Une vidéo-poème de David Christoffel : Nawac (11 avril 2008), qui sera exposée à partir du mois de septembre au Centre International d’Art contemporain de Carros, dans une exposition autour de Jean Raine (commissaire : Marcel Bataillard).
Prenons Nawac : images raides de lanterne magique, auxquelles David Christoffel ôte donc le raides sartrien. Cadrage singulier (volontairement distrait d’une visée) de l’auteur, amenant sur le plateau (repas, mais aussi théâtre devenu cinéma) un corps déconstruit. Déconstruit pour être réduit aux mains, le plus souvent. Et cela pour faire parler. Car les mains parlent. Les mains, c’est le corps réduit à ce qui en lui n’est pas convenu. Tant il est vrai qu’il n’est pas possible (n’en déplaise à l’Actors Studio et aux psychologues pour DRH) de rattacher un mouvement de main au déploiement d’un sens, a contrario des expressions du visage qui avant même de se voir portées par le sens du dire (ce moment où les bouches vont parler et où elles ne parlent pas encore) le font se tordre, le font fléchir, le font capituler, le conduisant dans une certaine direction. Mais les mains seules, est-ce encore du corps ? Si le corps c’est l’espace où l’on reconnaît l’inscription de visages, les mains, c’est du corps en devenir. C’est du corps qui n’est pas encore ce en quoi l’on peut reconnaître l’intensité d’un corps (qui est d’être ce qui nous conduit au visage, autrement dit ce qui nous conduit à l’existence du même, autrement dit ce qui confirme, dans son surgissement anodin, notre propre existence). C’est du corps pas encore tout à fait corps et que l’on regarde, observe, dévore des yeux, attentif, pour cela même. Pour cette promesse de croissance qu’elles portent en elles, ces mains. Croissance d’un cadrage qui ferait que serait pris en compte l’ensemble d’un corps. Et serait ainsi confirmée l’existence de notre corps comme ensemble. Christoffel le sait, et pour interdire l’actualisation de cette promesse que porte en elle tout cadrage, fût-il dénaturé et fût-il réduit à sa plus simple expression, il utilise le flou.
Nécessité absolue du flou : les images sont floues parce que chaque morceau du monde, fût-ce une chaise, fût-ce une table (puisqu’il s’agit là d’un déjeuner avec Igor Delmas), porte en lui un sens qui est le pré-acquis du visible et que l’opération du voir vient plaquer sur le vu, avant même que cela soit véritablement vu (compris comme vu). Au-delà de toute figuration du visible, les images parlent, amincies, c’est-à-dire ouvertes à leur seule symbolique, mouvante symbolique où chaque position de la main fait danser l’air et ouvre chaque fragment de sens nouveau d’une gestuelle qui naît et renaît à mesure qu’elle s’affirme (au-delà de tout enracinement temporel et idiosyncrasique qui soit l’enracinement d’un corps) sur un questionnement intérieur. Celui de Christoffel repris à son compte par le spectateur.
Un questionnement sur le silence. Sur le sens du silence. Questionnement qui prend à partie le silence, le faisant exister, au sein même de la matière sonore et musicale, car le silence est cela même qui peut être dévisagé au plus profond de notre trouble.
Du trouble qui s’assoit en nous-mêmes pour épouser l’ensemble des contours de notre intériorité quand on prend en considération l’humain. C’est-à-dire quand on s’aperçoit que l’humain est placé au cœur même du battement du temps et du sens, battement qui s’organise depuis le commencement de l’univers. Le silence est ce qui paraît quand l’humanité est regardée dans le blanc des yeux et que la finitude du monde, et que l’irrévocable du sens jaillissent dans la conscience. « Nous allons parler d’une chose qui ne peut pas être dite. Nous voudrions nous rendre à cet endroit que nous ne dirons pas » (L’Étouffoir oxygéné). Et très doucement, Christoffel s’y rend.
Matthieu Gosztola