La première fois lorsque c’est arrivé
je suis restée dehors et j’ai écouté le brouhaha de la ville
Au loin, en boucles la musique de Marvin Gaye
Ce 33 tours qui sautait
comme mon cœur ce soir là
usé
Il m’a fallu du bruit pour briser l’impatience du silence
Il m’a fallu du désordre
celui des passants qui se croisent et des histoires qui ne m’appartiennent pas
minuscule désastreLa deuxième fois lorsque c’est arrivé
J’ai fait une grimace
Ils ont cru que je riais tant mon visage se déformait
J’ai reçu une baffe dans le cœur
comme une tornade
Mais mon corps est resté raide
comme paralysé par la nouvelle
J’ai mis mes sandalettes enfilé mon short rose en dentelles
et j’ai marché sur la terre rouge
jusqu’à ce que la poussière m’enveloppe les pieds
jusqu’aux mollets
Des cloques se déchiraient rivalisaient les unes les autres
pour dessiner un paysage
presque beau
une carte intérieure, une cicatriceLa troisième fois
NonUn bout de blanc
même si plus jamais
Ta chemisette en lin qui pend à l’envers
parce que l’endroit est synonyme d’effroiDepuis ce jour personne d’autre ne m’a portée sur ses épaules
Je ne cours plus comme avant, je n’ai plus ta fierté à gagner
J’ai découvert le brouillard, il m’asphyxie un peu
Nous avons vendu la maison
Je vais bien
Je marche pieds nus, je n’ai plus mal
J’ai saisi ton dernier sourire et ne le lâche plus depuis
Il agrippe mon visage et s’est figé sur mes lèvres
Tous les ans je raye le mois de mars du calendrier
Les années passent vite lorsque des jours disparaissent
minuscule désastre3 Mars 2019
Je suis gelée dans mes os
J’attends une carte postale de la mer à 17h30
Les mots restent collés à mes 9 ans. Impossible d’en sortir
Mais j’ai un corps de rechange pour affronter l’hiver
Mes sourires ne tombent plus sur mes jambes, ils restent accrochés à mes lèvres
Ça m’équilibreJ’ai choisi la chambre du milieu, celle où je respire plus lentement
Pour ne pas faire de bruit, pour ne plus écouter mon enfanceLa chambre du milieu donne sur un balcon fleuri de plantes grasses que j’arrose trop
parce que tous les jours j’ouvre la grande porte fenêtre comme si c’était la première foisLa vue est belle de là où je suis
Rien d’essentielLes insectes sont attirés par le carré de lumière qui traîne sur mon balcon quand le soleil bondit.
Des criquets, des cigales, des grillons aussi
Je n’y connais rien en criquets, je ne sais pas identifier un insecte parmi d’autres.
Pour me frayer un chemin, je dois en écraser quelques-uns.
Je crois que j’aime un peu cette musique du craquement sous mes pieds associée à l’odeur forte et piquante de la mort de ces bestioles insaisissables
âcre, aigre, amèreC’est parce que c’est la première fois que je sens
mon pas puissantTu ne sais pas de quoi tu pars
le bout de toi, une mèche rebelle qui coure dans mes veinesJ’ai appris que tu reviendrais tard que tu deviendrais rare
A 9 ans quand la vie descend quand ton nom se vide tu devines
J’ai vu les feuilles tomber et ne jamais se relever
Ne me demandez pas de vous lire cette carte postale de la mer à 17h30
Je l’ai reçue un petit matin doux
5 mars 2019
Ostende
Quand mes lèvres tremblent
c’est là-bas que je vaisMalgré la foule des passants
La digue paraît déserte à ceux qui savent se taire et profiter des silences
Elle traverse les terres
longe de vieux immeubles sans goût
et s’enlise dans l’horizonQuand je perds l’équilibre
c’est là-bas que je vaisLes couples que je croise touchent le ciel
tandis que les enfants s’agrippent au sable
Joueur
La mer s’enfuit parfois
Quand elle s’éloigne des vivants
on la croirait absente
Si les vagues me suivent à la trace
c’est pour m’éviter de perdre le fil
quand je perds la faceQuand mon corps se dérobe et que mes os se cassent
c’est là-bas que je vaisJe m’enfonce dans le sable et cache ainsi ma démarche boitillante
Ma honte s’atténue et je reprends des forcesUn hôtel à l’allure désuète nargue le front de mer
La chambre est vide
J’entends pourtant les murmures d’une musique de bal
Je colle mon visage contre la baie vitrée
La piste de danse est bleue
comme le sarong que je porte
électrique
C’est là-bas que je vais22 Mars 2019
Ce soir je n’entends plus la voisine
Les malles s’entassent sur le trottoir
Le taxi est en retard
La mangue ne mûrit pas
L’immeuble rose fait grise mine
La poussière des artères de la ville m’étouffeC’est tous les jours
C’est un peu
C’est suffisant
C’est l’heure
où les feuilles tombent
