Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Samuel Martin-Boche

dimanche 6 février 2022, par Cécile Guivarch

(extraits de La maison sans nom, inédit)

toute la journée
du sous-sol à l’étage
je monte descends
quatre-à-quatre ou pas feutrés
les grandes marches de
l’escalier de bois
haut bas fragile
sans jamais me rejoindre

 

 

 

aux occupants
la maison dit ses joies
ses doutes les blessures
à chaque déplacement
plancher grinçant cloisons
bavardes portes qui claquent
fragiles tommettes voyelles
somnambules
tendre l’oreille

à l’intérieur mille et une
cachettes coins et recoins
placards penderies derrières
de portes émerveilleusement
pour la chasse au trésor
ou se perdre
dévoiler l’enfant en soi

 

 

 

à Joëlle Petillot

et si les maisons
continuaient de grandir
a demandé l’enfant
jusqu’à la lune ou les étoiles
sous un même toit
autant d’interrogations

à Chantal Couliou

au portail un rosier rose fuschia
gardien capricieux
des entrées et sorties
enroulé à la boîte aux lettres
chaque matin du bout des doigts
pour ne pas s’y blesser on cueille
les nouvelles du monde

 

 

 

à travers la lucarne
de la chambre
le haut cèdre gigogne
bleu-gris avoisinant
feint obliquement d’ignorer
notre présence
de l’arbre est-il forme
plus magnanime

longère dit l’étendue
meulière d’aspect rougeâtre
caverneux blocs de pierre
chaumière que recouvre le toit
des contes en paille
blé ou seigle roseaux bruyères
échoppe quand de plain-pied
blanc beige
donnant sur rue
notre maison n’a pas de nom

 

 

 

les soirs d’orage
par les gouttières
tout son passé déborde
jours de lessives
tambour battant
serpillés les carreaux
essorée la mémoire

a-t-elle toujours été là
sur le mur est
la fissure aveuglément
qui parcourt l’aile
de haut en bas
cicatrice secrète
par où s’échappent
en hésitant les derniers
synonymes

 

 

 

à Valérie Rouzeau

tel volet grince en hiver
cette marche a du jeu
repeindre la corniche
robinets qui gouttent
accidents se domestiquent
comme aux retours d’école
en souriant bleus ou bosses

pas de grenier où entasser
malles caisses cartons
albums à jaunir
sous la poussière et toiles
d’araignée
les souvenirs c’est dans la tête

 

 

 

à Patricia Castex-Menier

sur la balançoire
au fond du jardin
je berce
tour à tour les enfants
tour à tour
mes souvenirs

Entretien avec Clara Regy

Vous avez commencé par vous décrire ainsi « grand lecteur et petit auteur ». C’est certes plein de modestie, mais je profite de l’occasion pour m’adresser d’abord, au « grand lecteur ».
Quels sont les auteurs qui semblent essentiels à votre écriture, et pourquoi pas, à votre vie ?

Dans la vie, les auteurs qui m’ont bouleversé ou guidé sont d’horizons très différents (roman, théâtre, BD, essais… souvent par « période » ou « cycle ») : Asimov, Conrad, Stevenson, Pratt ou Alan Moore ont sûrement nourri un goût adolescent d’aventure et d’évasion ; avec Proust, c’est le rapport au temps (j’aimerais citer Jaume Cabré) ; Dostoïevski, Boulgakov, Malcolm Lowry ou Giono (Un roi sans divertissement), ont prolongé mon questionnement sur l’existence ; Beckett, Cioran, Céline, Flaubert, Rabelais… m’ont heureusement appris l’humour et l’ironie ; Hermann Hesse et Kawabata me font partager leur soif d’absolu, comme Bohumil Hrabal, Knut Hamsun ou Pessoa (Bureau de tabac) ; Artaud, Bukowski, Brecht, Hugo… ont éveillé en moi le sens de la révolte ; Borges, aussi bien que Philip K. Dick, ne cessent de m’interroger sur la croyance, la vérité et l’illusion. Ce sont surtout des « classiques », sur lesquels j’ai davantage de recul aujourd’hui. Mais, après tout, un ou deux livres seulement suffisent peut-être pour toute une vie !
En ce qui concerne plus précisément la poésie, c’est la découverte au lycée des Fleurs du Mal qui a été un premier choc (à l’époque, je m’amusais à retranscrire en alexandrins des passages de l’Ancien Testament, un peu comme un exercice de style !). Ensuite Nerval, du Bellay, puis Verlaine et Apollinaire, grâce aux professeurs qui me les ont révélés. Le plaisir de lire Rimbaud n’est venu qu’assez tard.
Mon écriture, elle, s’est développée dans l’admiration d’Yves Bonnefoy, Guy Goffette et Jude Stefan. D’un autre côté, j’aspire également à l’économie ou la densité de certains auteurs comme J-L Giovannoni (Garder le mort), Guillevic ou Anise Koltz. Par « nature », je me sens proche de l’aphorisme et du haïku (ceux de Basho, Buson, Issa… ou encore Kerouac, Kiarostami et Rabih el-Atat, pour évoquer des figures plus récentes).

