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ANIMAL(S) livre de plein air et de sous-bois, de Sylvie Durbec, par Béatrice Machet

jeudi 8 juillet 2021, par Cécile Guivarch

ANIMAL(S) livre de plein air et de sous-bois, de Sylvie Durbec, Propos2 éditions, 1er trimestre 2021, 147 pages, 14 euros.

La quatrième de couverture, outre Ovide et ses métamorphoses, outre le cinéaste d’animation Hayao Myazaki, évoque Judith Schlanger. Cette philosophe Israélienne, dans son livre L’humeur indocile, nous fait traverser les vies de femmes particulièrement remarquables et inventives, qui ont eu l’énergie de s’émanciper, qui se sont jetées à corps perdu dans des vies fortes et intenses, inédites.

Le livre s’ouvre avec trois citations en exergue qui introduisent une promenade imaginaire (Primo Levi), la petite fille aux pas perdus et au cœur rouge (James Sacré), et enfin l’idée qu’à la disparition de l’être humain reste l’animal (Aliona Gloukhova). La deuxième page laisse entendre une réflexion sur la définition de l’animal : par où ça commence… ?

Quatrième de couverture, citations en exergue et réflexion sur la frontière supposée entre animal et humain, sans doute là sont livrées quelques clés de l’ouvrage.

Et ça commence par la course échevelée de Dulle Griet, personnage du folklore Gantois peinte par Brueghel (Margo la folle), une tronçonneuse à la main !

Lisant les première pages :

  • On comprend que les humains une fois morts deviennent animaux.
  • On suit les aventures d’une nonne devenue corneille après sa mort.
  • Elle rencontre un cerf qui n’est pas Actéon et elle n’est pas Diane mais … on ne peut s’empêcher d’évoquer ces personnages mythiques.
  • On écoute les souffrances d’un homme-enfant maltraité par sa famille, devenu loup.
  • Une petite fille sauve le loup des militaires en le faisant passer pour un chien, puis elle devient fauvette. Le chef des militaires mourra à son tour …
  • « L’action » se passe en Suisse puisque les rivières nommées sont le Nozon et la Venoge.
  • La petite fille s’appelle Heïdi, elle n’est pas le chaperon rouge bien qu’on la voie ainsi, bien entendu ! Elle n’a que huit orteils parce qu’en réalité elle est une vieille personne à qui on a enlevé injustement deux orteils en guise de punition.

Et poursuivant la lecture :

  • Une sorcière se transforme en renarde.
  • On rencontre d’autres animaux comme chevreuil et ours, on rencontre des chasseurs.
  • Une pause est effectuée dans le courant de la narration qui montre en lettres rouges une grand-mère, l’auteure elle-même, et son petit-fils. Comme souvent dans ses livres, Sylvie Durbec mêle écriture et quotidien en une unité de vie. Le quotidien nourrit l’écriture qui fait retour sur le quotidien, sans que soient marqués deux temps d’activité complètement séparés.
  • Les épisodes se suivent, s’enchaînent sur un rythme endiablé et sont aussi prétextes à des réflexions sur la langue (riche ou pauvre), les conjugaisons et les infinitifs, le vocabulaire et la grammaire (« Une bête crève, un humain meurt, / entendez la différence »). Réflexions sur les phénomènes physiques, géographiques et météorologiques, sur l’histoire du monde, sur l’amour, sur la ruse, sur dieu, l’Amérique, le jeu des sept familles, etc.
  • Dans la « vraie vie » nous avons connaissance de l’armée du salut, chez Sylvie Durbec nous avons « une armée du cœur ».
  • De pages en pages on reconnait des chansons, des contes qui ont bercé notre enfance dans lesquels évoluent des personnages archétypaux.
  • Et pour conclure ce parcours, comme un sujet de philosophie posé au concours d’entrée à l’école normale supérieure, « Existe-t-il un pays dont on est l’homme, / et l’animal, / où habiter serait possible ? » La sagesse voudrait « ne pas vouloir de réponse » et ne pas chercher de réponse créerait l’espace pour « ce pays unique dont l’homme saurait se contenter. »

Tout au long du recueil on ressent le plaisir sensuel que Sylvie Durbec éprouve à agencer les mots. Elle joue avec les sons (« N’y a qu’à Niagara »), avec les mots savants ou scientifiques, avec l’étymologie qui renvoie aux temps de l’origine, aux temps anciens, qualifiés d’hercyniens, donc correspondant à l’ère primaire de la terre. Un mot comme caillou aussitôt déclenche dans l’écriture et dans nos têtes de lecteurs, le refrain appris à l’école ; hibou-chou-genou … pou ! Le pudding (« ce qui stratifie ») devient poudingue, l’on entend « doux dingue » et ce qualificatif conviendrait tout à fait au déroulement des « événements » narrés. En sus, Sylvie Durbec joue même avec la langue latine dont est issu en grande partie le français : « arrare humanum est/ solas sylva et terra vita nova sunt » Et cette phrase à elle seule fait entendre le proverbe errare humanum est /perseverare diabolicum, mais aussi le titre de l’ouvrage de Dante : vita nova... tandis que ce qui est écrit dit : labeur (labour) est humain / seules forêt et terre sont vie neuve. D’autres proverbes latins suivront : canis caninam non est, un extrait d’un vers de l’Énéide : « arma virumque cano », mais des proverbes français aussi : comme on fait son lit on se couche, et dans la vraie vie en effet « on » fait le lit de la rivière car les négligences humaines ou les constructions salissent, détournent les eaux… alors « on » se couche dans la pollution et « on » en arrive au dérèglement climatique. Et puis inévitablement, dans la logique du livre et de la narration, est cité « l’homme est un loup pour l’homme ».

