paru à L’herbe qui tremble, 2017
Il y eut dans ce vingtième siècle qui s’éloigne une femme étonnante, médecin psychiatre, qui s’attaqua à la souffrance des enfants , sachant par elle-même de quoi elle parlait. Elle inventa une « poupée fleur » pour ces petits qui n’arrivaient pas à entrer en relation avec un visage humain, terrorisés qu’ils étaient par une ancestrale peur...
Poupée au corps d’enfant, faite d’un chiffon très doux, à la tête de marguerite.
La peur cédait. Il y eut presque des miracles. Elle créa aussi « La maison verte » pour abriter les enfants et leur poupée.Elle permit ainsi à de nombreux petits en errance de se tourner vers le visage des hommes, de nouer relation et parole , d’habiter enfin un monde qui les avait d’abord pétrifiés, terrorisés.
La fleur les avait-elle « apprivoisés » ?
En découvrant VOLTIGE, ce beau recueil de poèmes d’Isabelle Lévesque, j’ai pensé à Françoise Dolto, à cette poupée à la tête de marguerite qui faisait passage vers le visage humain et vers le commencement de son monde.
Naisse encore le jour:reviens,
cesse le jeu, la danse fauve,
pré, centaurée, papillon nu dans le vent.Encore un jour rival, retiens mon souffle,
près tu n’oses.Nulle hypothèse le vent la fleur,
soyons ici vainqueurs.Dansons.
Dans ce recueil, nous roulons dans le vert, le jaune, le rouge ou le bleu. Partout, des fleurs. Elles forgent ainsi passage, sans cesse, vers notre essentiel. Ce qui aime, ce qui vibre, ce qui espère. Ce qui nous met au monde. Ce qui est vivant en nous. C’est un livre mystérieux, qui nous ouvre notre propre mystère, et la beauté du monde, la force de la vie. Protégés, baignés, réconciliés par la force de cette nature qui nous abrite et dont nous venons. Qui nous pousse dans le sang.
Vécue sans ombre, ta peine,
escouade en vol et saigne somnambule.
Tu entoures le fil de nuit bleue, ciel.
Sur le pas de côté l’apparence immobile,
ta porte s’ouvre. Je considère pour te garder
l’ordre invisible des blés, la moisson
voisine. Je crains de perdre le peu d’ombre.
Si tu rêves, je recompte à l’infini.
Le nuage océan rejoint la Bretagne,
ton doigt le suit.
Ma peine entrée en toi revient, les mots
s’accrochent terribles :
le chèvrefeuille et son lai, le coquelicot le bleuetsoupirs.
Nous sommes liés par les jours
bleus comme les nuits.
Comme la poupée fleur de Françoise Dolto redonne vie et visage aux petits qui souffrent, le monde d’Isabelle Lévesque, où dansent les fleurs avec le ciel et avec nos lèvres, vient calmer nos angoisses et nous aide à rester au monde.
N’est-ce pas ce que, toujours, se doit d’être la poésie : nous permettre d’habiter le monde et nos vies difficiles.
POUR VIVRE ICI dit le poème, en même temps que POESIE VIVRE AU-DESSUS !
Es-tu le corps du signe,
la décimale arrêtée, l’aiguille
seule
au milieu de la fleur épinglée ?Es-tu l’arrête le point presque plus rien
qui perce encore, battant rouge ?
Bras levés, peux-tu toucher
ce qui n’existe pas ?
Bleu immense,
démesure, toile sans fil,
corps mi-dieu mi-jour
(ta ramification),
la proie le cœur
coquelicot.
ET , encore celui-ci :
Dans tes yeux
la fleur bleue me trouble.Couleur hâte, les bleuets se lèvent tôt. C’est
coquelicot mon cœur : heure, jour, rebond.Sur tes lèvres
mes mots fleurissent.(Je suis
coquelicot.)
Claudine Bohi