Avec Sabine Péglion, nous nomadisons, à travers les pages, vastes, franchissables, de son recueil lumineux : Traversée nomade. Elle nous invite à « partir entre les mots », qui « dessinent un chemin / brisent le silence ».
On embarque pour un temps en marge du temps
Sa poésie, jalonnée de lieux inscrits dans sa mémoire, demande à la fois d’éterniser et de se « dé saisir » de cette « géographie des souvenirs ». La poète pousse un « portail rouillé » pour revenir sur ses pas et tâcher de fixer les instants.
À l’envers de nos corps
est-ce l’immensité
du vide et de l’absence
qu’il faudra conjurer
De ces parfums d’eau vive
de ces éclats ces rires
de ces voix envolées
que nous restera-t-il
Quel souffle recueillir
Comment trouver encore
l’empreinte de nos mains
la chaleur de nos gestes
l’harmonie de nos pas
Elle ouvre également de nouvelles portes – qui « glissent aspirent » – sur un inconnu vers lequel elle peut s’avancer confiante. Un monde fait de mots, « compagnons de voyage », « auxquels l’on croit / comme on tend une main ».
Vers quelle terre australe à la croisée de nos
mémoires et de nos désirs s’orienter ?
Emprunter à nouveau ce chemin après tant
d’années sans attente dans l’abandon de la
découverte Espace où nos corps s’impatientent
Nous sommes encouragés à partir, malgré la fatigue, pour « écarter la part d’ombre » et « dénouer les larmes ». Laisser derrière soi les « éclats gris Odeurs de kérosène », l’acier qui « froisse la brume » de nos rêves, les « mécaniques sans âme ».
Minérale mer grise
l’étrave qui se brise
vers l’âpreté du sel
le ressac des galets
– il est un temps de ciel
et de rêve arrimé –
Affronter et se « dé partir » des cieux éteints que des « oiseaux gris » sillonnent, des « jours liquides gris de silence et d’amertume », où les corps « se frôlent / Sans désir de rencontre ».
L’enfant aux mains levées a lâché le ballon
ravi de son vol libre et des regrets qu’il lit
Les textes de Traversée nomade, émergeant de la cendre silencieuse du soir qui enveloppe l’absence, sont traversés de lumière et de « vent heureux », de parfums de terre et de résine, de douceur et de couleurs : le bleu des agapanthes, des fleurs de lin, de la mer ; le rouge des « tomates que l’on cueille / pour retenir l’été » ; le jaune éclatant d’une forêt de mimosas en fleurs ; « la présence rose / d’un magnolia »... avec cette volonté de placer le beau au centre de la vie.
Accepte que se déposent
bleu de source dans le creux
de la roche claire
la mauve et le chardon unis
pour recréer le ciel
La pierre se fait chair
accrochant la lumière
Dans la paille des herbes
recueille enfin le jour
Ces poèmes nous disent l’importance de ne pas laisser s’éteindre le voyage, en faisant couler dans nos veines et vibrer dans nos corps la précieuse intensité des jours. Ils nous offrent des fulgurances salvatrices.
Sabine Péglion, Traversée nomade, Sous la lime, 2013 – livre-CD avec des aquarelles de Jacques Bret. Interprétation des textes par Claude Aufaure, avec des illustrations musicales et un entretien avec l’auteur sur le processus d’écriture.
Sabine Huynh
mai 2013
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