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Raphaël Monticelli

jeudi 11 juillet 2024, par Florence Saint Roch

Raphaël Monticelli par lui-même :

Je suis né à Nice en 1948 dans une famille d’immigrés italiens. La langue italienne, est au sens strict, ma langue maternelle ; le français, ma langue d’accueil.
J’ai été formé d’abord par l’école publique et par ma paroisse catholique tenue par les frères salésiens. Je dois une reconnaissance égale aux maîtres de l’école publique et aux héritiers de Don Bosco.
J’ai ensuite fait des études de lettres en même temps que je suivais les cours du conservatoire d’art dramatique de Nice.
Durant mes années de formation j’ai rencontré des écrivains, des théâtreux, des artistes, des musiciens. Dire ce que je leur dois emplirait des pages.
Avec certains d’entre eux, en 1967, j’ai fondé le groupe INterVENTION, la revue éponyme et organisé quelques manifestations jusqu’en 1973.
Par la suite, entre 1979 et 1993, j’ai animé deux galeries associatives et publié quelques cahiers. Entre les deux moments de galerie, j’ai participé, comme bénévole, au travail du centre d’art installé à la Vila Arson, sous l’égide de Michel Butor et Henri Maccheroni.
À défaut de pouvoir dire tout ce que je dois à chacun, je me dois d’évoquer quelques noms majeurs dans ma formation : Venet, Alocco, Dolla, Arden Quin, Ben, Miguel, Viallat, Saytour, Fourchotte, Charvolen, Biga, Zaffran, Dubreuil.

Parallèlement à mes activités dans le domaine artistique, j’ai exercé, depuis 1969, comme professeur de lettres. À ce titre, jusqu’en 1993, j’ai travaillé en collège et lycée et ai été chargé de divers types de cours à l’université.
À partir de 1993, j’ai été chargé d’une expérimentation portant sur l’éducation artistique et culturelle puis de la mise en œuvre des résultats de cette expérimentation de 1998 à 2008.

Sous toutes sortes de formes, institutionnelle, associative, personnelle, j’ai ainsi toujours associé éducation, littérature, arts.

Mon travail d’écriture s’est développé dans deux ou trois espaces principaux :

  • Un espace d’expérimentation littéraire : les Bribes, 5 livres parus aux éditions de l’Amourier
  • Un espace pour des approches poétiques de l’art : les Chants à Tu, trois recueils parus : Mer intérieure et Chants à Tu, aux éditions de la Passe du Vent et Autres Ailleurs aux éditions de la Rumeur libre.
  • Un espace pour des approches critiques de l’art : textes publiés au gré des événements.

Pour chacun de ces espaces les modalités de travail et de réalisation sont nombreuses. Par exemple, l’approche poétique de l’art a donné lieu d’abord à des réalisations avec des artistes (œuvres croisées ou œuvres communes), puis à des publications bibliophilies sur propositions de quelques éditeurs comme La Diane française, l’Ormée, Manière noire, Tipaza.

SI BELLE RÉTIVE, (extraits)

À celle
qui emplit nos bouches
et éclaire nos ciels
de tous les mots vivants
qui portent tous les morts

Tu es celle qui court
dans nos forêts bouquant nos rêves

Si belle
si fragile
gardienne des savoirs

tu ouvres les bras
le monde frémit

tu fermes les bras
le monde s’inquiète

*

Ombre glissant dans l’ombre
chassée par l’ombre la chassant
à travers troncs branches et feuilles
tu te glisses

La plante de tes pas
s’imprime dans l’humus
qui s’accroche à tes pieds

Tu agites les eaux
les déploies en rouleaux frangés
qui feuillettent les terres
les étagent
déplient

de page en page

*

Je te dis vénérable
roulée d’écume salée

soleil qui s’émiette
dans l’ombre des galets

aile blanche falquée

méduse fusant
au parfum des palourdes

*
Tu mets en bouquets
les fleurs que tu chéris

violettes pudiques
bruyère myrrhe
calices souffrants du triste grenadier

Du pleur de l’amandier
tu fais naître les arbres

*
Insensée

tu

exploses dans nos veines
fulgures dans nos nerfs
raidis nos muscles
électrises nos crânes
tords nos langues

inattendue soudaine et soudainement là

souveraine

(Avec des illustrations de Claudie Poinsard, Tipaza éd., 2016)

VOL INVERSE

Pour Pierrette Bloch

Oiseau tranquille au vol inverse oiseau
qui nidifie en l’air

Attaquer le vide le
grignoter pousser la vie lancer
la vie

excroissance
là où il n’y avait rien

là où
il aurait pu ne jamais rien exister
et de ma main serrant les fibres
et de mes doigts les nouant
creuset
où se construit la lenteur
la chimie du temps de la lumière de l’espace et des mots
Ariane en tes détours construis le labyrinthe