C’est un soir d’été
Sans doute une farce de la saison
ou alors j’ai perdu la raisonTu m’as fait signe
Un geste ordinaire
Une chose de la vieLe lac salé ne pique plus
Il est rose comme les bougainvilliers
Je bois l’eau de ses feuilles pressées
Je ne dors plus je veille
Mon cœur bat deux fois
Il ne s’ennuie pas
Je sais que j’ai bien fait de venir
Je ne serai jamais rassasiée23 Mars 2019
J’ai loué mes états d’âme
dans un motel bleu
déserté sans climatisation
Les touristes se sont noyés
dans les tours de bord de mer
J’ai préféré la solitude
des cours de bords de terre
des mauvais sorts
J’ai parfois un sale caractère
Je suis une teigneCe qu’ils croient
Je suis une fille haute en couleurs
Je n’ai pas perdu la tête
C’est elle qui s’est effacée
dans les visages gris les matinsDans les yeux
je regarde tout ce qui me sourit
et je panique lorsque tu fais grise mineCe visage
éperdu
et de vue aussiJ’ai traversé les coursives l’une après l’autre
J’ai frappé à chacune des portes
Des histoires d’emportements
Rien que ça et tout ça
C’est tant
C’est tellement que lorsque
là
un couple qui s’embrasse
Ici un homme
devant
une femme sous influenceJ’y ai perdu mes moyens
Rien que ça et tout ça
C’est tantC’est tellement que lorsque
là
dernière porte entrouverte
Ici j’attends
devant
Tu m’as reconnue25 juin 2019
Lavage après lavage
Il me reste ce linge
vide de toi
qui blanchit lavage après lavage
Cette chemise
qui parfois me rend pâle
silence après silence
Je me promets le bonheur
malgré cette chemise
Je la porte comme un drapeau
un étendard qui m’oblige
à effacer les flottements de la mélancolie
Si le tissu noircit
c’est que la cicatrice s’est élargie
Alors le frottement bruyant et sec
de mes mains contre l’étoffe
étouffe la plaie
la blanchit lavage après lavageC’est un éternel recommencement
de blanchir lavage après lavage
C’est une autre tâche
à éclaircir27 juin 2019
Lorsque des petits bouts de moi se cassent
Je me dis tant pis
Je mange le vent
qui sonne l’hiver
et j’attends que le temps passeLorsque l’herbe n’a pas le goût de la saison
Je me dis tant pis
Je piège le temps
qui sonne la nuit
et j’attends que la vie passeLorsque mon corps tombe petit
Je me dis tant pis
J’emballe mon cœur
qui sonne la vie
et j’attends que les fous passentLorsque ma bouche a soif
Je mords mes lèvres
Lorsque le froid bat la terre
Je frappe la grêle
Lorsque mon ventre saigne
J’enferme mes poings
Lorsque la pluie étincelle
Je foudroie l’éclairMa vie est minuscule tu vois
Mais j’avance tu vois
jusqu’au bord de mes jours
jusqu’au bord de mes joues jusqu’au sourire
Ton silence est en alerte
Et si tes yeux ronds
semblent me poser une question
j’attends toujours
ce jourTu me rejoindras jusqu’à la mer
Il sera tôt
ce sera le matin 8h35
Les galets seront vierges depuis la nuit
et nous serons transparents
au bord de l’eau à bord de tes joues
jusqu’au sourire27 juillet 2019
Quand les corps
durs
croisent les bords
d’elles
les belles
fard sur les paupières
fières se dorent
seules en ordre
dorment sans les ordures
et sabordent les dards
bardes de mauvaise augure
qui dare-dare filent au bar
flirtent
et noient leur bourdon au Bourbon
Bougons ils bouent saouls de blues
sous les blouses des mortelles
Et bouclent leur nuit douce
dans un râle qui roule jusqu’aux routes
pourpres arrosées de rosée
Et pendant que Bacchus bachote
ses ultimes recettes de débauche
les bacchanales se déchaînent et entraînent chacun dans des rondes cruelles et canailles
Finie la cavale
Les cœurs en vrac baillent
vacillent
et balbutient avec entêtement leur démon de midi
Mais le bal d’ici ne tient pas ses promesses s’achève
Il faut rompre avec ce tapage
Ivres comme une baleine
L’haleine qui peine
Cuits
Tous fuient
prient
et sabordent le tempsQuand les corps
durs
croisent les bords
d’elles
c’est un jour qui passe2 août 2019
J’ai repris ce vélo qui agitait mes jambes
lorsque mon corps s’impatientait
Celui qui autrefois me portait toute légère
J’avais dix ans et crevais d’impatience
Je longeais la Scarpe
que les usines hantaient
et retournais avec malice
ce panneau Interdit
pour les baigneurs non avertisLorsqu’avec mon grand père
immense
je parcourais
les bords de cette rivière
douce et tiède
nous riions de ces noms qu’elle traverse
Comme une gueuse une teigne tranquille
Berles-Monchel, c’est là qu’elle prit vie
La rivière n’a pas choisi son lit
Elle a creusé et trouvé son escarpin
A force d’entêtement et d’énergie indocileBordée de peupliers soigneusement alignés
