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Sophie G. Lucas

samedi 14 décembre 2013, par Cécile Guivarch, Sophie G. Lucas

Sophie G. Lucas, née en 1968 à Saint-Nazaire, vit à Nantes. Publications en revues : Décharge, N4728, Contre-allées, Dans la lune... Membre de la maison de la poésie de Nantes.

Extrait de Ouh la géorgie

je suis un gens sur la place à compter les sacs plastiques comme des méduses
échouées il est soir et tout le monde s’est éteint je ne parlerai plus à personne



Extrait de Nègre blanche

14.
les pères ça meurt elle secoue sa tête commele mauvais sort boutons de son tricot cassés frotte le corps de mon père et toujours prenons le bouillon

21.
nous aurions pu marchant côte à côte sans nous toucher sans nous parler livrés aux marées un dimanche par mois devenir un père une fille



Extrait de Sous le ciel de nous

dans ton endroit
ma bouche peut longtemps
se taire
et toi brillance dire
de fond en comble
le monde
je regarde tes mots
tes dents
et je me fiche
bien de la révolte
qui dedans



Extrait de Panik

elle avançait bleue la rivière et les cailloux battant sa nuque soleil à tête écrasée
derrière les peupliers des heu-res arrêtée elle priait bleue qu’on ne la retrouve pas

*

on rentre la tête les mains les pieds on résiste on ne voit pas où ils veulent en venir non on ne voit pas les révoltes qui tournent court toujours on se tait qu’ils ne nous entendent pas à peine on respire qu’ils ne nous voient pas vivre surtout qu’ils nous oublient



Extrait de Moujik moujik

francis,

je suis mort à l’autom
ne de froid
dans ma tente que
chua kaki/blanche
ça s’est arrêté pen
dant la nuit sans
crier gare
les autres m’ont trouvé
raide dans mon du
vet venaient me
chercher boire un
coup
trois jours que je de
vais être là
le chien sur mes
pieds
je suis parti dans
un sac
ils mettent des gants
et des mas
ques pour
se débarrasser de nos
corps
après je sais pas où
ils m’ont mis il
paraît qu’il y a
des carrés
d’indi
gents dans
les cimetières
à part



Extrait de Se recoudre à la terre

on n’en fait rien de
la neige
(toute l’épaisseur de
ce monde dans une fenêtre)
tout juste se demande-t-on
comment ce sera une fois
que tout aura fondu
si la vie sera la
même
et si c’est bien la neige
qui bloque les siens
dans le
silence



Extrait de Prendre les oiseaux par les cornes

A la radio on m’apprend que je suis pauvre. Je vis en dessous du seuil de pauvreté. Je bois un thé vert Gunpowder. Je suis assise dans le soleil dans la maison. Dans un rond. Un merle soulève des feuilles avec son bec. Tout à l’heure j’irai dans le jardin arracher quelques carottes. En attendant j’ouvre un livre. En attendant je ne me suis jamais sentie pauvre.

___
___

Après sa chanson Dancing barefoot je me dis que je coucherais bien avec Patti Smith. Mais je ne la connais pas. Me dis-je en mangeant le ciel dans ma soupe un pied nu dans le jardin l’autre battant la musique sur le carrelage.



Extrait de Notown

dans la rue les chaînes les cadenas
les carcasses de voitures
les chaises de jardin sur les routes
les bateaux les canapés les meubles sur les trottoirs
les trous dans les grillages
les panneaux de basket déglingués
les rideaux des magasins tirés
d’autres à moitié soulevés pillés
les traces d’incendie sur des façades
(c’est comme une guerre elle se dit)
et puis une pancarte des flèches
indiquant un chemin entre des maisons
qui dit
SI TU VAS PAR LA BONNE CHANCE
(mais elle ne sait pas où elle va)



Extrait de Carnet d’au bord

Eté 2011

« Je crois que je vais écrire sur la pluie. Il pleut » Marguerite Duras

Juin,

Je n’écris plus.
Je n’écris pas depuis un an.
Plus rien ne me traverse. Je suis vide. Je sonne creux.

Je voudrais être toutes les autres vies. Celles qui sont en vie.

Je marche des heures.
Je me nourris de terre, d’écorce, d’eau boueuse, de ciel gris.

Un jour on n’écrit plus. On ne sait pourquoi.
Quand c’était exercice journalier depuis plus de vingt ans.
Ce qui a tenu, tissé, raccommodé ma vie d’un coup se découd.

La perte d’un soi ou la perte de soi.

Il pleut, le vent, la solitude espérée.

Je m’arrache au quotidien pour me mettre à la table.
Rien ne vient, là, sous l’à peine lumière du jour.




Bibliographie

  • ouh la géorgie (Gros Textes/Décharge, Coll. Polder n°126, 2005)
  • Nègre blanche (Prix de Poésie de la Ville d’Angers 2007, Ed. L’Idée Bleue)
  • Sous le ciel de nous (Contre-allées, 2007)
  • Panik (Le Chat qui tousse, 2008)
  • Prendre les oiseaux par les cornes (Le Chat qui Tousse, 2010)
  • Moujik moujik (Les Etats Civils, 2010)
  • Se recoudre à la terre (avec neige) (Contre-allées, coll. Lampes de poche, 2011)
  • Participation à l’anthologie franco-allemande « La vie est une fête » (Ed. En forêt, 2011)
  • Notown (Les Etats Civils, 2013)
  • Carnet d’au bord (Potentille, 2013).

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