Sylvie Durbec a-t-elle lu Pierre Tilman ? Lui qui écrit :

les animaux dans la nature
ont trop de réalité
ils sont poussiéreux
(in Le Choix des couleurs, La rumeur libre -2017)

C’est ce trop de réalité dont est consciente l’auteure, et qu’elle regarde en face. Ainsi, au détour de « l’histoire », sont rappelées quelques abominations sexistes du patriarcat comme la lapidation. Des charges antimilitaristes à peine déguisées, la dénonciation de la dégradation de l’environnement, du goût du profit aux dépens de la nature. Sylvie Durbec nous livre, (comme souvent sinon toujours dans ses livres), des bribes de souvenirs (Marseille), des éclats, des fragments de lectures. Elle évoque ou cite Lenz Georg Büchner, Thoreau, Erwan Rougé, Opal Whiteley, André du Boucher, Paul de Roux, Denise Le Dantec, Antoine Emaz, etc., et enfin Mandelstam à qui sera laissé le dernier mot : rester modeste. L’auteure se laisse embarquer par le flux de son écriture, se son imagination, puis opère un retour d’autoréflexivité et pose la question de l’auteur se regardant écrire : « à demander encore ce que sait un écrivain et ce qu’il ignore au moment d’écrire ».

Revenons au titre : Animal(s), (qui apparaît aussi page 138 et 147 par exemple). Le « s » qui marquerait un pluriel, enfreint la règle qui veut que les mots finissant en al au singulier se terminent par aux au pluriel. Dans le recueil Sylvie Durbec fait une place à une collection d’erreurs (erreurs de langage répertoriées par la mère du loup quand il était encore petit garçon). Gageons que ce titre est dans la liste des erreurs ! Après ce chapitre intitulé collection d’erreurs, vient celui intitulé une suite de questions, et la première que le lecteur viendrait à se poser serait : mais que veut réellement dire animal ? Le mot animal vient du latin animalis, -is qui désigne un être vivant mobile, et qui dérive d’anima, souffle ou air, un mot souvent traduit par âme, nous dit le dictionnaire. (Selon cette définition, il n’y a aucun doute que l’homme soit un animal). Ce « S » entre parenthèses qui figure dans le titre, pourrait donc aussi bien être dans l’esprit de Sylvie Durbec, un vestige de la déclinaison latine… L’oreille qui entend ani-mal, ou bien ani-maux, certainement associe la notion de mal, douleur ou erreur, et déjà confère un caractère péjoratif au mot. Dans L’animal que donc je suis, Jacques Derrida souligne l’oubli de l’animal dans la philosophie moderne. Mais il ne faut pas oublier que le propre de l’homme n’est peut-être pas tant le rire que son animalité ! Et c’est bien avec cette notion que semble s’amuser Sylvie Durbec, grande joueuse, et fantaisiste hors pair devant l’éternel ! Pour le dire autrement : dans le regard de l’animal, l’humain est sans conteste un animal comme les autres ! Derrida toujours : les humains fiers d’être sujets regardent l’animal comme un objet, l’assujettissent jusque dans le langage puisqu’on lui impose le nom d’animal, on le différencie, on crée une hiérarchie là où la conscience du vivant n’en voit pas, là où en réalité il n’y en a pas. C’est ce que les mythes amérindiens affirment : les animaux sont nos frères (et sœurs), au commencement animaux et humains se comprenaient et parlaient le même langage. C’est ce que les contes enseignent, ceux-là mêmes que nous lisons et racontons à nos enfants, ce que les fables suggèrent, et c’est ce que Sylvie Durbec sait bien, elle qui comme personne, garde le lien avec l’enfance : elle a su préserver cette part enfantine, magique, en elle, elle a le goût des récits épiques. Et c’est bien une sorte d’épopée que ce livre dans lequel on suit le loup un peu décontenancé ne sachant pas très bien quoi faire, pris qu’il est entre deux mondes, l’humain et l’animal. On lui conseille de suivre les exemples d’Ulysse, de Virgile et Dante, d’Enée… mais le Loup préfère Alice ! Et l’épopée proposée se révélerait initiatique, elle serait en fin de compte, en fin de conte, pour le loup une quête de soi, un moyen pour lui de comprendre qu’il lui faut une totale liberté, qu’il ne peut suivre ni chiens ni moutons ni cheval, trop proches des humains, même s’ils sont des animaux comme lui.

Ce livre très riche, exubérant, luxuriant, où l’on suit le vif argent de la pensée de son auteure, est empreint de tendresse, il est plein de fantaisie comme le sont les livres de Sylvie Durbec. Livre dans lequel on est en contact directement avec sensibilité et intellect, créativité et ludique, humour et gravité, avec passé et présent qui s’entremêlent, avec superficialité feinte et profondeur humble, avec existentiel et immémorial, avec inédit et déjà dit qui sourdent pour une forme de ressourcement jubilatoire. Oui le lecteur jubile à découvrir et suivre ce qu’elle écrit tout comme Sylvie Durbec jubile et s’amuse sérieusement à écrire. Le partage et la mise en commun entre l’univers de l’auteure et celui du lecteur est possible grâce à l’illimité potentiel des trouvailles poétiques, d’où la voix unique de Sylvie Durbec se fait entendre, pour notre plus grand plaisir.

Béatrice Machet


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