Elle caressait les berges
La lune grise s’installait dans le ciel
Et lui disputait une place
au soleil
Nous traversions la vie
Et peu importaient les matins gris
Mon guidon m’emmenait partout où je voulais
tandis que le vélo de mon grand-père
avançait péniblement
Il était lourd de souvenirs de tristesses enfouies
C’était le vélo de mon père
Un vélo jaune marqué de noir
de toutes parts
De toutes les façons
c’était un vélo fantôme
qui traversait la brume sans fards
Il rougissait de rire quand les herbes hautes
s’enroulaient
dans les rayons
rouillés par le ventLorsque se pointait la ligne d’arrivée
C’était la maison jaune elle aussi
Il me laissait gagner
et me disait que j’étais grande
Sans doute n’y ai-je pas cru
Ses épaules étaient larges
et son regard bleu transperçait l’horizon
qui n’en finissait pas de le perdre
Je n’ai jamais cru que je pouvais l’atteindre
Je n’ai jamais fait la révolution
Une fleur carnivore
immense
qui dévore sans remords
a emporté ses larges épaulesC’était un vélo mauve
Je l’ai déjà écrit
Ce vélo me poursuit
Un vélo mauve
comme une fleur qui sauve
La rime est pauvre
Je n’ai pas le temps de faire la révolutionPas de mélancolie
J’ai averti mon cœur
immense24 novembre 2019
Je parle aux oiseaux
À mon voisin de bistrot
A tous ceux qui ont belle allure
Ma bouche est ébréchée et je bégaie mes mots
Ma bouée se détache
et je perds l’équilibre
Je perds mes pieds
Si je ne peux plus sentir
demain et tous les autres jours
que je suis bien vivante
sous la peau de tes lèvres
Je longe la grève en marchant d’un pas fier
comme lorsque nous partions côte à côte
chaque dimanche d’hiver
un bonnet sur la tête
et cet air juvénile et radieux sur nos yeuxJe te raconte mes vacances à la mer
C’était chic d’aller à Merlimont
Quand d’autres crânaient de descendre dans le sud
Moi je traversais la terre la mer et le grand ciel
Je venais de loin pour monter dans le nord
4500 kilomètres tous les ans
pour patauger dans des tâches d’eau
ces bâches que draguait la mer
avant la submersion et les vagues qui rient
Il fallait courir bien loin jusqu’à ne plus se voir
pour atteindre l’écume et je courais bien vite
C’était mon Graal de n’être plus qu’un point
une ombre minuscule qui touche l’horizon
Je me retournais et mes bras s’agitaient
Mes grands parents savaient et nous attendaient pour le goûter
La baguette au beurre salé et sa barre de chocolat au lait
Elles étaient chics mes semaines
Le Grand Rex dans la rue principale
et Bruce Lee qui jouait à la mort dans une opération dragon
Les trous creusés à la pelle et à la peine
si profonds que nous formions des tranchées
Nous jouions à la guerre avec mon frère
et quand je disais Pouce nous faisions la trêve
Je crois que nous jouions à la trêve plutôt
Et puis la valse des dunes hautes derrière la maison que nous louions le mois
Un mois d’éternité heureuse à construire des tremplins de sable pour atteindre le septième ciel
Ma luge allait si vite que mon corps se balançait dans les airsMa respiration s’est brisée
un soir
Toujours la même histoire
qui transperce une vie
Le sable n’a plus la couleur chaude des grands jours
lorsque les passants se mêlaient à nos rires
et enterraient avec autorité le chagrin des vivants
Aujourd’hui le sable est aussi pâle que le soleil
et la mer est lasse
Elle délaisse les restes de sa honte sur la grève
vaincue
Mornes pensées qui s’enlisent dans les rochers
accrochés à la digue
Mais je suis vivante
et je m’acharne à rireJe parle aux oiseaux
A mon voisin de bistrot
A tous ceux qui ont belle allure
Ma bouche est entaillée et ma langue s’isole
Je perds le signal
Je perds la vue
si mes yeux se froissent
quand ton rire flamboyant
ne s’accroche plus à mes lèvresQuels souvenirs lorsque je serai vieille
Dis-moi
Le sable et la ronde des dunes ou cette chemise blanche qui se pend dans le vide sans toiJe vais en parler aux oiseaux
et à mon voisin de bistrot
Si j’ai le cœur froid
Ils me diront d’aller moucher mes peines
dans l’eau salée de la Mer morte
Elle est si loin
J’aurai oublié pourquoi je pleure16 janvier 2020
Entretien avec Clara Regy
Vous me dites que vous ne songiez pas, ou plutôt que vous n’osiez pas « faire lire » ce que vous écriviez… Ce « besoin » d’écriture ne semble pas nouveau, est-il alors, indiscret de vous demander ce qui a pu déclencher ce désir de « montrer » ce que vous produisiez « en silence », « en secret » ?