¬ce que tu pièges c’est la mort

végétation animale
et ses pauses moussues s’élancent
oublieuses des creux et des sources
nuageuses
respiration ténue et tenace
postée au seuil du silence

la main
tenant la plume sur les chemins de la feuille
tenant les fibres

liant le vide
il n’est d’autre canevas que l’infini à combler
d’autre métier que la main
attentive
postée au seuil du vide
filant l’espace à l’opposé des pouces

(in Autres Ailleurs, éditions de la Rumeur libre, 2023)

CAVALCADE AU SEUIL DE L’ÉDEN, extraits

Bouche ou grotte
mémoire
que les lèvres entrouvrent
on devine

la trace filiforme qui pousse contre le ventre de pierre
la paroi d’os
tu en relèves la forme qui s’y évanouit

(…)

Ils disparaîtront
lentement avalés toujours
de plus en plus bas creusant leur chemin à travers la terre et la boue
et tu sens de très loin l’odeur
de la lente plongée de leur esprit dans la terre
Regarde de cet autre côté : là où la terre se troue
on devinera leur forme
au creux d’un creux du rocher creux
chevaux galopant sous terre et poussant du col et des pattes
la dure couche de terre qui les a ensevelis
chevaux dansant à peine dans le jeu des lampes
et il suffit
d’une caresse de pierre broyée d’un souffle coloré
pour qu’une vie nouvelle habille l’esprit des chevaux endormis

(…)

Une image surgit
et derrière elle
la main qui l’a formée
Une main émerge
On pourrait dire du fond du temps
Si le temps avait quelque importance
de derrière la paroi
si la paroi était paroi
La main
Toute une humanité
toute l’Humanité
la longue théorie des femmes des hommes des enfants anges dont les mains ailées
font voler les images
nous ouvrent les yeux
se posent sur nos têtes
nous poussent dans le dos
jusqu’au seuil de l’Éden

(sur des œuvres de Martin Miguel, L’Amourier éd. 2023. La Cavalcade est composée de plusieurs strates de textes entretissées, dont une strate de type poétique dont sont tirés les fragments ici présentés.)

BRIBE XLIX

Très malheureux... Peut-il être très malheureux ? Ou même triste ? En tout cas, il n’est pas méchant...
7 - 14 - 21 - 28 Torre torino torone torotto mia moglie è cascata da letto
Vous connaissez la fascination des comptines...
Il m’a fallu bien des années pour que je l’admette, l’accepte et commence à en comprendre les raisons. L’évidence, c’est que les souvenirs d’enfance sont comme collés aux comptines et elles sont capables de traîner avec elles des pans entiers de temps. Elles doivent cette particularité avant tout à la façon dont elles enferment les images dans les rouleaux de leurs rythmes pour leur conserver une stupéfiante netteté ; elles rendent à la mémoire des chaleurs de chair dans des complicités béates, ces enfouissements étourdis que l’on va chercher dans des creux d’épaules pleins d’odeurs d’aisselles et de seins ; c’est par bouffées qu’elles ameutent la grande horde des souvenirs chargés de l’ombre poussiéreuse de ces platanes de cours d’écoles, de fumées d’encre et de craie, des sautillements de moineaux sur les marelles... Tout cela nous le savons. Les comptines ont un rôle plus essentiel peut-être, et plus secret, inscrit dans la façon dont s’élaborent leurs rythmes et s’agencent leurs mots : en mêlant les espaces de la clarté et de l’obscurité, du sens et du non- sens, de manière à permettre une compréhension toujours renouvelée dans un tout qui semble toujours, d’une certaine façon, s’évaporer dans le temps qui le permet, elles établissent une langue paradoxale hors la langue et le temps, et qui ne cherche de sens et de durée qu’en elle-même, parole incantatoire qui ne vise aucun récit. N’en reste alors que le sentiment d’un mystère banal venu déposer ses éclats sur les circonstances au cours desquelles la comptine s’est déployée. Du fait de cette alliance entre mystère et clarté, la comptine installe aussi entre ceux qui la pratiquent cette profonde complicité de texte, de geste et de rite, de ceux qui parviennent à partager non seulement un savoir mais aussi des ignorances.

Sette, quattordici, ventuno, ventotto
Mia moglie è cascata dal letto
E s’è fatto un bussolotto
7 - 14 -21- 28
Giro giro tondo
gira tutto il mondo
gira la luna
gira la terra
E Micchelino se ne va per terra
Ma se casca la terra, se casca, si se casca, che cosa mai
succederà ?

Et si la terre tombe, si la terre tombe, oui, si elle tombe, qu’est-ce qui arrivera ?

