Sylviane Dupuis, poète, auteure de théâtre, essayiste et critique, est née en 1956. Après des études de Lettres et d’archéologie, elle a enseigné la littérature au Collège Calvin à Genève et (de 2005 à 2018) au Département de français moderne de l’Université de Genève, où elle vit. Elle se consacre aujourd’hui à l’écriture. Elle a publié six livres de poésie, six pièces de théâtre (dont La Seconde Chute, créée à Genève, Zurich, Paris, Cracovie, Siauliu, Montréal et New York), un poème théâtral : Cantate à sept voix, deux essais, et un livre d’aphorismes sur la définition de l’art. Prix C. F. Ramuz de poésie en 1986, elle est boursière de l’Institut suisse de Rome en 1988-89. Parallèlement à la poésie, elle se met ensuite à écrire pour le théâtre – mais aussi sur les autres arts : danse, peinture, photographie, et collabore souvent avec d’autres créateurs. Comme dramaturge, à trois spectacles de la metteure en scène allemande Claudia Bosse (pour qui elle écrit Moi, Maude, ou la Malvivante, créée à Genève et à Berlin) ou à La Folie d’Héraclès d’Euripide, mise en scène par Bernard Meister à la Comédie de Genève. Et comme poète à trois chorégraphies de Noemi Lapzeson (pour qui elle écrit Théâtre de la parole), ou encore à des livres d’artiste. En 2000 et 2002, elle donne des ateliers d’écriture pour jeunes dramaturges à Bamako (Mali). Elle est co-fondatrice de la première Maison de la littérature de Suisse francophone, la Maison de Rousseau et de la littérature, inaugurée à Genève début 2012.
Traduite en dix langues, elle a également publié plus de trente études critiques sur la poésie et la littérature (en particulier suisses d’expression française), et plusieurs colloques, ainsi que des chroniques et des poèmes dans de nombreux journaux ou revues littéraires. Boursière, en 2000, de la Fondation Leenaards (Suisse), et lauréate du Prix des Journées de Lyon des Auteurs de théâtre en 2004, elle reçoit en 2012 les Palmes académiques (France). Elle fait partie depuis 2012 du jury du prix Louise Labé.
Extraits de Creuser la nuit, Empreintes, 1985. Réédition Empreintes, Poche Poésie, 2000.
Ni
faire durer ce qui
est, ni même
décrire :réveiller le dedans
des choses endormies
est son lotART POÉTIQUE
***
La main trouée du dieu
ne me guiderani
le plaisir même
ni rien d’autre horsl’inassouvi
DÉCRET
***
Creuser
– seule loi, pour qui encor s’obstine
à désirer : l’espace autour de nous
a fondu, là-bas n’est plus
qu’au-dedans – seul
labyrinthe***
Sont-ce pierres enfouies
qui remontentou notre désir comme une main
– fouillant l’être
et qui cherche à se dire(lui l’unique)
sous des hardes
d’emprunt ?– Savoir d’où les mots
naissent, de quelle nudité ivre,
ce remuement
du centreALCHIMIE DU VERBE
Extraits de Figures d’Egarées, Empreintes, 1989. Réédition Empreintes, Poche Poésie, 2000.
I
Ridées par l’usure noire
des larmes, et qui attendent
– ô vous irréprochables :
de quel inépuisable
deuil faut-il que jour à
jour vous remâchiez la pauvre
et l’oubliée douleurII
Vaine,
sa plainte, vaine !
Elle errera toujours
parmi les fleurs
gelées,
l’épouse perdue d’Orphée
sans yeuxIX
Noyée, mais dans
ce qui n’est pas
– pesante âme
disloquée,
mâcheuse d’infini, elle
dure, elle
persévère dans l’incongru
psaume incessant de sa
plainte
Extrait de Odes brèves, Empreintes, 1995.
LECTURE DU JARDIN
Au sein de ce condensé d’univers,
garde-toi d’aller au hasard !
Que d’abord, négligeant
l’art et la nature, ton oeil
s’empare du milieu
– où se tient, noir fragment
du temps, le poème de pierre.(A cette clé silencieusement
tout est subordonné,
comme l’est au cœur la pulsation du sang
ou la circulation des souffles.)
Extraits de Géométrie de l’illimité, La Dogana, 2000. Réédition Empreintes, Poche Poésie, 2019.
Double
miroir :
tantôt nous sommes l’un à l’autre
dédale gouffre engloutissement
et tantôt ciel et passage des vents
ou lacMiroirs
***
Labyrinthe des pieds
qui se cherchent (et des mains) :
corps à corps où se réinventent
le cycle des constellations
le va-et-vient des vagues, et la
coïncidenceUnion
***
L’impalpable splendeur de toujours
erre au cœur d’aujourd’hui
éperdue, se cognant
au vide
cherchant âme
qui vive, dans le noir
dans l’ossuaire de nos rêves– et où danser
Orpheline de ce temps
qui vais endédalée parmi les sourds
j’entends
l’amour silencieux qui veille
et lève sur son lit
de cendresOù danser ?
