à fixer le noir
les étoiles se déplacent
dans leur lumièrela rumeur du silence
creusée par les insectess’accorde à la nuit
à son rythme
régulier d’expansionvient recouvrir nos battements de cœur
les mêler jusqu’au ciel
prendre le pouls de l’univers
un bruit d’été qui laisse entrevoir
la vitesse continue du noirl’illusion d’un regard qui
cherche du mouvement
pour faire de la nuit noire
une couleuroù l’absence de traces
cherche à déchirer l’obscurpar l’intérieur de la tête
dans un imaginaire
déployé vers l’infini
c’est un lointain souvenir déjà
nuit noire ta voûte soutenue
par mes mains
hissées sans espoir
aux nuesoù entre les doigts passe
ce que je retiens
de la faible lumière d’où vient elle
outrenoir matière
de la nuit ou
de mon regard
et mes jambes
par l’odeur remontée de la terre
la douce odeur de l’étéfoulent la nuit hument ton corps
nu de mon désir
d’un espace sans temps
déterré meublequand par la bouche j’expire
des naissances d’étoilesinvente des galaxies
sans laisser mon corps à sa nuit
Entretien avec Clara Regy
Vous êtes un jeune poète encore étudiant (ou chercheur) et avez déjà collaboré à des œuvres photographiques et picturales... Pouvez-vous nous en parler ?
Poète, poète... Toujours difficile d’assimiler ma pratique de l’écriture à une identité qui serait celle de ce terme, cristallisant tant de fantasmes dans l’inconscient collectif. En revanche, il y a l’excès inverse, à mon sens relevant de l’affectation et d’une autre posture, qui consisterait à toujours refuser qu’on accole ce terme à cette pratique singulière qu’est l’écriture.
Je préfèrerai, si c’est possible, ne pas me définir comme poète, - je préfèrerai ne pas me définir tout court ! - mais me rattacher à un « écrivant » c’est à dire toujours en devenir de ce que la pratique de l’écriture fait surgir, pour moi et les autres, comme possibilités de s’inventer, de se construire, de se découvrir... comme possibilité de vivre humainement, le plus intensément possible, surtout. Et plutôt que le « vain » de l’écrivain, j’aime cette idée de vent, ou encore cette idée d’écrire devant.
Il y a aussi, qu’auparavant, je m’intéressais assez peu à la poésie et n’envisageais absolument pas d’en écrire (et peut être que je ne l’envisage toujours pas d’ailleurs, tant la prose (la phrase) me sied davantage...) Je pensais la poésie toujours très liée à l’idéal romantique, qu’il soit allemand ou français, et ce que je lisais ne me procurait que très peu d’émotion, je m’étais arrêté à Baudelaire et Rimbaud. J’avais aimé les feuillets d’Hypnos de René Char en classes préparatoires, je me rappelle, mais je soupçonnais déjà le reste de cette poésie oraculaire et au verbe haut (voire pompeux !) de ne pas convenir à mon désir de lucidité et de simplicité, de « réalité rugueuse à étreindre »... Je préférais bien plutôt les grands prosateurs, Flaubert, Proust, Simon, Gracq, Pinget, Kafka. Ce qui paraît contradictoire à première vue, car le verbe est Verbe pour certains d’entre eux. Je crois qu’avant Bernard Noël (que je considère comme un des plus grands prosateurs de langue française) Beckett a fait la transition, car dans ces grands là, seul lui s’était adonné à la pratique de la poésie mais je ne saurais dire.
Pour en revenir à la question - car j’ai pour l’instant seulement buté sur ses premiers mots ! – ces collaborations se sont faites à la suite de la découverte il y a deux ou trois ans de la poésie contemporaine, et du travail de certains peintres et plasticiens lié à certains poètes que j’affectionnais. Internet m’a beaucoup aidé pour cela, et notamment Facebook, car grâce à cet outil très pratique, j’ai pu découvrir le travail artistique de beaucoup de personnes (et en temps réel !) discuter facilement avec eux, et faire la rencontre réelle de personnes qui sont maintenant des amis. Certains m’ont d’ailleurs encouragé à montrer les vers que je commençais à écrire. La pratique du livre pauvre est et a été, je m’en rends compte aujourd’hui, une façon de m’exercer à l’écriture en dépassant la solitude inhérente au travail de l’écriture. L’instantanéité de la vision que provoque la peinture, ou même la photographie comblent aussi ma pulsion scopique et mon désir physique d’invisible beaucoup plus que les mots, dont le caractère déceptif quant à l’image semble toujours converti en promesse de phrase en phrase mais qui bien souvent ne me suffit pas. Et tout cela sans enjeu autre, lié à la publication. Une façon de toujours dépasser une certaine impuissance à écrire, et ce vieux sentiment d’illégitimité et de médiocrité. Ce qui est passionnant avec le livre pauvre, c’est moins le résultat, que le processus : l’échange en amont et en aval avec l’autre, la façon dont textes et peintures, photographies, vont se traverser, la temporalité de la réception (parfois des mois), l’attente, l’excitation à l’idée de ce que va faire l’autre à partir du texte ou vice et versa, de la façon dont se déplacent nos projets par rapport à la forme du livre, etc. Je me rends compte aussi que le fait de travailler sur Bernard Noël en thèse, peu après, m’a aussi permis de rencontrer des gens qui ont collaboré avec lui.