Vous dites aussi qu’un texte peut « arriver » à la lecture de celui d’un autre. Avez-vous un exemple particulier dont vous aimeriez vous entretenir ?

Je prête une attention particulière aux « petites phrases » autour de moi ou à la radio, qui peuvent fournir un titre ou inaugurer un texte. La lecture me fournit souvent un point de départ, plus ou moins conscient. Pour donner un exemple concret, l’image de la lampe dans « A la maison » de Karl Lubormirski (Cendre et lumière, Arfuyen, 1997), s’est invitée dans un poème sans que je m’en rende immédiatement compte ! Les derniers mots de ce texte très court m’avaient marqué, sans doute par rapport à la situation que je vivais à l’époque (avec les visites auprès d’une amie frappée par la maladie). Et ce sont eux que j’ai « convoqués » inconsciemment quand il m’a fallu mettre des mots sur ce deuil (La réfutation des oiseaux, La Porte, 2019) :

A LA MAISON

Ce n’était pas seulement Mozart
c’était la neige
un doux salut
ce que disait la lampe

la certitude que tout durerait

HALO

De soir en soir à ton chevet
veillant avec la certitude
d’une lampe à briller
dans le noir nous pensions

imprudents
que tout demeurerait

feignant d’ignorer
la brûlure inaltérable
de l’absence déjà

après l’extinction du poème

Un autre exemple, cette fois-ci conscient et assumé : lorsqu’un ami m’a fait découvrir Nuno Júdice, je ne mesurais pas qu’on pouvait jouer si librement avec le poème et en faire l’acteur central du texte. Dans de nombreux poèmes de Júdice en effet l’espace de l’histoire et celui du texte s’interpénètrent de façon subtile ou humoristique. J’ai repris le procédé de la mise en abyme dans « Herbier », en clin d’œil :

HERBIER

                  inspiré de Nuno Júdice

Sur une page neuve j’ai aligné
les adverbes dans l’ordre
chronologique de la récolte

à la suite des adjectifs que j’avais laissé
sécher bien à plat

en même temps que les noms
des fleurs fanées

la vie en coup de vent a dispersé
toutes les feuilles de ma phrase

Dernier exemple : le titre du recueil d’entretiens de Pierre Dhainaut Dans la main du poème (éd. Henry) m’a fourni l’occasion (le point de départ) du poème « Herméneutique » :

HERMÉNEUTIQUE

                  (sur un titre de Pierre Dhainaut)

Main dans
la main
du poème
allons

sans autre
guide
pour traverser

la langue secrète
et farouche
des forêts

Cela oblige parfois à des allers-retours dans les lectures… par acquit de conscience !


Actuellement, c’est l’écriture d’un texte sur votre maison - un vrai projet en cours de réalisation - qui vous « occupe », y trouverons-nous des arbres, des oiseaux et des morceaux d’enfance ? - tous ces sujets qui vous sont chers -

Après la lecture d’Amandine Marembert (Les Gestes du jardin chez Esperluette – avec les dessins de Valérie Linder – et Je fleuris la terre ma robe au Petit Pois), l’envie s’est fait ressentir de « m’emparer » du sujet. Je n’habite dans ma maison que depuis deux ans, il m’a fallu un peu de temps pour l’apprivoiser, j’avais longtemps vécu en appartement. Tant d’espace soudain me faisait un peu peur. Ecrire sur ce lieu m’est ensuite apparu comme une évidence. Si l’on part de la définition qu’en donne Bachelard : « cette grande plante de pierre qu’est la maison », alors oui, on retrouvera la nature, qui peuple cette maison d’oiseaux, de fleurs, d’arbres, de vent, de feuilles... Actuellement l’ensemble comprend 43 textes (le titre est provisoire) dans lesquels notre maison apparaît tour à tour ordinaire et onirique, ancrée et mobile, baroque, fantastique, espiègle, mystérieuse… parfois vue du ciel ou à hauteur d’enfant. J’espère que chacun pourra s’y reconnaître, retrouver des souvenirs d’enfance et qu’elle sera source de rêverie.

