POÉTIQUE
- Babel, en collaboration avec Anca Vasiliu pour les textes et deux artistes plasticiens pour les interventions et la réalisation graphique : Sabine André et Claude Donnot / traduction en anglais de Michael Chase, éd. TranSignum, Paris, 2004
- Encordelé, cahier de bouche et autres textes, ASPECT, Nancy, 2008
- Tablatures, Tarabuste, Saint-Benoît-du-Sault, 2008
- Charbonnier, Atelier de l’Agneau, Saint-Quentin-de-Caplong, 2008
- Afra / vrai corps, Le Clou dans le Fer, Reims/Paris, 2010
- Levées (suivi de : sa filleule), Atelier de l’Agneau, Saint-Quentin-de-Caplong, 2010
- Animales (suivi de suite azyme & porte-lune), Le Clou dans le Fer, Paris, 2013
- Le chansonnier, La Lettre volée, Bruxelles, 2015
- Ombre attachée - Anémomachia, LansKine, Nantes, 2016
- Ombre attachée - à bouche sanglante, LansKine, Nantes, 2016
- En mode turbulent, LansKine, Nantes, (à paraître)
ESSAIS
- « Toucher le feu », revue Présages, n° 18, Paris, Moscou, février 2006
- « Je ne suis donc je suis : l’étrange cogito du poème », in Michel Deguy, l’allégresse pensive, Belin, Paris, 2007
- Métamorphoses, en collaboration avec Alain Dubois, professeur au Muséum d’Histoire naturelle, Le Pommier, Paris, 2008
- « Double frontière, du poème et de la langue », in La Frontière : écriture et transfert, Passage d’encres, Romainville, 2009
- « Effacements du poème », revue Littérature n° 156, Armand Colin/Larousse, Paris, 2009
- « Limites et secret du récit (une ébauche) », trad. Susanna Spero, in Confini del Racconto, Quodlibet Studio, Macerata, 2009 ; version française in Aux confins du récit, Presses Universitaires de Vincennes, Saint-Denis, 2014
- Du sein de la fiction, Passage d’encres, Moulin de Quilio (Guern), 2015
- « Le grand combat », in Supplément de la revue Triages « Que peut le poème ? », Tarabuste, Saint-Benoît-du-Sault, 2015
- Fiction : la portée non mesurée de la parole. Sept essais, Passage d’encres, Moulin de Quilio (Guern), 2016
TRADUCTIONS
- Virgil Mazilescu, Il se fera silence il se fera soir, trad. du roumain et présentation, Comp’Act, Chambéry, 2005
- Eclats, cinq poètes roumains, trad. et présentation (Emil Botta, Nichita Stănescu, Virgil Mazilescu, Dan Verona, Dinu Flămând), Comp’Act, Chambéry, 2005
- Nichita Stănescu, Les Non-mots et autres poèmes, trad. du roumain, en collaboration avec L.-M. Baros, J. Mysjkin et A. Vasiliu, Textuel, Paris, 2005
En revues :
- Nichita Stănescu, La Physiologie de la poésie (dossier : textes théoriques et poétiques), revue Europe, n° 928-929, Paris, 2006.
- Nichita Stănescu, « Les arts poétiques possibles », Action Poétique, n° 189, 2007.
- Littérature roumaine intempestive, revue Europe, n° 948, avril 2008 [Nichita Stănescu, « Être au moins contemporain avec soi-même », George Bacovia, « Poèmes tardifs et posthumes », Tudor Arghezi, « Six poèmes en esprit », Ion Luca Caragiale, « Les Roumains verts », « À la foire » (traduction et présentation)].
- Nichita Stănescu : Les 17 derniers Nœuds et Signes, revue L’Étrangère, éditions La Lettre volée, n° 38-39, Bruxelles, juin 2015.
- Virgil Mazilescu : Fragments de la région de jadis, numéro spécial « Danube », Un danube poétique, de la Revue de Belles Lettres, Lausanne, décembre 2016.
- Nichita Stănescu, « Contre les mots » (tiré de Laus Ptolemaei, 1968), Triages, éd. Tarabuste, juin 2018.
Textes, entretiens, lectures en ligne : notamment sur poezibao, remue.net / revue en ligne Secousse / Atelier de l’Agneau (lecture à la Maison d’Aquitaine, Paris, 2011) / site des éditions LansKine