Quand vous êtes-vous senti « poète » ou plutôt, alors, « écrivant » pour la première fois ?
Cette question me laisse pantois. Je ne me suis jamais senti poète, et l’on revient à la première question. J’ai toujours senti plus ou moins en revanche, que j’aimais manier les mots, en découvrir d’autres, en inventer. J’ai toujours jubilé à jouer avec la langue, que ce soit oralement dans la vie ou oralement dans l’écriture (mais tout ceci se mêle). Je me rappelle de l’écriture de mes premiers poèmes, poèmes d’amour, vers 17 ans, mais on n’est pas sérieux quand on a 17 ans et c’est bien tout pour ce qui est de l’identité. En revanche, j’ai toujours eu l’impression de ressentir des « états poétiques » pourrait on dire, lorsque l’émotion cristallise quelque chose du paysage, d’un visage, d’une parole, d’une atmosphère.
Vos travaux sur Bernard Noel ont-ils -en quelque sorte- influencé votre écriture ?
J’attendais cette question. Il est vrai que cela peut sauter aux yeux dans mes premiers textes. L’influence a été très forte, oui, et c’est ce travail qui m’a permis de commencer à écrire de la poésie. Avant, je voulais à tout prix écrire un roman ; seule cette forme là était la plus haute car seule cette forme là pouvait contenir toutes les autres. Sauf que je n’ai pour l’instant, malgré plusieurs tentatives, jamais réussi à concrétiser ce désir. Peut être par manque d’imagination, mais je crois surtout par manque de patience et de discipline. Difficile pour moi de me reconnaître écrivain avant d’avoir écrit un roman (de 1000 pages ajoute Bernard Noël quelque part). Cela viendra, avec le temps, peut être. En tout cas, d’emblée, l’œuvre de Noël m’a plu car elle travaille avec toutes les formes, et l’une va dans l’autre (le monologue, par son dialogisme, est autant un roman qu’un poème) ce qui serait idéalement mon désir. Et comme Noël, je me méfie un peu des gens qui n’écrivent que de la poésie. Lorsque l’on écrit n’est-on pas forcément confronté à la prose ? Comment peut on l’éviter ? Revenons en à la poésie... Celle ci, comme j’ai commencé à l’expliquer plus haut, était donc pour moi plutôt affaire d’Olympe, de Muses, de Cœur, et toujours affectée d’une forme de sensiblerie. Une certaine couleur tonale, d’un lyrisme dans lequel je ne me reconnaissais pas du tout et que je croyais voir partout, me déplaisait. En tout cas, lorsque j’ai découvert le travail de Noël, cela m’a un peu décomplexé. J’ai d’abord eu le sentiment que tout ce qu’il écrivait allait à l’essentiel, sans fioritures ni affectations, sans idéaux datés et autres illusions de toutes sortes, bref sans concession. Que son écriture du corps, d’un lyrisme radical, prolongeait ce que je ressentais au quotidien, sans pour autant sacrifier la spiritualité et la sensibilité sur l’autel d’un mysticisme langagier ou d’un formalisme souvent sans vie. Que son écriture, bien que pensive (ce qui n’est pas pour me déplaire !) était profonde dans sa simplicité, et que cette simplicité là (très peu de références intellectuelles dans le corps même du texte, aucun jargon philosophique quand bien même la réflexion intellectuelle est très poussée et ce dans tous les domaines – philosophie, sociologie, anthropologie, critique d’art) n’excluait personne de l’expérience poétique - ce qui est souvent le cas pour nombre d’œuvres poétiques, notamment contemporaines réservées à quelque cénacle tant la culture demandée pour lire est réservée à cet unique cénacle. Et ce qui a achevé pour moi de considérer cette œuvre comme majeure dans mon développement intellectuel et artistique, c’est son érotisme, et l’intrication fine qu’il en fait avec le politique. J’ai eu le sentiment qu’enfin, une œuvre poétique pouvait être utile et transformer la vie des autres, concrètement, et de la plus belle des façons. Cela m’a profondément bouleversé.
