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Yann Miralles

samedi 20 avril 2013, par Jean-Marc Undriener

extrait de Ô saisons ô

[lilas]Poème d’un été 2[/lilas]

ton corps à demi dans l’eau
c’est soudain – pour un moment :
___________celui-ci – comme plonger
____pleinement dans l’été

_ _ _ _

ton corps à contre-jour
____vu de là – dans le soleil
_______et la trace dorée qu’il laisse
___________sur l’eau, qu’il abreuve / qui
____l’abreuve, et toute la mer autour – ton corps
est tout-à-coup si proche
____tellement

_ _ _ _

pour un moment le monde
est comme sous cloche :

– le ciel incurvé bleu violacé : comme un grand livre ouvert et deux pages pliées
sur nous la plage
– la mer embrassant l’arrondi du monde,
l’horizon net et au-delà
– sur l’eau le pinceau d’or du soleil : image non anémiée,
amicale même
– et ce métal de la surface se méta-
phorisant soudain en vin : oui la mer couleur de vin
– le clapotis des voix partout :
proches & lointaines
– les corps d’été autour, mais désarmés, seulement là
& en familles
 : tout cela
qui mêle l’ici & le là-bas,
les unit – pour un moment

comme un monde sous cloche
mais respirant

_ _ _ _

les vagues viennent,
________plaques
___________se superposant
____et s’unissant d’écumes
jusque là – se font offertes
____et continûment proches

_ _ _ _

tes petits pas dans l’eau – tout le non-vu
____d’en dessous : tes jambes
________que j’imagine bondissant
____et qui meuvent
le buste beau de mon langage

_ _ _ _

ton corps à contre-jour
se reconnaît entre dix-mille :

________à ses épaules – même
____de loin : quelque chose de puissant
____et malgré tout des attaches fines
____comme on dit – et sur quoi
s’appuyer / appuyer
pour un moment mon poème

_ _ _ _

entrant dans l’eau et
lentement t’éloignant – point
dans le soleil et sa trace de bonheur doré – puis
revenant
grandissant à mesure
et découvrant épaules, buste, cuisses, racines
lexicales-sémantiques – c’est toujours
pour un moment
ta présence
ici ou là

_ _ _ _

l’été la plage
le monde autour
de toi – tel
que cela fut / a été / est
le poème d’un été




Mini entretien avec Cécile Guivarch

D’où viens l’écriture pour toi ?

D’abord de la lecture. Bien sûr, il y a la vie quotidienne, les rencontres, les voix des autres… Mais le goût d’écrire m’est venu – et me vient souvent, pour de nouveaux poèmes – d’un livre lu, d’une page feuilletée dans une librairie, de telle phrase de roman, de telle coupure de vers, de telle forme, de telle image, rencontrées chez les autres, et qui, la plupart du temps de manière inattendue et discrète, donnent un nouvel accès au réel, comme ouvrent de nouveaux horizons – et déclenchent d’autres mots, plus personnels.

Comment travailles-tu tes écrits ?

Tout commence souvent par un assemblage de mots, une formule, qui devient une sorte de motif-thème à tresser, démêler, développer. Autrement dit, le poème se fera à partir de la virtualité de sens et d’images que contient cette formule, et qui n’est pas séparable d’un travail sur, tout simplement, les réseaux prosodiques qu’elle peut créer. C’est pourquoi j’aime les « ensembles », les poèmes qui se déploient sur plusieurs pages, ou qui assemblent divers fragments. Je pense par exemple au « travail au drap rouge », qui est la traduction que Florence Delay donne à la faena de muleta (un « tiers » de la corrida), et qui a donné son titre à un texte paru sur Publie.net. L’ensemble s’est ainsi constitué par développement (ou creusement) des thèmes de la tauromachie, de la danse, du tissu (le texte comme un « drap » etc.), du « rouge » de la blessure, du sang, et aussi donc de la naissance… mais également par développement (ou creusement) d’une certaine prosodie qu’on trouve dans les mots « travail » (le tr- m’occupe beaucoup !) ou « rouge ». Je pense aussi, dernièrement, à un ensemble écrit à partir de quelques mots soudain venus lors de la naissance de ma petite nièce : « ce que ses yeux peuvent voir / qui le sait », et qui donnent lieu à un travail (encore !) sur le regard, la pensée, la mémoire, les traces (voilà le tr- !) qui font nos vies…

Quelle est ta bibliothèque idéale ?

Bibliothèque idéale, je ne sais pas. D’abord parce que je ne me considère pas comme un grand lecteur (quantitativement parlant) ; et aussi parce que cela m’obligerait à considérer des œuvres de toutes époques et civilisations – et ça me dépasse ! Je préférerais donc me cantonner à des textes de l’extrême-contemporain, qui ont été ou sont, justement, des déclencheurs d’écriture, des moments de surprise (souvent émerveillée) et de remise en cause de ma conception du poème, mais avant tout des grands plaisirs de lecture. Hormis la Bible, que je citerais volontiers en premier, et qui est pour moi un puits inépuisable (et toujours actuel) de voix (lisez par exemple la traduction des psaumes par Henri Meschonnic – quelle force dans la simplicité !), voici donc (parmi bien d’autres noms que je pourrai donner) : Henri Meschonnic, encore, pour sa pensée sur le langage et le poème ; les poètes que sont James Sacré (très apprécié sur ce site, je crois !), Emmanuel Laugier (pour son travail sur la coupe, sur la rémanence), Stéphane Bouquet (pour sa manière de reprendre dans la poésie française quelque chose de très américain, un mélange d’objectivisme et de subjectivité assumée, avec de constantes et heureuses inventions de langue) ; et enfin le travail de Georges Didi-Huberman, surtout Le Danseur des solitudes, qui est pour moi, tout ensemble, un grand livre (bien qu’il soit assez mince) d’admiration au danseur Israël Galvan, de pensée, de philosophie, d’esthétique, d’histoire de l’art – en somme un vrai poème !

une bio biblio

Je suis né en 1981. Je vis entre Avignon et Nîmes, dans le Gard.
Quelques textes ont paru dans des revues (Décharge, N4728, Le Mange-Monde, Arpa, Remue.net, Contre-allées, Résonance Générale…) et sur le site Poezibao.

Deux livres
Travail au drap rouge, Publie.net, 2009.
Jondura jondura, Éditions Jacques Brémond, 2011.

En micro édition
horizontal, coulant, Livre Pauvre, 2010.
Quelques flèches d’ici (pages), Trames, 2012.
traversent la nuit (avec Éric Demelis), Éditions Centrifuges, 2012.


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1 Message

  • Yann Miralles Le 4 avril 2014 à 10:30, par framboise

    je te découvre et j’apprends à te connaitre
    Que de richesses (et quelque fois un peu obscur pour moi...) dans ce que tu dis et écris
    A travers ces mots, tes mots, c un peu d’intimité que tu dévoiles,
    et pourtant tu es si secret et discret dans ta façon d’^^etre

    Tantinement ,

    , Framboise,

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