Torre torino torone torotto

Et c’était bien l’une de mes inquiétudes, l’une des angoisses qui me mettait le plus “hors de moi”, l’idée que la terre puisse un jour tomber, ne plus être tenue ou retenue par dieu sait quelles forces incommensurables, impensables, et dans l’infini chuter sans fin. Mais c’était aussi une vertu de la comptine que de reporter la chute de la terre à la chute générale des corps : je devenais ce bout de monde à bout de bras balancé, vers le sol projeté et soudain toujours retenu. Et ce bout de monde était une terre possible et un univers sans cesse vers un sol chutant et indéfiniment retenu. En fin de compte ça n’avait plus rien d’effroyable... elle peut bien tomber la terre ; je n’avais bientôt plus même le pincement de la peur
qui me saisissait quand cessait la comptine
Oui, j’en ai le parfait souvenir : pendant la comptine, le plaisir de la voix, celui du rythme, celui du corps qui accompagnait mon balancement, le plaisir encore d’attendre d’entendre mon propre rire au moment où le corps semblant chuter était soudain retenu, ce rire, fort, juste après le risque, comme pour libérer le souffle un instant suspendu et qui masquait tout autre sentiment.

Première version dans une « œuvre commune » (livre d’artistes exemplaire unique) avec Max Charvolen. Une version a été publié dans Réversions (deuxième livre des Bribes) (L’Amourier ed. 1999, réédition in Bribes livres 1 à 5, 2015)

Bibliographie

PROSE
Bribes, illustrations de Edmond Baudoin, Jean Jacques Laurent, François Goalec, Marc Monticelli, Alkis Voliotis, cinq livres parus, L’Amourier, dernière édition 2015.
La Légende fleurie, illustrations de Martine Orsoni, L’Amourier, Coaraze, 2009.

POÉSIE, ÉDITIONS COURANTES
Cavalcade au seuil de l’Éden, l’Amourier, 2023, en accompagnement d’œuvres de Martin Miguel
Autres ailleurs, La rumeur libre, 2023.
Traces du temps, sur une suite d’œuvres de Leonardo Rosa, avec Bernard Noël et Alain Freixe, L’Amourier, 2021.
Chants à Tu, La Passe du vent, 2019.
Si belle rétive, illustrations de Claudie Poinsard, Tipaza, Cannes, 2016.
Mer intérieure, La Passe du vent, 2013.
Pas une semaine sans Madame, avec Alain Freixe, douze reproductions d’œuvres de Jean-Jacques Laurent, L’Amourier, 2013.
Madame des villes des champs et des forêts, avec Alain Freixe, L’Amourier, 2011.

PARMI LES OUVRAGE DE BIBLIOPHILIE
Aux éditions de la Diane française, Nice
L’œuvre monde de Toos Van Holstein, sur 8 lithographie l’artiste, 2023
L’espace en ses avataras, sur des estampes de Max Charvolen,, 2022.
Les Carnets éclaboussés 1 et 2, sur des croquis de Giovanni Rubino, 2020.
Vallées et montagnes, sur des estampes d’origami de Fumika Sato, 2018
Dans le vacarme des couleurs, œuvres de Fernanda Fedi,, 2018.
Entre deux feuilles d’eau, s œuvres de Sabrina d’Agliano, 2018
Et la mémoire rêve d’en rêver, œuvres de Martin Miguel, 2018
Les Voix de l’ange, œuvres de Muriel Désambrois, 2018.
Continuons la route ensemble, mon ami, Hommage à Michel Butor, photos de Marc Monticelli, 2018

Chez d’autres éditeurs
Mélodie verte, illustration de Paola di Prima, les Cahiers du museur, 2019.
Chanson de terre, in Gestes, céramiques de Maria Rousguisto, L’Ormaie, 2017.
Les Embrassées, bois gravés d’Alain Lestié,, Manière noire, Vernon, 2015.
Horizons puits, gravures polychromes originales d’Henri Baviera, Arte-Libris, 2015.

PARMI LES LIVRES D’ARTISTE(S)
L’Edda des corbeaux, sur des gravures originales de Bernard Alligand, chez les auteurs, 7 exemplaires, 2020.
Les Couleurs de l’absence de Michel Butor, pour la revue bau, Contenitore 16, Viareggio, It, 2019.
Détours et retours, sur cinq œuvres de Martin Miguel,, chez les auteurs, 2018.
Manu factus, livre d’artiste avec Leonardo Rosa, 9 exemplaires, chez les auteurs, Nice et Castelvecchio, 2017.

APPROCHES CRITIQUES, PRÉFACES, PRÉSENTATIONS DE NOMBREUX ARTISTES

Page réalisée par Florence Saint-Roch


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