A vrai dire, j’ai l’impression que pour l’instant, mes travaux sur (avec ? Pourquoi un discours surplombant sur une œuvre ? Elle se suffit déjà tant à elle même) Bernard Noël sont mes textes littéraires bien plus que mes tentatives de concilier pratique et théorie par le biais de l’université et par le biais de mon directeur de recherche, Serge Martin, également poète sous le nom de Serge Ritman, dont le travail théorique cherche justement, entre autres, à effacer les frontières entre théorie et pratique dans l’exercice de la critique et de la création. Mais l’université est un monde encore assez clos à la création, et les frontières demeurent difficiles à franchir, même pour ceux qui cherchent à les exploser. Je ne désespère cependant pas d’écrire un essai sur cet auteur, plutôt qu’une thèse. Mais on se demande parfois ce que l’on fait encore là.
Quels sont les auteurs qui jalonnent votre parcours (poètes ou non d’ailleurs) ?
Il y en a beaucoup, peut être trop. Dans mes « années de formation » comme on dit j’ai l’impression que ce sont d’abord des livres avant d’être des auteurs qui m’ont ouvert à la littérature. Il y a eu, je m’en souviens très bien, vers 17 ans, je crois, la lecture du Rouge et le Noir de Stendhal, dévoré en une nuit de complète excitation. Il y a eu Rimbaud aussi, surtout Une Saison en enfer qui m’a tout de suite saisi, que je n’ai cessé de relire depuis. A vrai dire, j’ai lu beaucoup de romans (mais aussi bd, romans policiers...) pendant la petite enfance et l’adolescence avant de ralentir sensiblement cette activité (et les jeux vidéos commençaient à émerger à ce moment là...) durant mes années de collège-lycée... en tout cas je n’ai pas de souvenirs marquants de cette époque en littérature. Je me souviens d’un intérêt pour les cours de français, mais sans plus, comme quelqu’un qui apprend bien ses leçons mais ne cherche pas à creuser son propre sillon en dehors de la salle de classe. L’éducation nationale ne m’a absolument pas donné envie de lire, ou plutôt de continuer à lire, ce qui me paraît incroyable à posteriori quand je vois ce que la littérature est devenue dans ma vie. C’est lorsque je suis entré en première année de classes préparatoires que tout un monde de savoirs, de sensibilités, de cultures que je ne connaissais pas s’est ouvert et que je me suis vraiment rendu compte de ma passion pour la littérature, que cela allait prendre une place essentielle dans ma vie, lui donner du sens (et donc une direction aussi !) La première émotion littéraire puissante et profonde que j’ai ressentie fut à la lecture de La Route des Flandres de Claude Simon. J’ai d’ailleurs envisagé de travailler sur Simon pendant une année de master recherche. Etrange roman pour commencer à aimer la littérature... alors que j’avais finalement assez peu lu les classiques. Mais en le lisant, je me suis rendu compte de toutes les possibilités de l’écriture ; je me suis rendu compte que l’écriture pouvait seconder le monde, l’architecturer autrement, figurer de façon vertigineuse des expériences existentielles, et ce de façon très sensible, très physique. Après Simon, j’ai été attiré (fasciné, plutôt ?) entre autres par toute une jeune génération d’auteurs comme Jean Echenoz, Jean Philippe Toussaint, Laurent Mauvignier, Tanguy Viel. Avant d’en revenir pour différentes raisons (sophistication excessive du style et de la forme, figure d’auteur assez détestable pour certains, auto-parodie, écriture de plus en plus consensuelle) et je me suis tourné vers des écritures jugées plus fortes et plus poétiques, plus physiques, plus liés à la figure du « litterartiste » comme j’ai lu quelque part... celles de Noël évidemment, Novarina, ou certains textes de Bergounioux, de Quignard (avec beaucoup de bémol pour ce dernier, mais j’ai un problème avec l’érudition en littérature..) mais aussi celles de Marie Cosnay, ou encore de jeunes romanciers que je trouve très prometteurs comme Fabien Clouette et Quentin Leclerc. Après, il y a des auteurs qui continuent d’être très importants pour moi, que je lis et relis souvent, et qui nourrissent mon travail d’écriture, de près ou de loin : Thomas Berhnard, Antonin Artaud, Fernando Pessoa, Pier Paolo Pasolini, André du Bouchet, Pierre Guyotat, Danielle Collobert, Pierre Reverdy, Georges Bataille, Alain Robbe Grillet, Lucrèce, Paul Valéry, Tony Duvert, Jean Genet, Cesare Pavese, Maurice Blanchot, Bernard Marie Koltès, Roberto Bolano, Stephane Mallarmé, Hervé Guibert, Claude Ollier, Guy Viarre... quelques philosophes aussi, Deleuze, Bergson, Nietzsche, Spinoza, Kierkegaard, Barthes, De Certeau, Châtelet, Girard, Leroi Gourhan et certains contemporains, Didi Huberman, Curnier, Rosset, Augé, mais je « pioche » et ne suis absolument pas lecteur « sérieux » de philosophie pour un sou..