Je vous laisse évoquer la « microédition » et peut-être aussi quelques revues, puisque c’est votre proposition. (Nos archives présentent bon nombre de ces moyens de transmission de la poésie, peut-être insisterez-vous sur les moins connus)…

J’ai bien peu à ajouter en fait. Avec les premiers appels à textes auxquels j’ai répondu, j’ai découvert tout un continent consacré à la poésie, dont je ne n’avais pas idée jusque-là (blogs, revues numériques, concours…). Je suis frappé par la vitalité et la précarité de cet univers, toujours menacé d’extinction du jour au lendemain (je pense à la situation d’ARPA ou de MOT A MAUX).

Et pour clore cet entretien : si vous deviez définir la poésie en 3 mots, quels seraient-ils ?

Bien imparfaitement (mais c’est le principe de l’arbitraire !) : Présence, Patience, Partage.

Né en 1977 à Essey-lès-Nancy, Samuel Martin-Boche vit actuellement à Nevers, où il enseigne. Ses études de Lettres l’ont conduit à Poitiers, Bordeaux et Belfast. Tard venu à l’écriture, il participe depuis 2017 à une quinzaine de revues de poésie, avant de publier ses premiers textes chez La Porte, Encres Vives et l’Atelier de Groutel. Derniers recueils parus : La ballade de Ridgeway Street, carnet de voyage poétique inspiré d’un séjour d’un an en Irlande du Nord (Polder 186, Décharge/ Gros Textes, préface de Valérie Rouzeau) ; Chemins de l’arbre, recueil de 99 tercets inspirés du haïku (éd. du Petit Pois, 2020).

 

Bibliographie

Revues

  • À l’index, Arpa, Comme en poésie, Décharge, Dissonances, GONG, Gros Textes, Le Capital des Mots, Les sens retournés, Lichen, METEOR, Poésie/première, Recours au poème, Verso, Voix d’encre…
    En espagnol : Álora, La Piraña, Small Blue Library (traductions Miguel Ángel Real).

Poésie

  • RUE DU SOMBRE, Encres Vives, 2018 (coll. « Encres Blanches » n° 743).
  • FENDRE LES FORÊTS, Encres Vives, 2019 (« Encres Blanches » n° 768).
  • LA RÉFUTATION DES OISEAUX, La Porte, 2019.
  • LA COGNÉE, Encres Vives, 2020 (« Encres Blanches » n° 787).
  • LA BALLADE DE RIDGEWAY STREET, Polder n° 186, Décharge/ Gros Textes, 2020 (préface de Valérie Rouzeau).
  • CHEMINS DE L’ARBRE, Les Éditions du Petit Pois, 2020 (coll. « Prime Abord »).

Livres d’artiste

  • RUPTURE DE STOCK, L’Atelier de Groutel, 2020 (collection « Choisi » n° 46), édition limitée sous presse typographique.
  • VOIX NUE, L’Atelier de Groutel, 2021, leporello de 8 poèmes à tirage limité sur presse à épreuve manuelle, encrés à la main.
  • 2ÈME DÉMARQUE, L’Atelier de Groutel, à paraître (« Choisi » n° 50).

Anthologies/ Collectifs

  • FLAMMES VIVES DE LA POÉSIE 2018, recueil des lauréats, Flammes Vives.
  • ANTHOLOGIE POÉTIQUE FLAMMES VIVES 2018 (VOLUME 4).
  • ANTHOLOGIE POÉTIQUE FLAMMES VIVES 2019 (VOLUME 2).
  • LE LIVRE-OBJET, une œuvre d’artisanat d’art de Jean-Marie Roch.
  • RALENTIR, La Chouette Imprévue, 2020.
  • POÉCLIC, CINQUANTE POÈTES CONTEMPORAINS POUR L’AMÉRIQUE LATINE, sous la direction de François Coudray et Gérard Boucard, 2021.
  • RESPIRER, La Chouette Imprévue, 2021.

Divers

  • Flamme de bronze pour le prix Yves Bonnefoy, Flammes Vives 2018.
  • Finaliste du prix des Trouvères 2018 et 2019, éditions Henry.
  • « La route inconnue » (Radio Grand Ciel), Christophe Jubien, 25 au 31 mai 2020.
  • « Fleurs du Donegal » élu poème du mois par La Toile de l’Un (novembre 2020).
  • Finaliste du prix Amélie Murat 2021.

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1 Message

  • Samuel Martin-Boche Le 15 février 2022 à 12:16, par MARTIN Marie-jo

    SAM,

    J’avoue que j’avais du mal avec les haikus mais là je suis sous le charme et bouleversée par tes poèmes !Continue c’est tellement beau !!!

    Répondre à ce message

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