***
Pierre, pierre
petite âme
enchantée
hâte-toi
bondis vers
l’issue
là-bas qui est un
commencementMarelle
Extrait de Poème de la méthode, Empreintes, 2011. Réédition Empreintes, Poche Poésie, 2019.
BIRKENAU
Cendres
lac
partout : odeur de cendre
invisible
furent
corps
furent
cris
furent de l’humain
éparpilléoù maintenant ?
qui, maintenant ?par millions
lac-tombeau que rien n’émeut
ni le silence
ni le retour obscène
des fleurs
ni chaque hiver la blancheur
de quel pardon imprononçable
revenir de Birkenau
tel qui remonterait nu de chez les morts
ayant perdu son nom et ses larmesvers qui ? vers quoi ?
ô ce visage de solitude
qui interroge sans plus rien
vouloir,
démuni, si démuni
désormais
ne sachant plus
Extraits de Poèmes du mur, parus dans La Revue de Belles-Lettres, 2016 / 1, pp. 81-87.
(Poèmes extraits d’un livre en travail issu du « Journal d’atelier » de mars à août 2015 publié sur le site de Poesieromande.ch, dans le cadre d’une « Résidence d’écriture virtuelle », à l’adresse :
http://www.poesieromande.ch/wordpress/sylviane-dupuis-mai-2015.)
Mots-kaddish
mots-sourates
mots-psaumesvieux mots de passe
usés, vieux mots
de la ferveur, qui escaladiez l’air :
faut-il
vous réveiller, dans la monnaie en ruine
des prières,
vous démailloter tel Lazare comme chant qu’on déroule ?Et sauriez-vous encore
réparer l’irréparable, et coudre
un Nom et une plaie
à l’autre ?Pas
d’autre ciel,
plus
de hauteur :
humains mots nus
appelantHorizon des prières
***
Hors les murs
cette tente fragile
à même le sable
ou la cendreinvisible insurrection abstraite
dressée mot à mot
dans l’ouvertabri
provisoire
pour l’âme déracinéeracine
mobile
désancréemaison de mots
pour l’exilé
le sans-lieu– ou pont jeté sur l’air
par-dessus les têtes de l’espace et du temps [1]
et d’un inconciliable
à l’autreDéfinition du poème
Bibliographie
Poésie
- D’UN LIEU L’AUTRE, Lausanne, Empreintes, 1985
- CREUSER LA NUIT, Torino, Albert Meynier, 1985. Prix de Poésie C. F. Ramuz 1986
- FIGURES D’ÉGARÉES, Lausanne, Empreintes, 1989, Jasmin d’Argent – Prix international francophone 1996
- Odes brЀves, Lausanne, Empreintes, 1995
- Épigraphies, tirage limité de sept poèmes, avec sept eaux-fortes originales de Jürg Straumann, Bern, Kunstkeller Bern, 1996
- D’un lieu l’autre suivi de creuser la nuit, suivi de figures d’ÉGARÉES, Préface d’Antoine Raybaud, Moudon, Empreintes, coll. Poche Poésie n° 9, 2000
- GÉomÉtrie de l’illimitÉ, Genève, La Dogana, 2000
- ThÉÂtre de la parole, poème théâtral (édition bilingue français-italien), Postface de Monica Pavani, Faenza, Mobydick, 2004
- CANTATE À SEPT VOIX, poème théâtral, Genève, Le Miel de l’Ours, 2009
- Poème de la méthode, Chavannes-près-Renens, Empreintes, 2011, Prix Pittard de l’Andelyn 2012
- GÉomÉtrie de l’illimitÉ, suivi de Poème de la méthode, Avant-propos de Pierre Chappuis. Préface de Dominique Kunz-Westerhoff, Moudon, Empreintes, coll. Poche Poésie n° 27, 2019
Essais
- Travaux du Voyage, Genève, Zoé, 1992
- À quoi sert le théâtre ? (postface d’Eric Eigenmann), Genève, Zoé, 1998
- Qu’est-ce que l’art ? 33 propositions (postface de Carole Talon-Hugon), Genève, Zoé, 2013. - réédition 2015
Théâtre
- La Seconde Chute, Genève, Zoé, 1993 (rééd. 1996)
- Moi, Maude, ou la Malvivante (bilingue français-allemand), Genève, Zoé, 1997
- Être là, Genève, Zoé, 2002
- Théâtre de la parole / Teatro della parola, Faenza (Italie), Mobydick, 2004
- Les Enfers ventriloques, Chambéry, Comp’Act/L’ACT MEM, 2004 (rééd. 2009)
- Le Jeu d’Ève, Genève, Zoé, 2006
- Cantate à sept voix, poème théâtral, Genève, Le Miel de l’Ours, 2009
Photographie : Yvonne Böhler
Page préparée avec la complicité de Françoise Delorme
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