Votre écriture s’entoure-t-elle de circonstances et autres rituels particuliers ?
J’essaie d’écrire autant que faire ce peut le matin, tôt, et idéalement jusqu’au déjeuner. Je crois que c’est la meilleure façon pour moi d’instaurer un rituel simple ; et le matin est propice à une concentration toute neuve, car l’écriture est, je trouve, un travail exigeant et épuisant, parfois ingrat, et qui laisse peu d’énergie pour le reste lorsque l’on s’y consacre ne serait ce que deux ou trois heures. L’après midi est davantage consacrée à la lecture. En revanche, comme j’ai toujours du mal à me discipliner et ayant une fâcheuse tendance à la paresse et à la procrastination- et les activités et obligations diverses ne me permettent évidemment pas d’avoir cet emploi du temps tous les jours – cela peut évidemment se situer à d’autres moments ou pas du tout, et ce, pendant des jours.
Sinon, j’ai toujours aimé travailler sur différents bureaux, me déplacer dans l’espace pour écrire différemment. Et c’est étonnant car je me suis rendu compte en discutant avec Bernard Noël chez lui, que lui faisait exactement la même chose ! Il a au moins 7 ou 8 bureaux chez lui !
Après, il y a la pratique des notations, qui peut être à n’importe quel moment, dans la rue, en marchant, dans les transports en commun, en faisant la cuisine. Je saute sur mon téléphone, qui est pour moi une sorte de carnet virtuel – j’écris mon journal dessus par exemple - très pratique avec son application Notes, et écris - assez furieusement je dois dire, et cela peut arriver au milieu d’une conversation ! - ce qui me passe par la tête à ce moment là. Je ne sais pas par quels critères mon cerveau passe pour juger cela notable, j’ai simplement l’intuition qu’il y a là trouvaille, ou que cela fait avancer les questionnements. Cette pratique est indissociable de l’expérience.
Il y a aussi de vraies poussées de mots, de temps en temps, comme une nécessité pressante, fiévreuse. Où j’ai l’impression de visualiser un texte, et qu’il ne me reste plus qu’à l’écrire. Mais dans le moment de l’écriture, je suis paradoxalement complètement aveugle. J’ai l’impression de ne pas voir ce que j’écris..d’être plutôt à l’écoute. Seulement attentif au son, au rythme. Mon environnement immédiat se distord complètement, tout devient flou... expérience assez troublante mais très grisante, je dois dire.
Et pour terminer ma question -toujours un peu « curieuse »- si vous deviez résumer le terme « poésie » en trois mots quels seraient-ils ?
Je ne suis pas un adepte de la synthèse et lui préfère de loin l’analyse. C’est toujours ce que l’on m’a reproché durant mes études, d’ailleurs... mais jouons le jeu : son, rythme, émotion.
Né en 1991 à Rennes, j’habite à Paris depuis quelques années et suis doctorant en littérature française contemporaine sous la direction de Serge Martin/Ritman à l’université de la Sorbonne nouvelle Paris 3. Je travaille plus particulièrement sur les implications érotiques, éthiques, esthétiques et politiques dans l’œuvre de Bernard Noël. Publié dans quelques revues de poésie parues ou à paraître (Résonance Générale, 17 secondes, Tempestaire, Festival Permanent des Mots, Lichen...), je collabore également avec des peintres (Philippe Agostini, Max Partezana, Anne Slacik, Jean Claude Terrier...) et des photographes (Adèle Nègre, Cedric Merland...) sous la forme de livres pauvres et de livres d’artistes.