J’écris depuis longtemps, des petits morceaux de tout et de rien sans doute. Mais ce sont mes peintures et dessins que j’ai montrés progressivement à mes proches qui m’ont amenée ensuite à faire découvrir quelques-uns de mes textes, des brouillons souvent. Les textes, comme une suite. Je suis plutôt réservée dans la vie mais j’ai pris le temps d’aller au bout de certains textes, donc de les faire lire. Aller au bout, ça me paraissait loin et difficile. Je ne vais pas toujours au bout des choses. C’est parfois plus confortable de les garder en soi, on évite le regard extérieur. Là je sens que j’avance un peu même si je suis encore loin.
Votre écriture semble se nourrir d’arts pluriels ; peinture, dessin, théâtre que vous pratiquez « en toute modestie » dites-vous, mais aussi de la littérature, du cinéma et de la danse. Si cette « ouverture » joue un rôle particulier dans votre écriture, on y trouve aussi les traces de l’univers familial, comment parvenez-vous à « mêler » tout cela ?
Je me nourris de tout ce que je vois, lis, entends, des autres et j’ai souvent le sentiment de marmonner mes petits mots sur du papier ou mes dessins avec maladresse. Quand je vois des corps qui dansent par exemple et me racontent des histoires, combien ils font exploser les émotions, je suis très admirative. Quand je vois un spectacle, quel qu’il soit et cette capacité qu’ont les artistes à chercher en permanence, ça me trouble beaucoup.
De la même façon, un texte qui touche, c’est un spectacle inouï.
Et si ça résonne chez moi, alors peut-être qu’un mot, une phrase, un visage, une situation, une couleur, un trait me donnent une petite clé pour un texte.
« L’univers familial », plus largement, les choses de la vie, la vie des autres aussi, me font écrire, c’est vrai. J’écris beaucoup sur ce qui déborde un peu chez moi et autour de moi mais j’ai envie que chacun puisse se raconter sa propre histoire.
Alors j’emmêle un peu tous ces fils et j’essaie de leur donner un peu de corps.
Je garde les textes que je lis à haute voix et que je dessine parfois, au moins dans ma tête. J’ai besoin de voir des images quand j’écris.
Vous évoquiez « la littérature », difficile de ne pas vous demander, si certains auteurs, poètes ou pas, vous guident, vous inspirent, et pourquoi pas : vous sont indispensables ?
Je ne sais pas si certains auteurs me sont indispensables mais la lecture, oui. Je lis beaucoup.
Des auteurs que j’aime, il y en a beaucoup, la liste est longue et il y en a tant à découvrir mais je parlais de la littérature au sens large. Par exemple, je suis touchée par Virginia Woolf, Charles Juliet ou Bernard Noël autant que par les textes de Bashung, Thiéfaine ou Kate Tempest. La littérature est dans le cinéma de Cassavetes, de Sautet, de Xavier Dolan ou dans le théâtre de Lagarce ou Dennis Kelly. Ils brillent. Ce sont des sorciers.
Question subsidiaire : si vous deviez définir la poésie en 3 mots…
C’est tant, tout, partout. C’est comme l’amour, l’errance, la mer.
Sarah Pheulpin
Née en 1971 à Lille, dans le nord de la France où je vis et travaille.